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23 janvier 2018

Révolution-soustractions/Révolution-additions (ou multiplications)

Par Didier Eckel

Je soumets avec ce texte un point d’étape dans mes questionnements d’ex-futur militant anticapitaliste…

La question de la révolution n’a pas été un point central de nos discussions, ni même un sujet ponctuellement identifié au cours de nos débats au sein du séminaire de recherche militante et libertaire ETAPE (Explorations Théoriques Anarchistes Pragmatistes pour l’Emancipation), cependant cette question de la révolution ne peut être ignorée si l’on souhaite discuter de stratégies de sortie du capitalisme et aboutir à des pistes pragmatiques dans ce domaine (ce qui est bien un des soucis d’ETAPE). Si la question de la révolution n’a pas été abordée en tant que thème identifié, elle fut régulièrement présente en filigrane (ou non) dans nombre de nos débats. Pour ma part, je souhaite évoquer cette révolution avec les termes de soustraction ou d’addition (multiplication), c’est-à-dire en termes d’unité ou d’hétérogénéité ou encore en termes d’identité (l’identique) ou d’altérité…

Il me semble en effet qu’il y a deux façons (entre autres) d’aborder une « stratégie révolutionnaire ». N’étant pas certain qu’une stratégie établie soit possible dans ce domaine, je parlerais plus volontiers d’envie révolutionnaire.

Donc deux types d’envies révolutionnaires :

A/ – Une envie par soustractions qui chercherait à sortir du monde tous ses éléments jugés pathogènes (patrons, oligarques… toutes les forces réactionnaires ou délétères…).

B/ – Une envie par additions (que je qualifierais plutôt de désir) qui chercherait à augmenter les forces inventives, créatrices. Tenter une multiplication des institutions et des acteurs œuvrant aux changements souhaités notamment en promouvant des expériences de libération de tous ordres (une propagande par le fait, selon l’acception attribuée à ce terme par certains libertaires non violents).

A/ Révolutions-soustractions

Le principal problème que me semble poser « l’envie soustractive » viendrait d’une éventuelle (probable ?) potentialité nihiliste. Je crois que la soustraction est un élément (quasi magique) de simplification pour une stratégie révolutionnaire qui se voudrait « calculable » ou, pour le moins, planifiée : détruire les forces s’opposant au changement souhaité par le révolutionnaire peut être défendu par celui-ci comme moment nécessaire de toute révolution, les agents contre-révolutionnaires empêchant, y compris par la force physique, toute construction d’un monde nouveau. Si cette stratégie de lutte s’appuie sur des faits historiquement observables (répressions policières, voire militaires, etc.), elle peut facilement, en cas de victoire « armée » des regroupements révolutionnaires (fussent-ils populaires), se muter en une agitation palliative au manque (réel ou potentiel) d’adhésion de l’ensemble de la population aux changements à venir. Unir pour détruire le vieux monde, donc soustraire du vieux monde ses éléments réactionnaires.

Dans ses prémisses mêmes, l’envie soustractive initiale, la stratégie de destruction des forces d’opposition à l’action révolutionnaire, visant au départ les seules forces violentes les plus réactionnaires, semblerait engendrer, ou renforcer, (inexorablement ?) un fantasme d’unification totale des forces progressistes, puisque cette unification découvre en permanence de nouveaux ennemis de la révolution (plus forcément violents mais tout de même dangereux). Ce fantasme d’unité pourrait-il être détecté, aujourd’hui, dans cette anodine défiance qu’ont certains militants à l’encontre de l’individualité (considérée comme un individualisme) au profit de la glorification de l’action collective, qui ressemble beaucoup à une glorification de l’unification : un collectif en tant qu’entité poursuivant un but clair et commun. Ce collectif s’apparente alors souvent à un parti : une petite portion précise, homogène et active de la population. Ce parti, au nom d’un pragmatisme qui se réduit à la notion « la fin justifie les moyens », apparaît toujours plus efficace qu’une vague organisation ne se dotant pas d’un programme clairement identifiable guidant l’action. Dans le cadre de l’envie soustractive, toute organisation ne pourrait se penser que dans l’unification, dans l’identité militante. Ce fantasme du collectif unitaire pourrait, je crois, alimenter un potentiel nihiliste, les propos sur le « eux et nous » étant assez courants. Ces propos soulignent bien évidemment la nécessité du « nous » mais ils soulignent également la nécessité d’une mise à l’écart du « eux » (l’ennemi ?). Nous sommes bien là dans un cadre soustractif : soustraction par assimilation (convaincre ou contraindre) ou soustraction par pure élimination. Parfois ces propos (dans le cadre français d’aujourd’hui) prennent une tournure nettement plus musclée : j’ai entendu, lors des manifestations de 2017 sur la loi « El Khomri », un « débat » très violent tenu en fin de manif. Le « débat » (prises de parole par mégaphone) portait sur l’inhumanité de la police, non pas en termes globaux et plus ou moins abstraits (« La Police est ceci ou cela ») mais en termes précis désignant l’individu policier comme « non humain »… et à considérer comme tel. Certes, le climat de tension assez élevé avec les « forces de l’ordre », lors de cette manifestation précise, peut expliquer la violence de ces discours mais peut-il en expliquer, à lui seul, sa teneur ? Notons que dans ce « débat » improvisé, les tenants d’une humanité partagée par tous (policiers compris) étaient très minoritaires. Peut-être parce que la violence même des discours n’invitait pas à la contradiction ?

