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24 juin 2020

Des composantes existentielles du théâtre et de l’anarchisme

Dossier « Des composantes existentielles de l’engagement libertaire »

Par Camille Mayer

En 1997, David Weir écrit que « l’anarchisme [classique] se développait aussi comme une culture parce que son projet politique était impossible à réaliser1 ». « Culture » est ici entendu comme « le foyer dynamique d’une série d’échanges sémantiques qui incluent, d’une part et de manière globale, les différents processus d’évolution d’une société, et, d’autre part, les tentatives individuelles de reproduction ou de résistance à ces tendances générales2 ». La culture anarchiste, ce sont toutes les réalisations, les mises en pratique de l’Idée libertaire3 dans le champ social, et non plus seulement dans la sphère idéologique.

Il ne s’agit pas tant ici de discuter de l’intérêt de concevoir l’anarchisme (aussi) comme une culture, mais plutôt de s’intéresser à ce qui nous semble être un pan existentiel mais peu reconnu (ou à défaut, peu sujet d’attention) de cette culture anarchiste : les activités artistiques, et plus spécifiquement théâtrales, des libertaires. Nous défendons en effet que l’art et l’anarchisme nous posent chacun à leur manière des questions existentielles, et que leur dialogue est fécond. Nous défendons que l’art et l’anarchisme peuvent être l’un pour l’autre une composante existentielle4.

1/

Interroger en quoi l’anarchisme nous pose des questions existentielles, c’est se demander en quoi l’anarchisme est une philosophie politique qui propose à l’humain une manière d’être au monde, qui n’oublie pas les individualités et les expériences propres. Interroger aujourd’hui l’anarchisme, entendu comme un projet social et politique, c’est remettre sur la table la question des dominations structurelles dans leur ensemble. C’est accepter qu’il n’y a peut-être pas de projet politique organisé autrement que sur des valeurs communes et que les formes d’organisations dépendront de paramètres incontrôlables à ce jour. En ce sens, l’anarchisme porte un projet existentiel puisqu’il n’essentialise pas le cours de l’Histoire et le devenir humain.

Nous postulons que l’un des caractères existentiels de l’anarchisme est la tension entre l’émancipation individuelle et l’émancipation collective, la recherche constante et insoluble de l’équilibre entre ces deux pôles. L’existentiel se cache justement dans l’individualité de l’être au monde. En refusant de laisser de côté l’original, le spécifique, l’anarchisme existentialise le devenir.

2/

Il faut distinguer la place de l’art chez l’humain pour les anarchistes et le projet que les anarchistes ont pour l’art. D’un côté, il y a une essentialisation de l’art de la part des libertaires, puisque celui-ci ferait partie de la nature humaine ; de l’autre, il y a un projet existentialiste des anarchistes pour l’art. Développons.

Les anarchistes classiques semblent essentialiser l’art et la faculté esthétique de l’être humain. Nous pensons par exemple aux propos de Proudhon, lorsqu’il écrit : « j’appelle donc esthétique la faculté que l’homme a en propre d’apercevoir ou découvrir le beau et le laid, l’agréable et le disgracieux, le sublime et le trivial, en sa personne et dans les choses, et de se faire de cette perception un nouveau moyen de jouissance, un raffinement de volupté5 ». La faculté esthétique serait naturelle chez l’humain et la perception du sentiment notamment possible grâce aux artistes, qui ont su mobiliser leur talent d’exécution pour le faire ressentir aux spectateur·ice·s.

L’Art modélise l’existentiel de l’expérience humaine, comme le défend notamment André Girard, collaborateur à la revue anarchiste Les Temps Nouveaux en 1895 lorsqu’il écrit que « de toutes les émanations de l’esprit humain, l’Art caractérise avec le plus de précision l’état psychologique d’une époque. Plus que la science, dont les découvertes sont parfois dues au hasard, plus que l’Histoire, dont les données manquent le plus souvent de certitudes, l’héritage artistique du passé nous offre un critérium assuré pour la reconstitution évolutives des civilisations disparues6 ». Quelques trente ans plus tôt, Proudhon défendait que l’art s’inscrit dans un projet de société et proposait un renouvellement de l’art qui lui était contemporain grâce à une évolution du système social, politique et économique vers la société anarchiste. Alors seulement, l’art de la Beauté humaine pourra éclore. En attendant, il doit être doté d’une mission sociale et politique et trouver sa place dans la tension entre individu et collectif.

