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2 septembre 2013

Vivre sous emprise – vers des pistes politiques pour un traitement alternatif des dépendances

 Mettaddictionant au cœur de son analyse l’esthétique et les valeurs qu’attachent les individus à leurs actions depuis une quinzaine d’années, la sociologie morale de Patrick Pharo montre à nouveau son heuristique en s’aventurant sur le thème de la dépendance. Deux récents ouvrages, Philosophie pratique de la drogue (2010) et Plaisir et dépendance dans les sociétés marchandes (2012), offrent tous deux une approche exhaustive du sujet en interrogeant tant les dépendances aux consommations psychoactives (drogue, jeux, sexes, sucres…) que les dépendances « pratiques » qui sont liées au vieillissement et à la maladie. Bien qu’elles affectent différemment l’autonomie, leur indissociation dans l’analyse se justifie parce qu’elles révèlent toutes deux l’importance de nos attachements réguliers et répétés à diverses sources de plaisirs. Dans le premier cas il s’agit d’une dépendance qui conduit parfois à un abus de certaines sources de plaisir (l’addiction) et, dans le second, d’une difficulté d’accès aux plaisirs courants avec lesquels nous entretenons tous une relation de dépendance plus ou moins forte. C’est ce qui justifie le modèle théorique de la dépendance proposé par l’auteur comme penchant « naturel » dans notre mode de relations au monde. Ne serait-ce parce que « tous les produits et pratiques qui procurent un sentiment de plaisir, de satisfaction ou de soulagement […] agissent sur les mêmes circuits de la récompense dans le système mésolimbique du cerveau » (Philosophie, p.9). Même nos activités les plus ordinaires (activités, relations sociales, travail, religion…) tout comme nombre de produits banals que nous absorbons (gâteaux, chocolats, tranquillisants…), sont ainsi vecteurs d’une certaine dépendance car ils produisent un bien-être dont on ne soupçonne pas toujours combien il peut manquer lorsque son chemin d’accès nous est restreint. D’où le fait que « le rapport au passé sous la forme du manque, du regret, […] est souvent chez les vieillards une source d’insatisfaction […] qui n’est pas sans rappeler le deuil que les toxicomanes tentent de faire de leurs consommations passées » (Plaisirs, p.166).

Néanmoins, si toutes les dépendances sont susceptibles de créer une souffrance psychique, toutes n’ont pas la même conséquence, ni sur la santé morale et physique des individus, ni sur la restriction de leur autonomie. Comment peut-on alors expliquer, dans le cas de dépendances psycho-actives, que les individus s’engagent quand même dans celles qui risquent le plus d’anéantir leur autonomie et d’affecter gravement leur santé ? Comment certains font-ils dès lors pour en sortir ? Et, enfin, quelles pistes politiques peut-on envisager pour que les individus puissent parvenir à préserver a minima leur dignité et leur liberté lorsqu’ils sont aux prises de ces dépendances critiques ? Tels sont les fils conducteurs de ces deux ouvrages. La sociologie morale de l’auteur lui permet alors de réaliser une approche transversale de ces questions. Son postulat : l’individu n’entretient pas seulement un rapport à lui-même et aux plaisirs disponibles dans son environnement dirigé par le jugement rationnel ou la contrainte. L’attraction qu’il éprouve pour eux et la satisfaction qu’il en retire dépend en grande partie de la subjectivation esthétique ou éthique qu’il leur associe, laquelle va influer sur les sensations qu’il obtient en retour. Celles-ci sont le fruit de ce qu’il considère comme digne, grand ou beau suivant l’idéal qu’il se fait d’une belle vie, celle qui l’illumine intérieurement et dont il retire une fierté à suivre le modèle extérieurement. De là découlerait la vraie nature de la relation qu’il entretient aux dépendances psycho-actives les plus à risques comme aux dépendances pratiques [1].

 