Je pense que l’envie d’unité, très probablement impossible, fantasmatique (ou fétichisée ?), serait le point de départ (et le révélateur) de ce que j’appelle l’envie révolutionnaire soustractive. Cette envie pourrait-elle conduire à la folie d’une tentative de soustraction totale pour produire l’unité parfaite ? En logique l’aboutissement (ou le résultat mathématique) de cette opération ne pourrait être que le nombre « un » (unité pure)… mais ce « un » équivaudrait à un « zéro », du point de vue du vivant.

Ce besoin d’unité semble être un point commun aux différentes tentatives de stabilisation d’un Pouvoir unifié, qu’elles soient révolutionnaires ou conservatrices. Je dis tentative car le Pouvoir n’est, heureusement, jamais total… même s’il peut tenter d’être totalitaire (ou simplement totalisant). Tout pouvoir détiendrait une dimension nihiliste (1 = 0) heureusement jamais atteinte à ce jour (sinon je ne serais, tout simplement, plus là).

La nécessité d’inter-actions avec les autres (inter-actions vitales mais toujours complexes, donc difficiles) pourrait-elle parfois (souvent ? selon les moments sociaux ?) se muter en envie de « lien social » qui, elle-même, pourrait être conçue comme envie d’unité (négation du social), qui serait alors une des bases possibles d’une hypothétique servitude volontaire ? Le rêve d’unité comme une forme de repos face à l’immensité (l’infini ?) de l’altérité ? Le rêve d’unité, comme forme de relation absolue (donc de non relation), ne peut se concevoir que dans l’abdication de toute autonomie (dans l’acception étymologique du terme). Si ce rêve (ou cauchemar) d’unité existe effectivement en dehors de la sphère étatique, dans une partie de la « population », alors pourrait-on parler de servitude volontaire, d’envie de soumission au Pouvoir comme force unificatrice ? Dans ce cadre-là, le Pouvoir arriverait-il (paradoxalement ?) à ne plus soustraire systématiquement, à ne pas s’approcher de trop près du « 1 = 0 », dans la mesure où la servitude volontaire serait suffisante pour légitimer ce Pouvoir (qui pourtant a besoin de l’unité) ? Celui-ci pourrait se contenter de fleurter avec l’unité sans jamais la réaliser, il pourrait ne pas être contraint de tenter (l’impossible) totalité.

Ce que je viens d’exposer suggérerait, en toute logique, que plus cette supposée servitude volontaire serait partagée par la population moins le Pouvoir serait tenté par une aventure totalitaire et inversement, moins la servitude volontaire serait partagée plus le pouvoir serait enclin au « totalitarisme »… Ce qui ne me paraît pas si simple : un Pouvoir s’aventurant dans une entreprise totalitaire aurait-il les moyens de contraindre une population peu soumise ? Pourquoi un pouvoir bénéficiant d’un fort soutien « unitaire » de la part d’une population encline à la servitude volontaire ne profiterait pas de cette aubaine pour tenter de réaliser ce rêve du total ? Je ne formule donc pas, en conclusion de ce paragraphe, une affirmation, ni même une supposition ou hypothèse mais simplement une interrogation…

