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5 août 2013

Pour un projet anarchiste de la convergence

Dans la lettre ci-dessous, Pierre Bance renouvelle, en quelque sorte, l’adresse aux anarchistes d’Émile Pouget (1897), de Fernand Pelloutier (1899) ou de Pierre Monatte (1907), bien d’autres alors ou par la suite. Elle vient d’ailleurs en résonnance avec la réflexion de Tomás Ibáñez, « L’anarcho-syndicalisme face au défi de sa nécessaire transformation » (publiée sur Autre futur.net  http://www.autrefutur.net/L-anarcho…). Pierre Bance demande aux libertaires de sortir de leur tour d’ivoire, d’admettre d’autres points de vue sans renoncer aux leurs pour participer à la construction d’un nouveau mouvement social capable d’influer sur le présent, de préparer le futur. Autrefois, il s’agissait de les inciter à rejoindre les syndicats, ce qui fut fait, pour un temps, avec succès puisque leur influence y fut parfois décisive et qu’elle continue à faire référence comme dans la Charte d’Amiens et vivre dans les pratiques d’action directe, l’assemblée souveraine, le mandatement impératif, la grève générale… Aujourd’hui, la tâche est plus compliquée car l’union fédérative anti-autoritaire et autogestionnaire reste à penser et à construire. Qui en prendra l’initiative ?

De divers horizons militants, sous des formes variées, la nécessité d’aller au-delà du simple « agir ensemble » pour confluer vers une organisation durable se fait jour, apparaissant, dans le contexte social et politique, comme impérieuse. Si cette volonté ne l’emporte pas, comme depuis des décennies, les anarchistes, les autres anticapitalistes, continueront de s’épuiser dans leur pré carré, de se déchirer sur des questions féodales, de remporter de petites victoires dont les politiciens les dépossèderont, d’attendre l’événement déclencheur, le développement soudain auxquels ils ne croient pas eux-mêmes.

Telle est cette contribution au débat que présente le site Un Autre futur.net, espace d’échanges ouvert aux multiples apports du mouvement ouvrier et révolutionnaire, depuis l’anarchisme et l’anarchosyndicalisme jusqu’au marxisme non léniniste et au conseillisme.

D’après la note de l’éditeur – Un Autre futur.net

 


 

Le projet anarchiste connaît deux stades liés : la pureté, le pragmatisme.

Le projet anarchiste pur analyse une situation selon ses seuls principes moraux : le pouvoir est maudit. Dès l’origine, les travailleurs anarchistes durent introduire du pragmatisme dans la critique anarchiste pure pour répondre aux contraintes de leur subordination : le pouvoir est maudit mais il est. Un troisième stade est commandé par la réalité, l’anarchisme pragmatique, les mouvements qu’il induit et qui le portent ne sont pas en capacité de parvenir au communisme ; il leur faut converger avec d’autres : le pouvoir est maudit, notre idéal est émancipateur, notre critique pertinente, nos outils efficaces, mais seuls nous ne sommes rien.

Le projet anarchiste pur

La base théorique

Tout État est source de domination et d’aliénation. La domination étatique crée l’aliénation des sujets ; l’aliénation des sujets nourrit la domination étatique. L’anarchie, par la suppression de l’État, ambitionne de faire disparaître toutes formes d’autorité illégitime (politique, économique, sociale, culturelle) pour que naisse une société fédéraliste émancipée fondée sur l’autonomie, l’égalité et la solidarité des personnes physiques et morales.

Mais cette suppression doit être immédiate, on ne compose pas avec l’État. À défaut, il se reconstitue aussi monstrueux qu’avant comme l’illustre l’histoire des révolutions russe de 1917 et espagnole de 1936.

La critique

La critique anarchiste pure aborde toute problématique théorique comme pratique à partir de la destruction de l’État.

Tout État, quel qu’il soit, est soumis à une critique sans appel car, le voudrait-il, il ne peut faire disparaître la domination. Les atténuations proposées sont des leurres pour mieux faire accepter le système : – l’exemple-type dans le postulat démocratique étant le suffrage universel ; – l’exemple-type dans le postulat marxiste-léniniste étant la dictature du prolétariat. L’un comme l’autre renforcent l’État et la classe dominante, bourgeoisie ou bureaucratie.

Cette disqualification de l’État autorise la pensée anarchiste pure à ne pas s’épuiser dans l’analyse des phénomènes politiques, économiques, sociaux ou culturels pollués par le pouvoir et l’aliénation. Une expérience sociale de réinsertion bénéficie de subventions ; une coopérative ouvrière participe à la société marchande ; une mutuelle cautionne l’inégalité de l’accès aux soins ; un délégué syndical concourt à la perpétuation de l’exploitation capitaliste. À ce titre, ces activités associative, coopérative, mutualiste ou syndicale sont condamnées par la critique anarchiste pure.

La raison anarchiste pure est un extrême de la pensée qui n’entrevoit de solution que dans la révolution pour les uns, l’« en-dehors » pour les autres. Elle est utile pour couper court aux arguties politiques ou éviter de se laisser entraîner dans une dialectique lénifiante mais, en contrepoint, elle fige le débat car ne remet pas en cause ses présupposés, elle s’oppose au compromis et à toute convergence. Théorie de la résistance d’une logique implacable, elle est cependant statique, plus proche de la philosophie que de la politique.