Devenir dépendant aux drogues et en sortir

Pour ce qui est des premières, les drogues, qui « constituent un modèle de toutes les autres sortes de dépendances critiques » (Plaisirs, p.97) font l’objet d’une enquête à part dans Philosophie pratique de la drogue. L’auteur a mené 25 entretiens auprès d’ex-drogués parisiens et new-yorkais. Ils sont âgés de 25 à 75 ans, ont tous été sévèrement dépendants à l’alcool ou à l’héroïne, la cocaïne ou la marijuana. Comme on le sait, une abondante littérature scientifique éclaire déjà les mécanismes de ces comportements addictifs. Les neurosciences y voient un dérèglement des circuits de la récompense (ou plus rarement des prédispositions génétiques [2]), la sociologie, l’influence des trajectoires personnelles et des milieux sociaux d’origines, la psychologie, la recherche d’un manque affectif à combler lié au passé [3]. Cependant, cela ne décourage pas l’auteur à apporter sa propre contribution car ils pointent les limites de ces approches en abordant autrement le problème. Celles-ci ont, on le voit, toutes pour point commun d’envisager la toxicomanie comme résultant de causes agissantes sur des individus. Patrick Pharo insiste quant à lui sur les capacités de réflexivité des individus à choisir de s’y risquer. L’entrée dans cet engrenage suppose en fait toujours une phase préalable où l’individu se voit bien libre de s’adonner à la consommation, ne serait-ce parce que personne ne le force et qu’il doit faire une démarche pour s’en procurer. Or, c’est là qu’une séduction par le goût et l’esthétique vont intervenir. Les facultés à identifier rationnellement les conséquences de son acte céderont face à l’attraction qu’ils dégagent ; non celle d’une promesse abstraite de plaisir (« un plaisir pour le plaisir »), mais des évocations de bonheur et de plénitude associées à la représentation de telle ou telle drogue qui en « construisent » l’envie. « Le choix de consommation porte donc moins sur le sujet de la drogue elle-même, dont on pèserait le pour et le contre, que sur ce que celle-ci rend possible en termes de bien-être, de parcours imaginaire, d’amour et de gentrifications de la part d’autrui, d’accomplissement de soi ou de son destin d’homme… » (Philosophie, p.39). Des usagers d’acides évoquent ainsi l’attirance pour les mondes éphémères, un héroïnomane veut échapper aux grisailles d’un urbanisme totalitaire, des usages de coke ou d’alcool souhaitent s’offrir une personnalité excentrique pour s’attirer la sympathie de leur fréquentation [4]. Un fumeur de cannabis imagine même ne pas pouvoir être productif au travail sans consommer, ce qui n’est pas sans rappeler les paroles de Bill Hicks, humoriste américain, cité dans une chanson de groupe de rock progressif Tool en 1996, qui invitait à brûler les cassettes et les CD de nos musiciens préférés si l’on n’était pas prêt à reconnaître les bienfaits des drogues en matière de production musicale [5]. Bien sûr, ceci ne veut pas dire que l’individu échappe à tout déterminisme social. Les témoignages d’usagers comme James O. (73 ans, ancien cadre commercial), devenu alcoolique vers 17 ans qui raconte que sa mère était déjà alcoolique, de même que le père de Mary Q. (55 ans) était dealer, montre que les milieux sociaux influent bien les destinés. Mais ils ne peuvent expliquer « qu’il y a des personnes sévèrement dépendantes qui viennent d’environnement immunes » (Philosophie, p.26), sans compter qu’aucun dépistage ne peut prévoir si un environnement rendra une personne dépendante.

Faut-il alors en déduire que les drogués sont responsables des souffrances qu’infligent l’addiction à terme au prétexte qu’ils auraient décidé par eux-mêmes de s’y risquer ? Ce serait en fait céder au simplisme. Car les motivations aux premières consommations sont bien déconnectées du mécanisme neurochimique d’habituation au plaisir qui va s’enclencher au fil des récidives. L’addiction devenant telle que le jour où le drogué souhaitera redevenir « clean », il ne pourra récupérer le contrôle, bien que sa consommation, contrairement à naguère, ne lui inspire plus qu’autodestruction et déchéance. Aussi, même si le choix de se droguer est de l’ordre du volontaire dans l’intention initiale, cela ne justifie en rien la responsabilité individuelle devant les souffrances qui apparaissent à terme puisqu’elle relève bien davantage d’une conséquence involontaire quasi-biologique. La non-assistance de l’État à la détresse des toxicomanes soutenue par la doctrine libérale au motif qu’ils l’auraient « choisie », puisque, comme tout individu, ils seraient rationnels – ou en tout cas suffisamment ici pour prévoir les conséquences à terme de leurs premières prises – apparaît dès lors comme une ineptie politique.

Cependant, si la recherche d’intensités subjectives dans la consommation peut mener les toxicomanes à leur perte à long terme, c’est aussi elle qui peut les en sauver : tel est le grand paradoxe des drogues. Certes, c’est d’abord « un réflexe de survie à l’état brut, c’est-à-dire, sans autre considération morale ou affective » qui « est une composante majeure de leur décision d’arrêter au moment où elle se prend » (Philosophie, p.216). Sont mentionnés des événements décisifs pour expliquer leur décision d’arrêt comme la naissance d’un enfant, l’overdose de trop, un changement de cadre de vie radicale, un endettement abyssal… Dans tous les cas, le drogué n’en peut plus : il réagit face au risque de mourir, imminent, ou parce que la perte de contrôle sur sa vie lui est devenue insupportable. L’auteur a alors cette belle formule : « l’arrêt, avant d’être une victoire de la volonté raisonnable sur le désir dévoyé, est une expérience de l’épuisement de la liberté antérieure » (Philosophie p.215). Pour y parvenir, la grande majorité des drogués recourt à un soutien extérieur : médicaments de substitution, centres de désintoxication, Alcooliques anonymes, psychothérapies ou soutien familial. Mais, à la différence des autres maladies, on ne guérit pas seulement de la drogue par l’administration d’un traitement social ou thérapeutique s’il n’est pas accompagné d’une volonté farouche de la personne elle-même. Laquelle peut être radicalement contrariée, notamment à la sortie d’une cure de désintoxication, si l’ex-toxicomane ne parvient pas à retrouver des sources de plaisirs courantes pour remplacer celle sur laquelle il avait concentré tous ces efforts. Et, on l’aura compris, il n’y parviendra que s’il les intègre à une nouvelle conception de sa belle vie qui puisse rallumer le feu de son intensité subjective. Travail, sexe, achat, sport, jeu, nourriture… sont autant d’activités beaucoup moins destructrices qui, selon les drogués, ont remplacé le plaisir de la drogue tout en renouvelant l’exaltation du beau et du sens de leur vie qu’il avait pu trouver en elle. Certes, celle-ci sera toujours moins puissante que celle qu’il avait trouvée dans la drogue, mais elle peut le demeurer suffisamment pour éviter la rechute.