Les libertaires défendent aussi, et notamment, que le capitalisme a spolié l’art à la masse sur trois plans : économique – les travailleur·euses n’ont (presque) plus accès à l’art à cause de sa marchandisation ; sensible – l’esthétique a quitté l’atelier à cause de la recherche de productivité capitaliste ; structurel – l’élitisme de l’art et l’organisation sociale, politique et économique empêchent tout un·e chacun·e d’être artiste. L’art est ici essentialisé, puisqu’il appartiendrait à tous les humains et ferait partie de leur nature. Mais il s’insère dans un projet existentiel puisque tous les individus pourraient être artistes s’iels le désiraient. Pour cela, l’une des conditions est la mise en place de la société anarchiste. Dans la société fin-de-siècle, le prolétaire « ne comprend pas qu’une fois disparue la propriété individuelle – qui propose aujourd’hui à l’ambition de l’artiste l’engraissement laborieux d’une poignée d’exploiteurs – naîtrait, par le communisme, la conscience pour chacun d’accomplir une œuvre utile et la satisfaction de connaître, quels que soient son rôle et sa puissance créatrice, le but de son effort et la portée de son œuvre ; – qu’autrement dit du même coup seraient possibles les conditions matérielle et morale de l’œuvre d’art7 ». L’art appartient donc à chacun·e, il s’agit pour les libertaires d’instaurer une société au sein de laquelle tout un·e chacun·e en aura conscience.

3/

Charles-Albert va toutefois plus loin encore et nous informe d’un nouvel aspect : les anarchistes ont aussi un projet existentiel pour l’art, puisqu’il s’agit alors de rendre l’art au peuple. En ce sens, l’anarchisme peut-être perçu comme une composante existentielle de l’art ; mais l’art peut lui aussi être perçu comme une composante existentielle de l’anarchisme. En effet, les libertaires, en dépassant le simple projet politique pour entreprendre le développement d’une sphère culturelle, dotent l’art d’une utilité : il doit être social. Pour autant, iels ne semblent pas essentialiser ce rôle de l’art, puisqu’iels lui reconnaissent plusieurs desseins et en choisissent un : celui de médiateur d’une façon d’être au monde, à savoir, selon les valeurs anarchistes. L’art est ainsi traversé par cette tension entre individu et collectif en ce qu’il devient art grâce à un public, et en ce qu’une réflexion est mené sur sa destination.

Interroger la tension entre individu et collectif (qui est pour nous l’une des composantes existentielles de l’anarchisme, nous l’avons vu) est donc aussi l’un des points d’accroche du débat sur l’utilité et la destination de l’art dans la seconde moitié du XIXe et au début du XXe siècle. Nous évoquerons particulièrement le théâtre (c’est ce que l’on connaît le mieux).

La production théâtrale cristallise elle-même nécessairement cet enjeu : le théâtre, c’est la réunion en un lieu spécifique, à un instant donné, d’artiste(s) et de spectateur·ice(s) dans le cadre d’une (re)présentation. Pas de théâtre sans collectif. Quid de la liberté de l’artiste de théâtre ?

À la fin du XIXe siècle, on assiste à l’apogée d’un débat sur la destination de l’art, opposant les partisan·es de « l’art pour l’art » à celleux de « l’art social » et posant ainsi la question de la liberté individuelle au sein du collectif. Expliquons-nous.

