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7 octobre 2014

Plaidoyer pour la liberté négative – Ruwen Ogien

Article de préparation au séminaire ETAPE sur le thème Libéralisme, anarchisme et critique de l’Etat – texte inédit

 

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MC Escher - Jour et nuit

MC Escher – Jour et nuit

Par Ruwen Ogien

(philosophe, directeur de recherche au CNRS, auteur notamment de L’État nous rend-il meilleurs ? Essai sur la liberté politique, Gallimard, 2013)

 

 

À quoi sert l’État ?
Quelles sont les limites politiques et morales de son action ?
Dans quelle mesure peut-il légitimement employer la violence contre ses propres citoyens et, de façon plus générale, contre celles et ceux qui se trouvent sur son territoire ?
Les philosophes donnent des réponses différentes à ces questions selon la conception qu’ils se font de la liberté politique.
Le problème, c’est qu’il existe une quantité presque décourageante de façons différentes et contradictoires d’envisager cette liberté [1].
Heureusement, deux conceptions se détachent nettement de l’ensemble, par la masse de réflexions qu’elles ont suscité, et par la richesse de leurs implications pratiques [2].
L’une de ces conceptions est « négative » et l’autre « positive ».
En quoi se distinguent-elles exactement ?

 

La liberté négative

 

Selon la conception négative, comme je la comprends, nous sommes libres dans la mesure où personne n’intervient concrètement dans nos vies pour nous empêcher de faire ce que nous voulons, ou nous forcer à faire ce que nous ne voulons pas [3].
Pour le dire plus brièvement: être libre au sens négatif, c’est ne pas avoir de maître.
Les contraintes qui portent atteinte à notre liberté négative sont purement extérieures : ce sont celles que nous impose la volonté d’autrui.
La liberté négative ignore les contraintes intérieures, celles qui ont pour origine nos désirs incontrôlés ou nos croyances fausses.
Même si nous sommes « prisonniers » de nos passions, nous serons, néanmoins, libres au sens négatif, si personne ne nous oblige à les ressentir, et si personne ne nous force à les combattre.
Comme projet politique, la liberté négative consiste à savoir ce qu’on ne veut pas, ce qu’on ne veut plus. Ce n’est pas avoir en tête une idée très précise de ce qu’on aimerait voir à la place.
Les mouvements d’« indignés », qui surgissent un peu partout dans le monde aujourd’hui, montrent assez bien ce que les revendications de liberté négative peuvent signifier au plan politique.
Les manifestants désignent clairement ce dont ils ne veulent plus : la concentration du pouvoir et des richesses entre les mains de quelques uns, la cupidité et l’arrogance de ceux qui bénéficient de ces privilèges. Mais ils ne se rangent collectivement derrière aucun programme économique ou politique précis de redistribution des richesses et du pouvoir [4].
Autre exemple d’expression de la conception négative de la liberté. Dans le film Lincoln, de Steven Spielberg, il y a un débat sur l’abolition de l’esclavage : si on donne la liberté aux esclaves, qu’en feront-ils ? La réponse de Lincoln exprime bien l’idée de liberté négative : arrêtons de les dominer, arrêtons d’être leur maître, ils feront ce qu’ils veulent de leurs vies ensuite.
Enfin, du point de vue des institutions, la conception négative présente un trait extrêmement controversé : elle définit la liberté politique comme « silence de la loi » [5].
Concrètement, cela signifie que, selon la conception négative, le domaine de la liberté politique est celui de ce qui est permis par la loi, par opposition à ce qui est  obligatoire ou interdit.
Plus abstraitement, on pourrait dire que la conception négative de la liberté nous demande de ne jamais confondre le fait d’être libre et celui de se soumettre à des lois qui obligent ou interdisent, fussent-elles utiles au plus grand nombre, justes, bonnes, rationnelles.
La liberté est une chose ; la soumission aux lois en est une autre, complètement différente.

 

La liberté positive

 

En fait, il n’est pas facile de trouver, dans la littérature spécialisée une définition de la liberté négative simple, cohérente, et, surtout, susceptible de faire comprendre assez clairement en quoi elle pourrait se distinguer de la liberté positive. Celle que je viens de proposer, s’inspire en gros de l’analyse classique d’Isaiah Berlin [6].
Elle définit la liberté politique par une formule très simple : c’est l’absence d’obstacles à nos actions du fait d’autrui.
Mais elle précise aussi ce que la liberté politique n’est pas :

– Ce n’est pas la maîtrise de soi et de ses passions personnelles.