 

Pour une politique libertaire de l’usage de drogues

À l’instar de d’autres sociologues ne souhaitant pas faire une « science sans conscience », l’auteur déduit de ses conclusions sociologiques une piste politique pour le moins originale et rarement défendue. Commentant nombre de chiffres, il tisse d’abord une critique radicale des politiques répressives contre les toxicomanes qui semblent avoir été inefficaces, en France comme aux États-Unis, pour ralentir la consommation. Non seulement la « guerre à la drogue » n’a pas fait diminuer le nombre de consommateurs, mais, en plus, le taux d’incarcération pour consommation ou trafic a augmenté en France depuis 1995 et a été multiplié par dix-huit en quarante ans aux États-Unis. Cette inefficacité semble à ce point visible que la répression contre les drogués est désormais même contestée par nombre… de policiers. Trois mille cinq cents d’entre eux ont en effet commis un geste d’irrévérence au sein de leur profession en devenant membre du « LEAP » qui n’est rien d’autre qu’une association qui milite pour la légalisation de toutes les drogues [6]. La répression apparaît par ailleurs d’autant moins efficace qu’elle ne fait pas changer d’avis ceux et celles qui la subisse. Les drogués interrogés la perçoivent comme hypocrite (parce que certaines drogues très dangereuses demeurent légales et pas d’autres) mais aussi injustes, parce qu’ils estiment subir le sort de n’importe quel coupable de délits alors que leur consommation n’aurait affecté personne d’autre qu’eux-mêmes. À ces arguments factuels, l’auteur ajoute une déconstruction de l’argument massue, si souvent entendu dans les débats politiques, qui sert à justifier ces politiques répressives, à savoir que la dépénalisation augmenterait mécaniquement la consommation. La légalisation du cannabis aux Pays-Bas montre a contrario que son usage ni celui d’autres drogues n’ont augmenté [7]. Quant à la prohibition de l’alcool aux États-Unis dans les années vingt, elle a, certes, diminué les cirrhoses mais fait croître les accidents liés à l’alcool frelaté. Ces réalités confirment bien la théorie de la dépendance de l’auteur puisque que les motivations rationnelles de la prohibition et de ces risques de répression ne semblent pas avoir d’effet sur la résolution personnelle des toxicomanes à exercer leurs goûts et leurs imaginaires. C’est pourquoi, en définitive, il plaide pour laisser le libre choix aux individus de décider s’ils veulent expérimenter des drogues une fois informés sur leurs dangers. Il ne s’agirait pas ici de les autoriser, car l’autorisation pose une forte objection morale en ce qu’elle « engage celui qui l’a donne sur le sort de celui à qui elle est donnée » (Philosophie, p.370). L’auteur propose plutôt de « constitutionnaliser un principe de liberté appréciative en vue de suspendre toute mesure répressive relative à la consommation de n’importe quelle substance » (Philosophie, p.372). Cette proposition n’est pas sans rappeler celle de l’écrivain et poète Antonin Artaud qui revendiquait en 1925 le « droit de disposer de la douleur de son corps » pour les toxicomanes au nom d’une conscience supérieure à toute instance extérieure pouvant définir ce qui est bon pour eux [8]. Elle rappellera peut-être à d’autres le « droit à disposer de sa mort » de Georges Canguilhem qui s’opposait en 1975 à toute législation sur l’euthanasie au nom de la subjectivité du patient et de la singularité de sa situation qui le noue au médecin [9].

 