4/

L’art pour l’art défend une liberté absolue de l’artiste dans sa création, qu’il s’agisse de faire éclater les codes esthétiques, la considération de l’artiste pour son public ou encore les répercussions politiques de son œuvre. À l’inverse, l’art social porte un projet sociétal. Comme l’indique Marie-Pauline Martin, « défendre l’idée d’un « art social » n’implique pas seulement de croire en la capacité de l’art, et donc de l’expérience esthétique, à agir sur l’individu et le corps collectif (cette seule acception engloberait, dès lors, sans distinction, la majorité des collaborations historiques entre l’artiste et l’État). Affirmer l’existence d’un « art social » consiste encore à admettre qu’un projet social, par-delà sa dimension politique ou intellectuelle, puisse être spontanément éprouvé, de manière sensorielle et sensible, par l’humain et la collectivité, et recouvrir ainsi une réalité esthétique8. »

Les libertaires classiques défendent le réinvestissement de l’art dans le quotidien et tentent, selon nous, une esthétisation anarchiste de la vie quotidienne des travailleur·euse·s par le biais de causeries, conférences, lectures ou encore lors de l’organisation de fêtes de famille, de matinées familiales, ou de tout événement organisé dans le cadre du mouvement. Les activités théâtrales participent de la création d’un sentiment d’appartenance, mais aussi de la diffusion des idées anarchistes. Dans les colonnes du Père Peinard du 18 mars 1893, Émile Pouget écrivait ainsi :

« Le théâtre, voilà un riche moyen de semer les idées, nom de Dieu. En effet, si mal bâtie que soit une pièce, elle a cette supériorité sur un bouquin, c’est que le plus niquedouille saisit ce que l’auteur a voulu dire : y’a pas besoin de se creuser la caboche, les idées nous défilent sous le nez, comme qui dirait toutes vivantes9 ».

Il s’agit pour les militant·es, et notamment par le biais du théâtre, de faire éprouver l’anarchie aux masses. D’un point de vue plus général, Gaetano Manfredonia10 nous indique que la production des artistes se réclamant de l’anarchisme est traversé entre 1880 et 1894 par deux tendances : l’une, rejointe majoritairement par la jeunesse symboliste, qui entend renouveler l’art en brandissant la liberté artistique et en s’extrayant des codes classiques de la production artistique – l’art pour l’art ; la seconde, qui entend porter à travers l’art un projet social et politique – l’art social. C’est au moment de la vague d’attentats anarchistes de 1892 à 1894 que les artistes qui se réclamaient de l’anarchisme dans une perspective individualiste (libérale) et sans y voir un réel projet politique s’en détachent, prenant conscience de l’implication de telles revendications.

Il s’agirait toutefois de ne pas mettre sur le même plan le conflit entre art pour art et art social et la tension anarchiste entre émancipation individuelle et collective. Si un parallèle peut être fait, affiliant l’art pour l’art à l’émancipation individuelle et l’art social à l’émancipation collective, il ne s’agit pas de basculer (bien que l’on puisse plutôt rattacher l’art pour l’art à l’individualisme et l’art social au collectivisme) dans un raisonnement où :