– Ce n’est pas la participation à un projet politique bien précis.

– Ce n’est pas l’obligation politique : selon la conception négative, il n’y a pas d’identité conceptuelle entre la liberté et la soumission à la loi.

Cette définition est contestable, bien sûr.
Mais elle a l’avantage de nous donner la possibilité de construire une définition de la liberté positive assez claire par contraste.
La liberté positive est une conception philosophique qui s’oppose point par point à l’idée de liberté négative comme je l’ai caractérisée.
D’abord, dans la perspective positive, la liberté politique ne se résume pas à un mouvement purement négatif. Être libre ne se réduit pas au fait d’échapper à l’intervention concrète des autres dans notre vie. Et se libérer ne signifie pas seulement rejeter ce qu’on ne veut pas ou ce qu’on ne veut plus. C’est aussi viser le bien: un monde meilleur, une vie plus pleine, etc.
Ensuite, la conception positive n’est pas neutre en ce qui concerne le genre de personne qu’il faudrait être, et le style de vie qu’il conviendrait d’adopter. D’après elle, en effet, être libre c’est être « maître de soi ». C’est agir de façon juste ou rationnelle. C’est œuvrer, entre autres, au bien commun en participant activement à la vie publique. Pour les amis de la conception positive, en effet, la liberté est une vertu qu’il faut impérativement distinguer de la « licence », cette « fausse » liberté, qui nous conduit à suivre aveuglément nos désirs, à faire des choses folles, stupides, égoïstes, irrationnelles, ou répugnantes comme le libertinage entre adultes consentants.
La liberté positive consiste, pour chaque être, individuel ou collectif, à se déterminer de façon autonome par la raison ou la réflexion, et à réaliser ainsi ce qu’il contient en lui de meilleur. En ce sens, c’est une conception « perfectionniste ».
En résumé, si être libre au sens négatif consiste à ne pas avoir de maître, être libre au sens positif revient à être maître de soi.
Enfin, alors que la conception négative de la liberté politique se définit par le « silence de la loi », la conception positive affirme que la liberté n’est rien d’autre que l’obéissance à la loi, dans la mesure où nous en sommes nous mêmes les auteurs.
Elle ne voit pas d’inconvénient, non plus, à considérer que des lois à l’élaboration desquelles nous n’avons pas participé soient des expressions de notre liberté positive. Il suffit que ces lois protègent ou promeuvent nos intérêts les plus fondamentaux, même ceux dont nous ne sommes pas conscients.

 

Politique et non métaphysique

 

Ces deux conceptions de la liberté sont politiques et non métaphysiques en ce sens qu’elles disent non pas ce qui est possible ou impossible, nécessaire ou contingent, mais ce qui est désirable ou indésirable du point de vue des genres de vie personnels et de la forme de la société, ou ce qui devrait être obligatoire, permis, ou interdit par la loi.
Elles laissent de côté la question embrouillée de savoir si chacun d’entre nous possède le « libre arbitre » ou le choix d’agir autrement à tout moment sans être déterminé par le passé et les lois de la nature.
Les limites que la nature impose à nos actions, comme celles qui nous interdisent de sauter en longueur à plus de vingt mètres sans tricher, ne comptent évidemment jamais comme des obstacles à la liberté politique, qu’elle soit négative ou positive.

 

Contre la liberté positive

 

Je vais essayer d’expliquer pourquoi mes sympathies vont à la conception négative de la liberté, ou pourquoi je prends parti contre la conception positive de la liberté.
À première vue pourtant, la conception positive de la liberté est une doctrine solide, qui repose sur des jugements de bon sens :

« La liberté, ce n’est pas la licence, la débauche ! »
« Être libre, ce n’est pas faire n’importe quoi : c’est faire ce qui est bien. »
« La liberté, ce n’est pas l’anarchie ! »
« Être libre, ce n’est pas échapper à toute contrainte : c’est obéir à la loi quand elle est juste. »