Les autres dépendances psychoactives

Dans l’ouvrage Plaisirs et dépendance dans les sociétés marchandes, Patrick Pharo étend son modèle d’analyse de la dépendance à d’autres de ses formes, parfois inattendues, comme l’anorexie chez les femmes, dont l’effet délabrant sur le corps pourrait justement laisser croire à une incapacité à entretenir un rapport au monde noué par le beau. Mais la maigreur extrême a aussi une esthétique, à la fois politique et intime : en prenant ce risque radical sur sa santé, le sujet cherche en fait à exprimer « une autonomie et une épreuve de grandeur […] susceptible de compenser le rôle passif dévolu aux femmes » (Plaisirs, p.72). L’auteur revient également longuement sur la prostitution, qui est pour lui aussi une dépendance, monétaire cette fois, des femmes à l’égard des hommes. Alors que le débat politique sur la question s’est enlisé depuis plusieurs années en France, l’auteur invite, à travers sa sociologie morale, à reconsidérer les discours victimaires tenus par les partisans de l’abolition. Non pour récuser l’exploitation que la majorité des prostitués subissent, ni même leurs conditions de travail parfois très dégradantes, mais parce qu’il conduit à invisibiliser la fierté qu’elles ressentent malgré tout pour leur métier, condition en réalité nécessaire pour en soutenir l’épreuve. Et ce qu’il remarque, c’est que cette recherche subjective d’estime de soi, de fierté, ne stimule pas seulement les femmes à s’accommoder de la prostitution mais également à s’y engager. Certaines étudiantes justifient par exemple leur début dans la prostitution via Internet autant par nécessité financière que par « les ruptures salutaires que cette pratique représente par rapport aux valeurs familiales ou à certains carcans familiaux ou à certains carcans amoureux » (Plaisirs, p.154). L’amour et le sexe quant à eux semblent plus que tout générer des dépendances tributaires de l’esthétisation de leurs pratiques, comme en témoignent des centaines de films et de romans, et dont le goût qu’on leur porte se rattache aussi à « l’ivresse de l’attente et de l’incertitude » (Plaisirs, p.69). Enfin, dernière forme de dépendances abordée par l’auteur : celles en lien avec l’alimentation (chocolat, sucreries, sodas, fastfoods…). Si ce type de dépendance a toujours existé comme l’indique sa stigmatisation en pêché capital dans la Bible, les proportions qu’elle prend aujourd’hui avec l’expansion de l’obésité dans les pays occidentaux doit se comprendre comme une sorte de double jeu entre l’attraction subjective qu’opèrent ces produits et leur abondance désormais sans précédent dans l’Histoire. En se fondant sur la perpétuation de la production d’argent comme fin en soi, la société marchande a engendré des agents économiques qui n’ont d’autre choix que multiplier et renouveler toutes sortes de produits pour s’assurer une rentabilité continue… ce qui en retour créé une omniprésence telle de promesses de plaisirs que nous aurions d’autant plus de chance de sombrer dans l’excès. Le constat est proche de celui de M. Valleur et J.‑C. Matysiak pour qui la « société de consommation » est responsable de la généralisation des dépendances. Stimulés de toutes parts, dans « un monde libre et sans tabous », nous serions devenus des « malades du désir » [10]. Tel serait ici un des paradoxes du capitalisme contemporain : tout en ayant accru « la liberté de choix des sujets, elle a également pour effet de limiter cette liberté du fait de l’accroissement des risques de dépendance psychique ou morale » (Plaisirs p.96).

 

Vivre la dépendance pratique : l’exemple du vieillissement

La part réservée aux formes de dépendances pratiques par l’auteur, plus mince dans l’ouvrage, n’en soulève pas moins des enjeux de taille. Plus particulièrement : la prise en charge des personnes vieillissantes qui pose la question essentielle – mais occultée dans les débats politiques – du bonheur individuel dans ces situations sociales où l’autonomie se voit fortement contrariée pour le reste de l’existence. Avec nombre d’exemples, il met en lumière le combat quotidien de personnes diminuées, ralenties, amoindries par l’effet du temps, qui cherchent coûte que coûte à maintenir la continuité des satisfactions de base sans parfois y arriver, à leur plus grand désespoir. Il raconte notamment l’histoire d’Alicia Cabriaire qui, gravement atteinte d’Alzheimer, persistera à refuser l’internement en maison de retraite pour profiter encore de son chez soi… au point où sa famille fut menacée de poursuites judiciaires pour « non-assistance à personne en danger ». Il cite aussi l’autobiographie d’un homme âgé de soixante-dix ans, profondément seul, qui continue à aborder des jeunes femmes sur la plage bien qu’il sait n’avoir que peu de chances de les séduire. Ou encore celle de Edouard Dontreix qui, occupant sa retraite en faisant la chronique locale dans les bars, fait une dépression lorsqu’un accident de santé l’oblige à rester chez lui. Ces exemples disent tous la corrélation entre capacité individuelle, liberté et entretien des plaisirs nécessaires à la belle vie. Pour Patrick Pharo, cela doit nous pousser à réinterroger la place des maisons de retraire dans notre société qui, comme chacun sait, font parties des institutions les plus restrictives de l’autonomie en dépouillant leurs pensionnaires de tous les constituants de leur personnalité (culture, métier, identité, rang social…) pour les réduire à une fonction digestive. De ce point de vue, retarder l’internement des personnes âgées devrait être défendu. Du moins si nous parvenions à sortir d’« un climat moral qui interprète toute déficience ou routine anomique en termes de désordres et qui préfère généralement l’enfermement contraint aux risques naturels de l’existence solitaire, errances ou accident domestiques » (Plaisirs, p.174). Chiffre à l’appui, l’auteur montre en effet que s’il existe une bonne part d’internements inévitables, une autre partie pourrait être épargnée si les diagnostics médicaux ne reliaient pas trop vite la moindre déficience à une maladie dégénérative, ou si les grilles des tests de dépendances pratiques supprimaient des niveaux d’une précision chirurgicale pas toujours crédible. Si l’on veut toutefois pratiquer une politique garantissant une meilleure autonomie à des personnes qui souffrent déjà d’en manquer, une question d’ordre d’éthique se pose : comment être sûr que ceux et celles qui sont diminués cognitivement du fait de l’âge puissent faire des choix authentiques sur leur destin ? Là aussi, des solutions seraient envisageables : instituer des « directives anticipées » pour que les personnes puissent commander un choix ultérieur lorsqu’elles sont encore en pleine capacité de leurs facultés. Dans le cas où elles n’auraient pas été établies, le « jugement substitué » qui consiste à faire décider par un tiers ce que la personne aurait logiquement voulu peut constituer une solution. Reste bien sûr que si la perte d’autonomie liée aux dépendances psychoactives peut être retrouvée, il n’est aucune politique, à part peut-être dans les promesses du transhumanisme dans plusieurs dizaines d’années, qui puisse limiter celle liée au vieillissement lorsque la personne atteint un certain stade de déréliction. Ce qui, dès lors, donnerait plutôt des raisons encourageantes à la jeunesse à chercher son plaisir dans des « pratiques extrêmes » (Plaisirs, p.188) parmi lesquelles des dépendances pouvant s’avérer dommageables. Ce n’est ainsi pas un hasard si le sociologue estime dans un article postérieur à ses deux ouvrages que notre société aurait à gagner à développer au plus tôt « une éducation aux plaisirs non-destructeurs, et à une certaine sagesse de la jouissance qui sache redonner toute sa place à l’exaltation bien tempérée (…) » [11]