L’anarchisme se distingue de l’individualisme libéral en ce qu’il entend assurer la liberté individuelle en ne reniant pas l’existence d’autrui. La liberté de l’individu n’est pas une liberté exempte de relations avec le collectif, mais bien une liberté fondée sur le primat du choix individuel. En ce sens, la liberté de l’artiste désirée par les anarchistes n’oublie pas la société dans laquelle elle s’insère, et donc lea spectateur·ice. Proudhon résume ainsi la nécessité sociale de l’art dans la société qui lui est contemporaine11 : « L’art ne demande pas à être plus libre que ne l’est la liberté elle-même12 ». La liberté « ne consiste pas à nous affranchir des lois de la vérité et de la justice ; tout au contraire, elle grandit à mesure que nous nous approchons davantage du juste et du vrai13 ». Et l’auteur d’ainsi condamner l’art pour l’art : « n’ayant pas en soi sa légitimité, ne reposant sur rien, [il] n’est rien14 ». « L’art pour l’art, dis-je, le vers pour le vers, le style pour le style, la forme pour la forme, la fantaisie pour la fantaisie, toutes ces vanités qui rongent, comme une maladie pédiculaire, notre époque, c’est le vice dans tout son raffinement, le mal dans sa quintessence15 ». L’art pour l’art, individualiste (libéral), est le symbole de la « décadence ». L’individualisme ne mènera qu’à la déchéance de l’art, car « le génie ne se montre pas isolé, il n’est pas un homme, c’est une légion ; […] il ne pense pas seul, dans un égoïsme solitaire16 ». Selon le théoricien, la puissance de collectivité a disparu de la création artistique. Et Proudhon d’aller jusqu’à interroger ce qui constitue cette collectivité : « l’idéal étant subordonné à l’idée, la collectivité de l’idée entraîne naturellement celle de l’idéal ; et c’est pourquoi, lorsqu’elle existe, dix mille élèves qui ont appris à dessiner comptent plus pour le progrès de l’art que la production d’un chef-d’œuvre. Non que je mette en balance le nombre et la qualité ; mais dix mille citoyens qui ont appris le dessin forment une puissance de collectivité artistique, une force d’idée, une énergie d’idéal, bien supérieure à celle d’un individu, et qui, trouvant un jour son expression, dépassera le chef-d’œuvre17 ». Il fait ici exploser le statut d’artiste.

5/

Débordant le débat sur la liberté de l’artiste, les anarchistes interrogent la légitimité ou non d’un individu à être artiste et rêvent d’une société toute entière constituée de créateur·ices. « Dans la société future, nous dit Jean Grave, on pourra écarter la question financière et faire simplement appel aux bonnes volontés […] Il y aura toujours des individus qui auront la démangeaison de faire des pièces, d’autres de les interpréter, ces individus se rechercheront et associeront leurs aptitudes. Où serait le mal, si ceux qui, ayant le goût du spectacle, venaient chacun dans la possibilité de leurs aptitudes apporter le concours de leur aide, pour la décoration, la mise en scène, la confection de costumes ou autre aide accessoire ?18 » La société anarchiste, au sein de laquelle les conditions d’existence seront bonnes pour toustes, permettra à tout un·e chacun·e d’être artiste. L’art, et nous le voyons, le théâtre, voient leurs conditions de production directement influencées par le projet politique libertaire : « pour nous, les œuvres dites d’art, ne sont qu’une des manifestations de l’activité humaine ; cette question ne forme pas une question à part dans la société future, et sa solution doit se trouver, comme toutes les activités de l’individu, dans la possibilité de se produire au milieu de la liberté la plus complète19 ». Proudhon conclut son fameux ouvrage Du principe de l’art et de sa destination sociale en développant que la forme ultime de l’art, dans la société anarchiste, sera celle de la beauté humaine, alliance de la beauté morale et de la beauté physique. Elle ne pourra éclore que dans une société qui aura « réformé son organisation économique et politique20 » afin de « réformer ses mœurs », afin de permettre à l’humain d’être « tout à la fois vertueux, courageux, intelligent, savant, libre et heureux21 », artiste représentant de la « beauté virile22 ».

6/

Mikhaïl Bakounine, quant à lui, défend dans Dieu et l’État la spontanéité, l’individualité, l’irruption comme étant source de la vie, la vie elle-même. La vie, c’est ce qui ne se répète pas au cours de l’Histoire et ce que la science ne peut pas saisir. Contrairement à d’autres théoricien·nes libertaires, l’anarchiste russe accordait le primat à l’art sur la science : « la science ne peut sortir de la sphère des abstractions. Sous ce rapport, elle est infiniment inférieure à l’art, qui lui aussi, n’a proprement que à faire qu’avec des types généraux et des situations générales, mais qui, par un artifice qui lui est propre, sait les incarner dans des formes qui, pour n’être point vivantes, dans le sens de la vie réelle, n’en provoquent pas moins, dans notre imagination, le sentiment ou le souvenir de cette vie ; il individualise en quelque sorte les types et les situations qu’il conçoit, et, par ces individualités sans chair et sans os, et, comme telles, permanentes ou immortelles, qu’il a le pouvoir de créer, il nous rappelle les individualités vivantes, réelles, qui apparaissent et qui disparaissent à nos yeux23 ». En voyant dans l’art cette possibilité de la vie et la représentation des individualités, Bakounine l’insère dans le projet existentialiste de l’anarchisme pour l’humanité.