B/ Révolutions-additions (ou multiplications)

Les envies de révolutions additions sont probablement beaucoup moins dangereuses que les envies soustractives, car elles ne peuvent prétendre au Pouvoir dans la mesure où l’hétérogénéité produite par les additions successives rendent impossible ce Pouvoir qui, lui, ne peut se reproduire qu’à travers un travail constant d’unification. Cependant, si les révolutions unificatrices ont bien montré, dans l’histoire, les dérives possibles (probables) de l’élimination des « ennemis », les tentatives expérimentales d’additions (multiplications des acteurs en capacité de décisions dans des collectivités autogérées : entreprises alternatives, coopératives agricoles, phalanstères, squats… par exemple) n’ont pas réussi à multiplier les désirs d’émancipation des « peuples » et des individus grâce à leur seule existence. Une contagion ne semble pas pouvoir opérer à partir de la simple exemplarité (supposée ou réelle ?) de ces expérimentations.

La faible puissance de l’exemplarité ne semble pas être le seul frein à l’envie de révolution. Se soucier uniquement de l’invention de formes nouvelles d’interactions sociales, grâce à des expérimentations de tous ordres, ne prend pas en compte les divers risques qu’il me semble nécessaire d’affronter face aux nombreuses formes de dominations. Les « dominants » ne sont probablement pas prêts à abdiquer facilement leurs positions. Ces tentatives expérimentales sont donc condamnées à être gênées, voire empêchées, par toutes les formes de pouvoir : embûches économiques, administratives, juridiques… ou pire répression par la force.

Cette démarche de « propagande par le fait » (encore une fois dans son acception non violente) devrait donc être accompagnée par une démarche politique1. La complexité de cette voie (propagande par le fait + action politique) réside évidemment dans le risque de voir l’action politique prendre le pas sur l’expérimental (sur les fondements), la politique redevenant simple instrument de lutte pour le Pouvoir (cette lutte appelant nécessairement la soustraction). Je crois pourtant que toute tentative additive ne peut se faire sans action politique, qui prend toujours le risque de la lutte politique potentiellement soustractive.

Une solution serait alors, peut-être, de subordonner toute action politique aux exigences de l’expérimentation. Bien sûr, la tentative de subordonner l’action politique à la lutte prolétaire (considérée comme première) a été un échec mais si nous remplaçons le prima de la lutte prolétaire par l’action expérimentale, cela changerait-il la donne ? Les luttes sociales ne seraient plus que revendications ponctuelles (ce qui est déjà le cas) et demeureraient sans lien aucun avec la lutte politique (ce qui, malgré les affirmations syndicales, me paraît être un peu moins le cas). Par contre, l’expérimentation qui n’est pas une lutte (jamais soustractive), déterminerait les stratégies des actions politiques (potentiellement soustractives, si elles ne sont pas soumises aux désirs d’addition des expériences émancipatrices). Alors, l’action politique pourrait-elle devenir « action d’addition », qui prendrait, peut-être, le pas sur les tentations soustractives ? … Dit autrement, les actions politiques (potentiellement soustractives) seraient toujours soumises, et scrupuleusement observées, à l’aune de l’expérience.

Les envies soustractives (union par le vide) ne sont probablement pas des envies pures, entières et suffisantes, pour quelque individu que ce soit. Il me semble que ces envies sont toujours brouillées (plus ou moins fortement selon les personnes et les moments) par des désirs (plus ou moins forts selon les personnes et les moments) d’addition qu’il s’agirait de réveiller. Si tel était le cas, le couple « expérimentation – action politique » aurait-il des chances d’esquisser quelques voies vers une émancipation tellement attendue ?

Cette proposition n’est certes pas le fruit d’une longue recherche étayée par des indicateurs ou arguments solides, mais c’est, pour l’instant, la seule proposition (fragile et partielle) que j’entrevois en tant qu’ex-futur militant anticapitaliste…

Didier Eckel

1 L’expérimentation sociale est bien évidemment politique, mais elle n’est pas action politique. Elle est, me semble-t-il, fondation politique.

Les commentaires sont modérés (les points de vue non argumentés et/ou agressifs ne sont pas retenus).

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