 

Remarques critiques

Au terme de ces deux ouvrages, le lecteur aura bénéficié d’une ouverture analytique sur pléthores de comportements sociaux que permet d’aborder le phénomène de la dépendance. Il est difficile une fois les livres refermés de ne pas interroger celles qui nous sont propres ainsi que les motivations réelles que nous avons à les entretenir. Peut-être en sortirons-nous mieux en accord avec nos choix personnels ou, à l’inverse, troublés, en s’apercevant qu’elles reposent sur des justifications artificielles que l’imaginaire est toujours prêt à développer pour nous entraîner dans la recherche du plaisir. Concernant les apports scientifiques que nous considérons comme propres à l’approche de l’auteur, nous renvoyons le lecteur intéressé en fin d’article [12] pour nous concentrer maintenant sur les critiques que nous aimerions adresser aux ouvrages et aux questionnements politiques qu’elles appellent.

Et le tabac ?

Il n’aura probablement pas échappé aux lecteurs de ces ouvrages qui ambitionnaient de traiter un grand nombre de dépendances existantes que celle générée par le tabac, pourtant l’une des plus partagées et meurtrières de l’humanité, manquait à l’appel. Certes, les 6 millions de morts annuels dans le monde et le milliard attendu pour le XXème siècle [13] ne constituent pas une justification scientifiquement valable pour s’y intéresser car cela signifierait que les sujets de recherche devraient être hiérarchisés suivant le degré d’horreur qu’ils inspirent. En réalité, cette omission (ou cet oubli ?) nous semble surtout curieuse parce que l’addiction à la cigarette auraient pu servir d’illustration prégnante à la théorie sociologique de Patrick Pharo et, par la même occasion, la confirmer. Comme il le montre pour les autres drogues, fumer des cigarettes les premiers temps peut relever d’une recherche d’esthétisation dans son rapport au monde. Elle est par exemple très symbolique chez les adolescents, comme l’historien Robert Proctor l’a récemment confirmé en dévoilant qu’il n’était pas un hasard si les compagnies de tabac avaient, au début du siècle, élaboré une stratégie marketing visant à inculquer aux jeunes l’idée que fumer procédait d’une « rébellion acceptable » [14]. Une autre histoire encore plus édifiante sur le calibrage de l’imaginaire orchestré par l’industrie du tabac nous est contée par Normand Baillargeon, philosophe et historien de l’éducation, dans la préface qu’il a écrit pour la parution du livre Propaganda [15] d’Edward Bernays – quant à lui surtout connu dans les milieux d’affaires du début du XXème siècle aux États-Unis pour avoir propulsé la création de l’industrie de la publicité et de ce qu’on nomme communément aujourd’hui les relations publiques. Le philosophe relate que cet homme fut missionné par l’American Tobacoo Company pour briser l’interdit social de fumer qui pesait encore sur les femmes à la fin des années vingt. Les raisons vont de soi : représentant 50% de la population, les femmes constituaient une demande potentielle conséquente. Pour y parvenir, E. Bernays met en place un stratagème très futé. Le jour de la célèbre parade annuelle de New-York, une dizaine de jeunes femmes sont embauchées pour s’aligner devant un groupe de journalistes préalablement alertés que des membres du mouvement des suffragettes, populaires à cette époque, allaient faire un coup d’éclat. À un signal donné, elles allumèrent toutes une cigarette. Dans les jours qui suivent, l’événement fait le tour des États-Unis et de l’Europe occidentale. Interrogées par les journalistes sur leur geste, ces femmes furent chargées de leur expliquer qu’elles avaient allumé, au nom de l’émancipation, les « flambeaux de la liberté » (torches of freedom). On devine sans mal la puissante charge symbolique qu’allait constituer ce geste et ce slogan dans l’esprit des personnes adhérentes à la cause des suffragettes – dont une bonne partie d’hommes – et dans la controverse qui ne manqua pas de s’ensuivre sur la question du droit des femmes de fumer en public. Les ventes de tabac à cette nouvelle clientèle explosèrent tout bonnement les années suivantes. Cet exemple nous montre ainsi de manière encore plus éloquente l’importance fondamentale des représentations mentales du « beau » – ici à travers l’illusion d’une liberté subversive – pour amener les individus sur le chemin de l’addiction. Il nous montre également une seconde chose : que la subjectivité positive éprouvée pour les drogues peut être prédéterminée par des causes extérieures à l’individu, comme si elle lui était finalement suggérée. Ce sera là le dernier point sur lequel nous aimerions revenir.