Cependant, quand on s’intéresse aux implications de ces jugements communs, on s’aperçoit qu’ils n’ont rien d’évident.
L’ami de la liberté positive affirme que nous ne sommes vraiment libres que lorsque nous agissons bien, c’est-à-dire de façon vertueuse, juste, rationnelle.
Il devrait s’ensuivre, pour lui, que nous ne sommes jamais vraiment libres quand nous agissons mal, ou de façon injuste, cruelle, irrationnelle.
Mais comme on le sait depuis qu’on a fait dire à Socrate « Nul n’est méchant volontairement », c’est une affirmation paradoxale.
Elle pourrait impliquer qu’il serait parfaitement injuste de punir les auteurs des actions les plus répugnantes, car ils n’étaient pas vraiment libres au moment où ils les ont accomplies.
C’est une conclusion que les nazis (et tous ceux qui les imitent) ont essayé d’exploiter à leur avantage lorsqu’ils ont été traduits devant la justice, mais qu’on n’est pas obligé d’accepter.
D’autre part, la conception positive de la liberté affirme que la soumission aux lois qui obligent ou interdisent n’est pas nécessairement une restriction à la liberté, si ces lois sont valides selon certains critères communément acceptés.
Mais il existe des raisons de se méfier de cette idée.
Elle implique, entre autres, que des citoyens rationnels devraient se sentir parfaitement libres s’ils étaient emprisonnés à perpétuité conformément à des lois valides.
Il n’est pas évident que les principaux concernés (ceux qui moisissent en prison) partagent ce point de vue.
Il y a encore beaucoup d’autres raisons conceptuelles, de rester sceptique à l’égard de la liberté positive que j’examine dans mon livre.

 

La liberté comme non domination

 

Bien que je rejette la conception positive de la liberté, je ne crois pas qu’il soit possible d’endosser sa concurrente négative sans amendements.
Dans son état primitif, elle peut servir à justifier des régimes les plus autoritaires ou les plus despotiques. C’est une conséquence plutôt paradoxale pour une théorie de la liberté politique, et qu’on ne peut pas vraiment mettre à son actif ! Philip Pettit a réussi à identifier les origines  de ce paradoxe, dans une analyse particulièrement stimulante [7].
Son raisonnement est le suivant.
Supposons que nous soyons les esclaves d’un maître paresseux, négligent, ou bienveillant. Il n’intervient pas physiquement pour nous empêcher de faire ce que nous voulons, ou nous forcer à faire ce que nous ne voulons pas.

Sommes-nous libres du fait de cette abstention ?

Non, répond Pettit, car être libre ne se réduit pas à être empêché d’agir comme nous le voulons.  C’est aussi ne pas être soumis aux caprices d’un maître qui pourrait nous empêcher d’agir ainsi s’il en avait le désir. C’est échapper à sa domination [8].
Par ailleurs, certaines lois mises en application par l’État ne sont pas arbitraires, en ce sens qu’elles vont dans le sens de nos intérêts profonds. Ce sont clairement des ingérences dans nos vies, puisqu’elles voudraient nous obliger à faire des choses que ne voulons pas, ou nous empêcher de faire des choses que nous voulons.

Cessons-nous d’être libres du fait de ces ingérences ?

Non, dit Pettit. Ces ingérences ne sont pas ne sont pas des formes de domination, car elles ne sont pas arbitraires.[9] Lorsque nous nous soumettons à ces lois, nous ne perdons nullement notre liberté.
D’après la conception classique de la liberté négative, nous sommes libres dans la mesure où personne ne nous empêche de faire ce que nous voulons, et personne ne nous force à faire ce que nous ne voulons pas.
Philip Pettit répond que nous pouvons être esclaves même lorsque personne ne nous empêche de faire ce que nous voulons, et libres même lorsqu’on nous force à faire ce que nous ne voulons pas.
C’est à partir de ces deux objections qu’il élabore, contre l’image classique, sa version personnelle de l’idée de liberté négative: la liberté comme non domination.

