31 mars 2021
Le monde d’après… et après ?
Par Georges Serein –
Contribution en discussion lors de la séance du séminaire ETAPE du 2 avril 2021 –
Nous sommes en train de vivre une aventure étonnante dont nous ne connaissons pas bien l’issue. Sans formuler de pronostic, peut-on espérer une sortie vers le haut ? La bienveillance peut-elle être plus qu’un leitmotiv de campagne électorale ? Le commun peut-il (et dans quelles conditions ?) gagner en importance contre la loi de la jungle ? Une foule de questions vient à l’esprit… Et on a pu lire ici où là nombre de contributions qui tentent de saisir l’opportunité de remplacer la résignation qui vient en transformation écologique et sociale.
L’autre monde d’après que l’on pouvait espérer n’était pas forcément paradisiaque mais aurait pris en compte le réchauffement climatique et les inégalités sociales. L’État a promptement pris l’option de l’argent magique afin de préserver l’économie telle qu’elle était avant. Avec quelques nuances cependant : un bond en avant de l’économie numérique ; une loi de sécurité sanitaire…
Un très grand nombre de réflexions ont été suscitées par la pandémie. Dès le début, beaucoup ont vu une opportunité pour « changer le monde » et non seulement mettre en œuvre des pratiques économes quant au bilan carbone mais en même temps balayer un certain nombre d’absurdités comme les transports inutiles mais aussi, pourquoi pas – mais c’est une autre dimension –, en finir avec cette autre absurdité que sont les « bullshit jobs ». Le premier confinement, avec sa moindre pollution, avec une plus forte présence de la nature, avec la baisse de l’activité économique, a pu laisser entrevoir une opportunité de changement de cap.
Sans doute, ce changement n’allait pas être engagé par le gouvernement. Alors quelle convergence d’intérêts aurait pu dépasser les décisions étatiques ? Pas un parti politique, pas un syndicat n’est assez fort pour mobiliser et catalyser les volontés. Celles-ci se sont pourtant montrées très fortes. On pourrait même dire que d’une certaine manière un mouvement spontané s’est fait jour. L’impéritie du gouvernement à faire face à la crise sanitaire et sa communication mensongère et contradictoire a suscité une forte mobilisation de nombreuses personnes pour confectionner des masques, des visières, voire des respirateurs. Cela s’est produit avec différentes formes d’organisation et à partir de différentes compétences et mérite un certain intérêt pour qui porte quelque espoir dans le pragmatisme.
Au début de la pandémie et pour pallier à la pénurie de moyens, des milliers de personnes se sont mobilisées, depuis les clubs de couture jusqu’au fablabs un peu partout en France. Cette initiative multiple a été assez spectaculaire pour être abondamment relayée dans la presse. Voyons le cas des makers1. Durant des mois, des personnes ont travaillé bénévolement pour combler les manques de matériel en particulier pour le personnel de santé. Plusieurs milliers de bénévoles, souvent au sein de groupes auto-organisés, se sont engagés dans l’aventure via des associations et/ou de fablabs. Les initiatives locales se sont organisées en réseau afin de produire en répondant à la demande. L’ensemble de ces initiatives a produit plus de 100 000 visières, des dizaines de milliers de masques en tissus, des surblouses… Cette auto-organisation est allée de la conception à la distribution en passant par la production. La coordination passant par des sites web et des réseaux sociaux (Facebook, discord…). Elle a inclut aussi la mise en commun de la matière première pour les imprimantes 3D. Et tout cela s’est mis en place dans l’urgence !
Le déconfinement et la reprise de l’activité économique ont changé la donne. La demande de moyens n’est plus la même avec l’arrivée de masques en papier par millions. Dans le même temps, le 23 avril, la direction générale du travail (DGT) et la direction générale des entreprises (DGE) ont « précisé les conditions d’évaluation de la conformité requises pour les visières de protection destinées à la lutte contre le Covid-19.2 »
Selon la DGE : « Si une visière n’est pas réalisée conformément à une norme et n’a pas fait l’objet d’une évaluation par un organisme tiers, elle peut tout de même être mise sur le marché à condition qu’aucune mention ne puisse laisser entendre que la visière servirait de protection contre le Covid-19 ou tout autre agent biologique3 ».
On sait que les normes fournissent des garanties au consommateur mais elles constituent aussi un outil protectionniste dans le commerce en général. Les makers devaient passer sous les fourches caudines de l’État ou bien abandonner la production. Aujourd’hui, le site www.covid3D.fr n’est plus en activité mais on trouve ici et là des communiqués en langue de bois pour expliquer l’arrêt de l’activité.
Ces initiatives durant les premiers mois de la pandémie, ces productions réalisées sans que soit mis en avant un engagement politique, sont intéressantes à voir comme capacité de la population à mettre en place une alternative à une facette honteuse du monde d’avant mais aussi de mener ce projet rapidement et très efficacement.
Après un an de pandémie, il est clair que le monde d’après est pire que celui d’avant. Des lois liberticides et un endettement prometteur d’exploitation pour les générations futures qui devront rembourser les banques se sont ajoutés aux conditions propres à l’épidémie pour ternir non seulement le quotidien mais aussi les perspectives.
Malgré son caractère constructif l’initiative des makers ne va pas au-delà d’une forme d’entraide passagère. Est-il possible de dépasser le stade d’idiot utile venant combler provisoirement l’incapacité à répondre à des besoins vitaux d’un système en déshérence ? Et après ? Un monde d’après qui limite sérieusement son empreinte carbone n’est pas en vue. Un monde d’après qui laisse assez de place aux animaux sauvages pour que les humains ne colportent pas les virus dont ils sont porteurs n’est pas non plus à l’ordre du jour. Comment s’en rapprocher ? Le « faire soi-même » auquel invitent les makers n’est-il pas malgré tout une voie crédible ?
Quelles sont les possibilités d’influer sur le cours des choses en période de crise ? En agissant par rapport à la crise elle-même comme l’ont fait les makers ? Cela semble une excellente idée ! Tout comme il y a des « grévistes par procuration », n’y a-t-il pas aujourd’hui des makers par procuration ? Un potentiel existe pour aller vers un autre monde d’après. Est-il capable de se mobiliser au-delà d’une période de crise ?
1 Sur les makers en général : Isabelle Berrebi-Hoffmann, Marie-Christine Bureau, Michel Lallement, Makers. Enquête sur les laboratoires du changement social, Paris, Seuil, 2018 ; Sur les makers au temps du covid : https://laviedesidees.fr/Make-care-des-visieres-contre-le-Covid-19.html
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