Dispositions sociales et consommation de drogues : des liens à retrouver

Nous l’avons vu, Patrick Pharo estime que les déterminismes propres aux milieux sociaux d’où proviennent les usagers de drogues sont insuffisants pour comprendre ce qui les a incliné à en consommer. De plus, on pourrait penser que son objectif n’était pas de réitérer une approche déjà très mobilisée sur la question, qui, au vu de l’échantillon restreint d’enquêtés (25 ex-drogués) et à la fois très varié en termes de milieux sociaux d’origines, de types de consommation et d’âge, n’aurait pu être utilisé que pour tirer des généralités hâtives. Cependant, il faut admettre que c’est en même temps là une des limites des résultats de l’enquête : ils ne sont généralisables que jusqu’à un certain point. En affirmant comme l’auteur qu’il faut tenir compte, au-delà des milieux sociaux, des justifications subjectives au bonheur intérieur des individus pour comprendre leurs conduites à risques, on oublie en fait, qu’il n’y a pas, d’un côté, des dispositions sociales où s’est trouvé (ou se trouve encore) le drogué et, de l’autre, sa subjectivité intime qui le porte à le devenir, mais que ces deux éléments se conditionnent même mutuellement. Comment expliquer sinon que la méthamphétamine, substance bricolée à partir d’engrais agricoles ou de détergents, soit devenue, ces dix dernières années aux États-Unis, la drogue de douze millions d’hommes et femmes blanches de classe laborieuse, alors que le ghetto noir de son côté en restait au crack ? [16] Si cela ne dit rien sur les propensions des individus à se droguer, on comprend en tout cas à travers cet exemple que les dispositions sociales favorisent de manière déterminante le type de subjectivité associée aux drogues. Simplement parce que toutes ne sont pas disponibles aux mêmes lieux et chez les mêmes classes sociales ou ethniques. Cela nous amène alors au cœur de notre critique. Car s’il y a bien un lien entre disposition et subjectivation, on peut supposer – ce que n’a pas pu faire l’auteur – que même lorsque l’individu est toujours libre de choisir de se « défoncer », certains environnements sociaux sont plus enclins que d’autres à conditionner son psychisme – ou sa subjectivité – à être séduit par l’idée. On pourrait citer quelques exemples pour l’illustrer. À commencer par ce passage de la préface de la biographie à grand succès en Allemagne et en France de Christiane, ancienne usagère d’héroïne, écrit par le psychosociologue Horst-Eberhard Richter [17]. Il y fait un lien direct entre la perception de l’organisation spatiale d’un quartier de la banlieue de Berlin et le nombre plus important qu’ailleurs d’alcooliques et de toxicomanes qu’on y rencontre :

            « Les déserts de béton de beaucoup de nos « zones d’assainissement » modernes enferment les gens dans un environnement totalement artificiel, froid, mécanique, qui aggrave dans des proportions catastrophiques tous les conflits […]. La « cité Gropius » [celle où vivait Christiane, ndlr] n’est qu’un exemple. Ils sont nombreux, ces grands ensembles construits uniquement dans une perspective fonctionnelle, technique, en oubliant les besoins affectifs des êtres humains, et devenus un bouillon de culture pour les troubles psychiques ainsi que – ce n’est pas un hasard – des « points chauds » de l’alcoolisme et de la toxicomanie juvéniles » (p.12).

Autre exemple dans un environnement totalement différent, celui du rappeur Eminem, revenu sur le devant de la scène en 2009, après deux ans d’absence pendant lesquels il s’adonnait à une consommation extrême de ce qu’on appelle aujourd’hui les « pilules du bonheur » aux Etats-Unis. Ce sont en fait des anxiolytiques prescrits par les médecins qui, faute de cadre juridique régulateur et d’autocontrôle des patients, ont généré des addictions auprès de millions d’américains [18]. En ce qui le concerne, le rappeur a été plongé dans des dispositions sociales si spécifiques aux artistes de son acabit – fêtes gigantesques d’après concerts et conditions de travail épuisantes – qu’elles semblent avoir conditionné fortement ses motivations personnelles à tester ces pilules et à en reprendre, d’autant que celles-ci étaient disponibles en permanence.

« Je n’ai commencé qu’au moment où ma carrière a démarré. (…) Plus les concerts prenaient de l’importance, plus les fêtes en coulisse étaient démentes, plus il y avait de drogues. Au début, c’était juste pour le kiff. J’étais encore capable d’arrêter dès que la tournée s’achevait. (…). C’est à l’époque du film 8 Mile que les problèmes ont commencé. On bossait seize heures d’affilées sur le plateau et j’avais du mal à dormir. Un jour, quelqu’un m’a donné un Ambien et ça m’a assommé. C’était comme si je réalisais que j’en avais toujours eu besoin. Je m’en suis donc fait prescrire par un médecin. Au bout de quatre ou cinq mois, tu succombes à l’accoutumance et tu commences à taper dans les pilules du lendemain. (…) Sur la tournée Anger Management 3 (…) j’avalais tellement de cachets que je ne les prenais même plus pour être défoncé mais pour me sentir normal. Bien sûr j’étais raide, mais pour y parvenir je devais absorber des quantités absurdes. J’avoue qu’en une journée, je pouvais descendre entre quarante et soixante Valium. Et en plus du Vicodin… Peut- être vingt ou trente, je ne sais plus (…) En 2007, lorsque j’ai fait mon overdose, les médecins m’ont dit que j’avais pris l’équivalent de quatre sachets d’héroïne et que j’étais à deux heures de mourir » (Interview au magazine Rolling Stone le 17 octobre 2011).