 

Une conception minimaliste de la liberté politique

 

La conception de la liberté comme non domination permet de donner un contenu philosophique plus clair, et une portée pratique plus large à la liberté négative.
En effet, si la liberté négative consiste, au fond,  à ne pas être soumis à la volonté des autres, c’est-à-dire à ne pas avoir de maître, la proposition est générale et concerne tous les  maîtres, même ceux qui n’interviennent pas dans la vie de leurs subordonnés, parce qu’ils sont paresseux, négligents ou bienveillants.
Comme de nombreux philosophes, je considère que cette contribution à la compréhension de la liberté négative est particulièrement intéressante, même si elle pose toutes sortes de problèmes conceptuels [10].
Elle libère la liberté négative de la plupart des paradoxes qu’elle engendrait dans sa version classique.
Ainsi, on ne voit pas comment une conception de la liberté politique comme non domination (de l’État ou de la société) pourrait servir à justifier un régime despotique.
Mais la conception de la liberté comme non domination, prise comme une doctrine politique d’ensemble, contient d’autres éléments que je trouve moins attrayants.
Elle affirme, par exemple, que nous restons libres même lorsque les autres interviennent dans nos vies, si ces interventions sont utiles, si elles promeuvent nos intérêts profonds.
Elle tend à considérer que l’obéissance aux lois, quand elles ne sont pas arbitraires, est créatrice de liberté [11].
Je vois ces propositions comme des concessions inutiles à la conception positive de la liberté, une justification possible de cette forme de paternalisme qui consiste à faire le bien des autres sans leur demander leur opinion.
En fait, j’estime qu’il est possible de proposer une version de la liberté comme non domination qui se passerait complètement de ce supplément.
Dire que nous sommes libres si nous n’avons pas de maîtres, si personne, État ou autres individus ne nous domine, n’est-ce pas une caractérisation suffisante de la liberté politique ?
À quoi sert-il d’introduire, dans la définition même de la liberté politique, l’idée que si l’État ou la société interviennent dans le sens de nos intérêts profonds, même de ceux dont nous ne sommes pas conscients, nous serons, pour ainsi dire, encore plus libres ?
N’est-ce pas une précision inutile, et dangereuse aussi en raison du risque de paternalisme ?
La conception de la liberté négative que je défends est enrichie par l’idée de non domination, mais elle est débarrassée de tout élément positif.
Pratiquement, elle trace autour de chaque individu un large périmètre de protection qui doit le mettre à l’abri non seulement de la servitude et de l’oppression, mais aussi de toutes les formes de persécution, et de toutes les tentatives d’extermination.
À l’intérieur de ce périmètre, elle laisse chacun libre de faire ce qu’il veut de sa propre vie. Elle ne demande à personne d’être « maître de soi ».
Elle ne confond jamais la liberté et l’obligation de se soumettre à des lois, fussent-elles utiles, bonnes, rationnelles.
Au total, on pourrait dire que je soutiens une conception minimaliste de la liberté politique, puisqu’elle ne contient aucun élément positif.

Mais c’est aussi une conception robuste et étendue de la liberté politique, dans la mesure où elle est extrêmement protectrice à l’égard des maux politiques et sociaux qu’un être humain peut subir : l’exploitation, mais aussi la persécution et l’élimination.

 

Deux raisons de choisir la liberté négative

 

La conception négative de la liberté politique est très loin de faire l’unanimité parmi les philosophes, et, dans la version minimaliste que je propose, elle risque d’être encore moins appréciée.
Si je tiens à la défendre, ce n’est pas seulement à cause de ce réflexe assez universel qui nous pousse à porter secours aux espèces en danger, même lorsqu’elles ne sont que  philosophiques.
La liberté négative dans sa version minimaliste est une conception que je trouve plus cohérente que sa rivale positive, et plus en accord avec un certain nombre de croyances auxquelles il n’y a aucune raison de renoncer, comme l’importance de l’indépendance économique et sociale, ou le droit de vivre selon ses préférences morales.
Il me semble aussi qu’elle permet de justifier une conception politique d’ensemble qui me paraît particulièrement séduisante. Cette conception est libertaire pour les mœurs, et égalitaire du point de vue économique et social.
Une telle conception d’ensemble est libertaire en ce sens qu’elle est extrêmement permissive pour tout ce qui concerne les relations sexuelles ou autres entre adultes consentants, et elle admet pratiquement sans aucune réserve la liberté de disposer de son propre corps et de sa propre vie (qui inclut celle de changer de forme extérieure ou de sexe, de mettre ses capacités de procréer ou de donner du plaisir à la disposition d’autrui contre rétribution, de se nuire à soi-même en se suicidant ou en utilisant des drogues de toutes sortes, etc.).
Une telle conception d’ensemble est égalitaire en ce sens qu’elle rejette par ailleurs toute forme de discrimination sexiste, raciste, xénophobe, dont l’injustice n’a plus besoin d’être démontrée, ainsi que la plupart des inégalités économiques, car, contrairement à ce qui est de plus en plus souvent affirmé, elles n’ont aucune justification morale.
J’essaie donc de tirer beaucoup de choses de la conception négative de la liberté, dans ce sens à la fois plus riche que celui d’Isaiah Berlin, (puisqu’elle implique la non domination au sens que lui a donné Philip Pettit et pas seulement la non interférence), mais aussi dans un sens plus pauvre que celle de Philip Pettit puisqu’elle exclut tous les résidus positifs qu’on peut encore trouver dans la théorie de Pettit.
La conception négative de la liberté est-elle vraiment en mesure de supporter tout ces amendements et toutes ces implications sans être dénaturée ?
Est-elle plus solide philosophiquement que sa rivale la conception positive de la liberté politique ?
Ce qu’on peut dire, au moins, c’est que les privilèges philosophiques qui sont donnés actuellement à la conception positive de la liberté ne sont pas vraiment justifiés, car outre ses défauts conceptuels, la liberté positive a des implications pratiques qu’on peut avoir des raisons de rejeter.