Le projet anarchiste pragmatique

Une vigilance théorique

L’idée anarchiste pragmatique est sous-tendue par la pensée anarchiste pure c’est ce qui distingue le pragmatisme révolutionnaire du pragmatisme réformiste sans projet. La critique anarchiste pure est conservée comme socle d’une pensée cohérente, comme garde-fou, comme recours ultime quand l’État impose ou étend sa domination pour empêcher ses sujets de penser et d’agir, magnifie l’aliénation pour les rendre incapables de penser et d’agir. L’anarchisme pragmatique permet d’envisager des niveaux d’analyse que néglige la critique anarchiste pure.

Une pratique émancipatrice

La pratique anarchiste pragmatique donne vie à la critique anarchiste pure en résonnance avec ses mises en garde. La pratique anarchiste pragmatique élabore des procédures d’analyse et des moyens d’action qu’elle considère efficients, tant dans le quotidien que pour l’avenir. Ces techniques tournent autour de la mécanique fédérale, des processus décisionnels et de la problématique de la représentation, c’est-à-dire de l’étendue et du contrôle du mandat jusqu’aux limites du raisonnable.

Plutôt que d’attendre statique l’hypothétique révolution ou de verser dans une radicalité de la désespérance, la pratique anarchiste pragmatique intervient dans la société pour en limiter les effets néfastes aussi pour soumettre à la réalité sa théorie et sa pratique. Ce faisant l’idée « anarchiste » prend une dimension universelle qui échappe à toute appropriation doctrinale ; elle n’est qu’une commodité de langage pour désigner un futur émancipé.

Le projet anarchiste de la convergence

Une réponse à l’impuissance organisationnelle

Cette lucidité de l’anarchisme pragmatique doit le conduire à la convergence. Alors qu’il y a plus de cent ans le syndicalisme révolutionnaire parvint à réunir tant des anarchistes que des marxistes, des révolutionnaires que des réformistes et, plus que tout, des travailleurs déterminés à en finir avec leur situation d’exploités, ne peut continuer un discours défaitiste de l’impossible convergence anticapitaliste et libertaire dans un mouvement fédéraliste. Alliance, méthodiquement structurée, ayant pour ambition d’en finir avec l’État en préparant la grève générale, résolue à lutter, dès aujourd’hui, pour contraindre les pouvoirs en place.

Pourquoi converger ? Parce que les faits sont là, les anarchistes organisés ne pèsent pas sur la réalité et n’ont jamais pesé durablement. Parce que, les autres anticapitalistes anti-autoritaires ne sont pas plus en mesure d’exister et qu’aujourd’hui, beaucoup adhèrent en tout ou partie à la pensée et à la pratique anarchistes. Parce qu’il faut veiller à ce que celles-ci ne soient pas détournées par des révolutionnaires étatistes avides de permanences bureaucratiques, de charges électives, comme elles peuvent être récupérées par l’étatisme libéral ou social-libéral au travers de la démocratie participative, délibérative ou radicale. Facteurs qui, justement, en son temps, tuèrent le syndicalisme révolutionnaire et, plus près de nous, le mouvement altermondialiste.

Une dynamique de l’intelligence

Pour le futur, une question obsède : jamais, il n’a été possible de faire disparaître l’État du jour au lendemain, par le fait accompli ou par décret. À l’opposé, la théorie marxiste-léniniste de conquête du pouvoir par un parti puis du dépérissement de l’État s’est avérée plus inopérante encore, conduisant à l’exact contraire du communisme.

Pour le présent, de nombreux problèmes théoriques et pratiques sont à résoudre : de la stabilité à donner à la démocratie directe (formes d’organisation, méthodes d’implantation, modalités d’action…) à la détermination des relations avec le politique (État, partis, question électorale…). Les promoteurs et les acteurs de la convergence auront la responsabilité de vérifier des hypothèses et de les réviser en fonction de l’expérience, d’apporter une, des réponses conciliables, de faire un pas, grand s’il le faut, pour mettre à distance leurs propres points de vue, leurs préjugés, leurs ressentiments car aucune théorie ou doctrine, aucune personne ou groupe, aucun syndicat ou parti ne peut affirmer avoir – toujours – raison. Même si l’évidence et la nécessité doivent faire question, celle-ci sera moteur plutôt que frein.

Les convergences ponctuelles, nombreuses dans les luttes sociales et professionnelles, doivent conduire à la convergence idéologique et organisationnelle. Le mouvement contre la réforme des retraites, en octobre 2010, montrait le chemin. Hélas, personne n’était préparé pour le suivre et passer d’une solidarité spontanée à une solidarité pérenne et organisée. Mais, il n’est pas trop tard.

Pierre Bance – 14 septembre 2012


«  La besogne syndicale [est] obscure, mais féconde  », disait Fernand Pelloutier dans sa Lettre aux anarchistes en 1899. Voilà ce qui attend les révolutionnaires anti-autoritaires, autogestionnaires de tous horizons. Ils dépasseront leurs certitudes et construiront une entente qui accepte la différence, préserve l’autonomie tout en assurant l’efficacité de l’organisation et de la décision pour améliorer la vie quotidienne, pour penser et préparer un Autre futur.


 

Texte libre de droits avec mention de l’auteur : Pierre Bance

Source : Autrefutur.net – site pour un Syndicalisme de base, de lutte, autogestionnaire, anarcho-syndicaliste & syndicaliste révolutionnaire

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