 Toujours suivant la même logique, on peut citer en dernier exemple : celui d’une analyse de la sociologue Marie-Jauffreet Roustide qui montre qu’on peut aussi comprendre que le choix de consommation pour une drogue spécifique peut se trouver, à un moment donné, plus encouragé qu’il ne l’était auparavant en raison d’attentes sociétales. Entre autres, la multiplication par trois ces dix dernières années de l’usage de cocaïne en France et dans de nombreux pays d’Europe chez les jeunes de moins de 25 ans. Elle correspondrait selon elle à une intériorisation plus forte des individus de l’injonction à la performance (notamment au travail) et, d’autre part, au regard moins stigmatisant que la société porte sur cette drogue qui représenterait moins aujourd’hui un geste de contestation sociale que celui d’une recherche d’extase. Il paraît donc logique que « le rapport aux drogues doit être intégré dans son contexte social et politique pour en saisir les significations » [19].

Au fil de ces trois exemples nous comprenons que laisser au second plan l’exercice du social sur les dispositions mentales des drogués pour les interpréter de manière indépendante peut, dans certains cas de figure, faire accoucher d’une analyse mono-causale, limitée aux seules capacités de subjectivation individuelle. Cela ne remet pas en cause les conclusions de Patrick Pharo dans Philosophie pratique de la drogue mais dans le cas où il s’agirait d’appréhender plus globalement la dépendance aux drogues dans la société, son approche ne permettrait pas d’intégrer les effets structurant des contextes économiques, sociaux ou urbains qui peuvent d’ailleurs être parfois invisibles aux usagers eux-mêmes s’ils demeurent longtemps sédentaires. Sur le plan politique, ces effets appellent à être pris en compte pour renforcer la palette des solutions diminuant l’impact sanitaire des consommations excessives. Comme celle, par exemple, dite « de réduction des risques », dont le raisonnement, simple, considère qu’un monde sans drogue étant une utopie servant au mieux à justifier la répression, il conviendrait plutôt d’encourager ceux qui ont décidé de s’y adonner quand même « à utiliser les produits les moins dangereux dans un cadre sécurisé » [20]. Un principe qui s’était notamment matérialisé dans plusieurs pays par l’ouverture de lieux d’accueil et de soins de premières urgences pour les toxicomanes. En dépit de résultats largement concluants sur ces quinze dernières années [21], l’idée n’a pourtant rencontré que très peu d’échos chez les politiciens français dont la frilosité actuelle à entamer la première ouverture de ce que les journalistes ont hâtivement appelé une « salle de shoot » témoigne de la complaisance idéologique dans laquelle les partis politiques et leurs électeurs se drapent encore. Quel que soit en tout cas l’éventail des solutions qui seront entreprises dans les années à venir, il reste qu’une réduction drastique de la consommation de drogue reste bien difficile à concevoir dans un cadre de forte disponibilité et de renouvellement des produits encouragés, comme dans la « société de consommation », par la loi de l’accumulation infinie de la plus-value. Si comme le dit l’historienne E. Herrera-Vega, les sociétés traditionnelles étaient épargnées par les effets néfastes des drogues, ce n’est pas parce qu’elles n’en disposaient pas. Mais bien parce que leur usage était régulé par les rituels et en empêcher le trafic tous azimut qui s’est ensuite développé par l’encastrement des sociétés dans le capitalisme contemporain [22]. Est-ce que seule une perspective révolutionnaire serait à même de nous faire renouer avec un monde aux défonces bien mesurées ? En attendant les lendemains qui chantent pour le savoir, on pourra continuer à plancher sur l’analyse des dépendances aux drogues qui réservent encore bien des surprises à l’heure où les centres de désintoxication états-uniens reçoivent les premières personnes accro au… sirop de toux [23].

Cléo Armand

 

NOTES
[1] On retrouve un concept similaire dans le célèbre roman de Milan Kundera L’insoutenable légèreté de l’être. L’écrivain partage avec le sociologue l’idée que les individus s’engagent dans certaines conduites moins par rationalité que par subjugation pour les beautés intérieures qu’elles procurent et qu’il appelle le kitch (qui se définit effectivement, si l’on suit le psychologue A. Moles, comme « un mode esthétique de relation avec l’environnement »). À partir de ce concept, il prétend ainsi révéler les vraies raisons pour lesquelles les individus « de gauche » participeraient à des protestations collectives, même si, bien entendu l’approche est ici particulièrement réductrice : « [L]es mouvement politiques ne reposent pas sur des attitudes rationnelles mais sur des représentations, des images, des mots, des archétypes dont l’ensemble, constitue tel ou tel kitch politique. L’idée de la Grande Marche [la manifestation internationaliste à laquelle participe le personnage principal, ndlr], dont Franz aime à s’enivrer, c’est le kitch politique qui unit les gens de gauche de tous les temps et de toutes les tendances. La Grande Marche, c’est ce superbe cheminement en avant, le cheminement vers la fraternité, vers l’égalité, la justice, le bonheur, […]. La dictature du prolétariat ou la démocratie ? Le refus de la société de consommation ou l’augmentation de la production ? La guillotine ou la peine de mort ? Ça n’a aucune importance. Ce qui fait d’un homme de gauche un homme de gauche ce n’est pas telle ou telle théorie, mais sa capacité à intégrer n’importe quelle théorie dans le kitch appelé Grande Marche ». (p.354-355)

[2] Assoun P.-L., « Psychanalyse et addiction », in Éric-Pierre Toubiana (dir.), Addictologie clinique, Éd. Puf, 2011.