 

La liberté positive contre la justice sociale

 

Pour finir, je voudrais mettre en évidence le rôle politique de l’idée de liberté positive, que j’estime particulièrement rétrograde dans les conditions présentes du débat public.
Je pourrais examiner, dans cette perspective, plusieurs questions dites de « société » : tentatives de justifier les inégalités économiques et la fermeture des frontières, retour de la morale à l’école, projets d’élimination des criminels récidivistes, encadrement coercitif de la procréation, de la mort, de la sexualité, remise en cause de certains droits sociaux et de certaines libertés individuelles au nom de « valeurs morales », etc.
C’est à travers la notion de « mérite » ou de « responsabilité individuelle » pour ses choix que la liberté positive intervient pour justifier les inégalités économiques les plus révoltantes, et la tendance à blâmer les victimes d’un ordre social qui ne leur laisse pratiquement aucune chance de vivre décemment.
C’est à travers les idées de « protection de l’identité des communautés nationales » que la liberté positive intervient pour justifier les entraves les plus injustes à l’ouverture des frontières.
C’est à travers les idées de « valeurs morales » (travail, famille, patrie, dignité de la personne humaine, etc.) que la liberté positive intervient pour rejeter les revendications à la libéralisation de l’encadrement coercitif de la vie, de la mort, de la sexualité.
Bref, c’est aux engagements spontanés ou réfléchis envers la liberté positive qu’on doit, à mon avis, une certaine stagnation réactionnaire en matière de mœurs, et une partie de la nouvelle justification morale des inégalités économiques et sociales.
Ces raisons politiques s’ajoutent aux raisons conceptuelles de rester sceptique à l’égard de la conception positive de la liberté politique.

 

Ruwen Ogien

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Notes

[1] Hannah Arendt, « Qu’est-ce que la liberté ? », dans La crise de la culture, trad. Patrick Levy et al., Paris, Gallimard collection « Folio », 1972, pp.186-222.

[2] Isaiah Berlin, « Deux conceptions de la liberté», dans Éloge de la liberté (1969), trad. Jacqueline Carnaud et  Jacqueline Lahana, Paris, Presses Pocket, 1990, pp.167-218.

[3] Ibid., p 172.

[4] « La planète des indignés manifeste dans plus de 700 villes », Le Monde, 15 octobre 2011.

[5] Berlin, « Deux conceptions de la liberté», op. cit., pp. 171-172.

[6] Ibid.

[7] Philip Pettit, Républicanisme. Une théorie de la liberté et du gouvernement (1997), trad.. Patrick Savidan et Jean-Fabien Spitz, Paris, Gallimard, 2004.

[8] Ibid., pp.42-46.

[9] Ibid., pp.82-85.

[10] Christian Nadeau et Daniel Weinstock (dir.), Republicanism. History Theory, Practice, Londres, Frank Cass Publishers, 2004; Roberto Merrill, « Le néo-républicanisme en débat », Introduction à Neo Republicanismo. Diacritica, 24/2, 2010, pp.7-11.

[11] P. Pettit, Républicanisme, op. cit., pp.47-51 et 58-64.

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