Le théâtre, fondé sur l’incarnation, semble être un moyen privilégié pour créer des artefacts anarchistes, proposer des irruptions irréelles de l’utopie anarchiste dans le présent. C’est un art intrinsèquement collectif, qui ne peut pas être muséifié et qui entend faire vivre au même moment, à plusieurs personnes, une expérience sensible. Jean Jaurès disait du drame qu’il « est déjà, en quelque mesure, le prologue de la Révolution elle-même, puisque, comme la Révolution, il met la foule en mouvement24 ». Les libertaires rejoignent ici le socialiste, et vont au-delà du désir de préfiguration permis par le théâtre : iels fantasment un art performatif.

7/

Proudhon défend un art en situation, appliqué à la vie et ainsi à un projet social. Il donne pour cela l’exemple de sa captivité à Saint-Pélagie en 1849, durant laquelle ils furent jusqu’à quatre-vingts prisonniers politiques à chanter tous les soirs, dans la cour de la prison, la prière « Hymne à la Liberté » d’Armand Marrast. « Une seule voix disait la strophe, et les quatre-vingts prisonniers reprenaient le refrain, que répétaient ensuite les cinq cents malheureux détenus de l’autre quartier de la prison25 ». Les chants furent bientôt interdits ; pour les prisonniers ce fut, selon l’auteur, « une véritable aggravation de peine ». Selon lui, l’art doit donc être expérientiel (par expérientiel, nous entendons basé sur l’expérience, découlant de l’expérience de l’artiste) et, dans une certaine mesure, performatif (par performatif, nous entendons capable d’influer sur le cours des événements qui auront lieu ensuite par sa simple réalisation) : sa création permet une évolution de la lutte en cours.

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Nous défendons ainsi que l’art et l’anarchisme soulèvent des interrogations existentielles à l’individu et au collectif et que leur dialogue peut faire émerger, chez l’un et chez l’autre, des interrogations nécessaires qu’il s’agirait de réfléchir encore aujourd’hui. L’anarchisme pose des questions existentielles au théâtre : penser les dominations au théâtre, c’est les penser dans la société car le théâtre implique le collectif (et ainsi la question de l’organisation sociale) ; l’échange (donc la production dans un système économique) ; un acte de création (donc une réflexion sur la tension entre la spontanéité créative et le projet socio-politique défendu par l’individu) ; et enfin, l’esthétique (nécessairement conditionnée par les contraintes matérielles ou les dominations systémiques qui pèsent sur les individus créateur·ices). À l’inverse, le théâtre pose aussi des questions existentielles à l’anarchisme : il autorise une incarnation de la vie, de l’individualité, tout en l’insérant dans une lecture globale de l’Histoire ; il permet de répéter, de tenter la mise en place de la société future mais aussi de la performer, voire de la rendre effective grâce à une esthétisation du réel. Les anarchistes classiques considéraient l’art, et notamment dramatique, comme « une arme de combat26 », qu’en est-il aujourd’hui ? Si l’usage ne semble pas nous permettre de considérer l’art (dramatique) comme une composante existentielle de l’anarchisme, tous deux cristallisent une réflexion sur l’émancipation individuelle et collective, et il serait peut-être temps de rendre fécond leur échange, en prenant en considération leur complémentarité, voire leur interdépendance au regard des questions que ces deux domaines se posent l’un l’autre.

Bien que l’organisation sociale actuelle ne soit pas anarchiste, rien n’empêche d’imaginer, de fantasmer, de rendre matériel à travers la création ce projet social. Rien n’empêche, ici, là, tout de suite, de projeter dans une œuvre ce que l’anarchisme propose ; de créer un artefact (dans son acception de création artificielle mais aussi, pourquoi pas, d’effet indésirable) qui ferait irruption dans notre réel, et serait peut-être à même de le modifier.