[3] Ibid.

[4] C’est pourquoi, en établissement de cure, « les soignants n’aiment pas en parler, parce qu’elle risque de mettre les patients en situation de supériorité ou de toute puissance » (Philosophie, p.130).

[5] “If you don’t believe drugs have done good things for us, do me a favor: go home tonight and take all your albums, all your tapes, and all your cd’s and burn them. ‘Cause you know what? The musicians who’ve made all that great music that’s enhanced your lives throughout the years… real fucking high on drugs” in Tool, “Third Eye” (0:11 – 0:21), AEnima, 1996.

[6] 3 500 flics veulent légaliser les drogues – Vice.com

[7] Voir également cette étude récente qui le confirme : M. Wouters, A. Benschop, M. van Laar, D.J. Korf, « Cannabis use and proximity to coffee shops in the Netherlands », European Journal of Criminology, 2012, vol. 9(4), pp. 337-353.

[8] Artaud A., « Lettre à monsieur le législateur : de la loi sur les stupéfiants » in Circ (collectif), Du cannabis et de quelques autres démons… Lettre ouverte aux législateurs suivie de La lettre d’Antonin Artaud à Monsieur le Législateur de la loi des stupéfiants, Éd. L’esprit Frappeur, 1997.

[9] Levève C., « Le droit à la mort peut-il être reconnu par la médecine ? À propos du dialogue radiophonique « Le droit à la mort » entre Georges Canguilhem et Henri Péquignot (1975) » in Doron C.-O. et al, Soin et subjectivité, Éd. Puf, 2010.

[10] Valleur M. et Matysiak J.-C., Le Désir malade. Dans un monde libre et sans tabous, Lattès, 2011.

[11] Pharo P., « Addictions et éthique de la belle vie », Études, n°10, 2012, pp. 329-339.

[12] Ce qu’il y a probablement de plus novateur dans ces ouvrages est l’articulation que le sociologue parvient à réaliser entre sociologie morale et biologie et plus spécifiquement neurosciences (nous l’avons vu dans la première partie de cette recension sur les drogues mais les références aux mécanismes du cerveau humain sont aussi omniprésentes dans Plaisirs). Probablement parce que l’opposition binaire et parfois sclérosante entre naturalisme et constructivisme est encore présente en sociologie, rares sont les sociologues qui conversent avec les sciences « dures » pour élucider les phénomènes qu’ils étudient. Or, on l’aura sûrement remarqué, mais dans le cas de la dépendance et de l’addiction, neuroscience et sociologie seraient toutes deux impuissantes à les cerner si elles n’étaient mises en confrontation. En montrant qu’un certain nombre de dépendances sont orientées par la subjectivité esthétique ou éthique tout autant qu’entretenues par la mécanique des circuits de la récompense, l’auteur ouvre sûrement les portes d’une approche scientifique qui pourrait s’avérer féconde à l’avenir. Il s’agit de celle qu’évoquait déjà Dominique Guillo et qui consiste à appréhender les faits sociaux à travers le double jeu de l’objectivation des propriétés du vivant et la puissance d’imagination de celui qui les invoque. Cf Fornel (de) M., Lemieux C. (dir.), Naturalisme versus constructivisme ?, Éd de l’EHESS, 2007.

[13] À l’échelle mondiale, on peut compléter les données de Proctor par les statistiques, cartes et graphiques fournis par le site Tobacco Altas  

[14] Proctor R., Golden Holocaust : Origins of the Cigarette Catastrophe and the Case for Abolition, Berkeley (Ca.), University of California Press, 2012.

[15] Bernays E., Propaganda. Comment manipuler l’opinion en démocratie, Zones, [1929] 2007.

[16] Voir

[17] Hermann K. et Rieck H., Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée, Éd. Folio, 1981.

[18] Laurent S., Rebelle sous ordonnance. Eminem ou l’Amérique intoxiquée, La Vie des Idées, le 23 octobre 2009.

[19] Roustide J.-R., « Un regard sociologique sur les drogues : décrier la complexité des usages et rendre compte des contextes sociaux », La revue Lacanienne, n°5, 2009, p.109-118.

[20] Coppel A., « La réduction des risques liés à l’usage de drogues, stratégie de changement des politiques à l’égard des drogues », in R. Colson (dir.), La prohibition des drogues : Regards croisés sur un interdit juridique, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2005, p. 121

[21] À titre d’exemple, on pourra consulter cet article qui fait état d’une étude scientifique démontrant qu’à Vancouver, l’ouverture de centre d’accueil pour les toxicomanes a participé à la réduction de l’épidémie de HIV et de consommation de drogues illicites.

[22] Vega-Herrena E., Trafic de drogue et capitalisme : un paradoxe contemporain, Éd. L’Harmattan, 2007.

[23] Pourquoi les rappeurs sont-ils accro au sirop pour la toux ?, La Dépêche, août 2012.

 

Pour aller plus loin
Pharo P., Philosophie pratique de la drogue
, Éd. Cerf, 2010.
Pharo P., Plaisirs et dépendances dans les sociétés marchandes, Éd. De l’Université de Bruxelles, 2012.

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