Camille Mayer

14 juin 2020

Camille Mayer est doctorante contractuelle en études théâtrales au sein de l’EDESTA (EA1573 – Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis) sous la direction de Martial Poirson. Elle est titulaire d’un master d’études théâtrales de l’Université Toulouse Jean Jaurès et d’un master d’histoire de la pensée politique de l’ENS de Lyon. Ses recherches portent depuis quatre ans sur les dialogues entre le théâtre et l’anarchisme. Elle a écrit un mémoire de master 2 sur le théâtre anarchiste de la Belle Époque et un mémoire de master 2 sur les représentations contemporaines de Louise Michel et d’Emma Goldman. Sa thèse porte actuellement sur les hérédités et les ruptures des dialogues entre le théâtre et l’anarchisme entre les périodes 1895-1914 et 2005-2020. Elle est par ailleurs membre du laboratoire sauvage Mouvances (ex. laboratoire Junior) qui s’attache à analyser les catégories et les représentations de la migration. Elle est aussi trésorière de l’Association Université de la Terre de l’université Paris 8, en faveur d’une recherche universitaire écologique.

Voir le site web de l’auteure : https://camillemayer.fr

1 Weir David, Anarchy & Culture : The Aesthetic Politics of Modernism, Amherst (USA), University of Massachusetts Press, 1997, p. 10.

2 Ibid., p. 9.

3 Libertaire et anarchiste seront ici utilisés de manière interchangeable.

4 Cette réflexion s’insère dans notre travail de thèse qui porte sur les dialogues entre théâtre et anarchisme sur la scène française, de 1895 à aujourd’hui. Nous invitons lea lecteurice à nous contacter à l’adresse camille.mayer[a]hotmail.fr pour plus de renseignements sur les ressources utilisées.

5 Proudhon Pierre-Joseph, Du principe de l’art et de sa destination sociale, Paris, Garnier frères, 1865, p. 17.

6 Girard André (Max Burh), « Art nouveau », Les Temps Nouveaux, 11/05/1895, n° 2/an I, p. 2.

7 Charles-Albert, « Art et société », Les Temps Nouveaux, 23/11/1895, n° 30/an 1, pp. 1-2.

8 Martin Marie-Pauline, « S’emparer de l’homme moral et total : l’ombre de Rousseau et la fête révolutionnaire », dans McWilliam Neil, Catherine Méneux, Julie Ramos (éds.), L’Art social de la Révolution à la Grande Guerre, Rennes/Paris, Presses Universitaires de Rennes/Institut national d’histoire de l’art, 2014, p. 43.

9 Pouget Émile, Le Père Peinard, 18 mars 1893.

10 Manfredonia Gaetano, « Art et anarchisme dans la France de la Belle Époque », dans Art & Anarchie. Actes du colloque Les dix ans de Radio Libertaire, s. l., Via Valeriano/La Vache Folle, 1993.

11 Notons que Proudhon promeut un art critique en attendant la mise en place de la société anarchiste, qui seule pourra permettre le développement de l’art de la Beauté humaine.

12 Proudhon P.-J., op. cit., p. 45.

13 Ibid.

14 Ibid., p. 46.

15 Ibid, pp. 46-47.

16 Ibid., p. 67.

17 Ibid., p. 172.

18 Grave Jean, La société future, Paris, P. V. Stock, p. 365.

19 Ibid., p. 361.

20 Proudhon P.-J., op. cit., p. 309.

21 Ibid, p. 304.

22 Il semblerait que l’individu idéal soit alors l’homme révolutionnaire. Cet aspect mériterait toutefois d’être développé.

23 Bakounine Mikhaïl, Dieu et l’État [1882], Paris, Mille et une nuits, 2000, pp. 68-69.

24 Jaurès Jean, « Le théâtre social », La Revue d’Art Dramatique, août – décembre 1900, tome X, p. 1066.

25 Proudhon, op. cit., p. 332.

26 Grave, op. cit., p. 357.

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