30 août 2014
Dans une guerre c’est le genre de chose qui arrive
Je préparais un article sur la conférence Dialectics of Liberation qui s’était tenue en 1967 à l’instigation d’un aréopage fulgurant de la contre-culture de l’époque : RD Laing, Marcuse, Ginsberg, pour n’en citer que quelques-uns. Le sujet de cette conférence unique en son genre, qui dura 4 jours, était entièrement dédié à l’exploration des causes de la violence, sous toutes ces formes, évidentes, banales, occultes ou terrifiantes, sourdes ou rampantes, psychologiques, d’Etat, guerre, sournoises, policières, ou attachées à la toute présence du marketing déjà triomphant de l’époque… tout y fut épluché et discuté, disputé, visé sous les angles esthétiques, politiques bien sûr, sociaux, poétiques, même spirituels avec la présence de Thich Nhat Hanh, tout jeune pacifiste bouddhiste à l’époque.
Et puis je l’ai laissé en suspens.
J’y reviendrais c’est promis.
Mais je l’ai laissé en suspens.
Parce que l’horreur continue, l’horreur continue. La violence
A Gaza dans un concert de protestations militantes et de confusions médiatiques, de cacophonies et de manipulations, sur la toile de fond de Facebook, de plages de publicité – les mêmes plages peut être où les missiles israéliens abattent froidement 4 enfants (?) – sur la toile de fond du triomphe épanoui et presque patelin du produit, du rayonnage, des écrans, des blondes-à-bagnoles-rapides, des piscines et du Harvard Business Review en distribution gratuite en classe affaire. L’horreur continue.
Gaza. Que dire de plus que ce disent tous ? Martyre ? Enfants ? Disproportion ? Cynisme du Hamas, de Netanyahou, des Européens, d’Obama-la-Triche…? Aligner des chiffres ?
Ceci peut-être, en donnant la parole à la poésie, bien mieux à même de dire que l’Analyste, le Chroniqueur et le Militant, encore.
Ishmael Reed, poète étasunien, noir, emmerdeur patenté, furieux amateur de jazz sans concession qu’il mêle à sa poésie (http://ishmaelreed.org/).
Ce texte s’appelle In a War, such things happen. « Dans une guerre, c’est le genre de choses qui arrivent ».
« Relativement » connu, il est devenu l’emblème de l’absurdité et de l’étendue et de la profondeur des dommages de la guerre.
Nous reviendrons à la violence avec la parution de l’article Dialectics of Liberation, prochainement.
En attendant, avec la voix d’Ishmael Reed, le genre de choses qui arrivent dans une guerre sont retranscrites ci-dessous (traduction sous le texte original) et à écouter ici :
We were eating black bread and
drinking goat’s milk when your
missile hit our house
I am the only survivor
and when I asked you why
you said well this is war
and in a war such things happen
They gave us ten minutes to
leave because your army
was within the city limits
the young one got lost and
when we found her she
said that eight of your men
took turns with her and now
all day she stares into space
and takes pills whose names
I can’t pronounce and when
I asked you why you said
well this is war
and in a war such things
happen
You said that if we surrendered
you would give us cigarettes and
chocolate but instead
you put us in a place fit for
hens and when I asked why
you said
well this is war
and in a war such things happen
You bombed a bus because you
said your enemy was inside but
when we told you that they were
simple farmers instead you apologized
and said, well this is war and in war
such mistakes happen
You told a press conference
that these men had engaged
you in a firefight. You
lied didn’t you. When
we did the autopsies we
found that their throats had
been cut and there were no
weapons in their possession
and when we asked you why
you said, well this is war
and in a war such things happen
You hit those twin towers
because you wanted to address
the powerful, but you killed
secretaries, waitresses, janitors
busboys, dishwashers and civil
servants and when we asked you
why, you said, well this is war
and you wanted to make a point
She had just graduated from college
and was about to be wed
You sent her into a
restaurant. She blew herself up,
killing families who were enjoying
a Sunday afternoon and when
we asked you why you said well
this is war and such things happen
You said that your weapons
were so precise that you could
land a missile in a coffee cup
yet scores of people lie wounded
dying and dead in the market
and when we asked you what
happened, you said that this
is the nature of war and in a
war mistakes occur
After 20 hours of digging we
removed the rubble
We found the bits of rotting
flesh
We knew it was a child
from the size of its rib cage
We knew that it was my son
from the red Nike sneaker
You said you were after suicide
bombers
He was 3 years old
You said that this was war
and in a war, such things happen
A million years passed
Herds of rhinoceroses, elephants
and lions roamed the African
plains
There were more cheetahs than
you could shake a stick at
You could see to the bottom of
the rivers with the naked
eye
Snow had returned to Kilimanjaro
The oceans were filled with
whales, tuna, swordfish, sharks
The glaciers were once again
solid and imposing
The Amazon rainforest was
chirping away
Trees covered the city where
glass buildings once stood
A bear met a wolf
in the thick forest and
the bear asked
“What became of those creatures who
used to shoot us for sport
furnish their wives with the
fur off our backs
terrorize our young
put their saws to our homes?”
“They had a war,” the wolf said
galloping off, “and in a war such things happen.”
Ishmael Reed, New and Collected Poems 1964-2007 (New York: Thunder’s Mouth Press, 2007), pp. 355-359. [text appears above exactly as published]
dans une guerre c’est le genre de chose qui arrive
Nous étions à manger du pain noir et à boire du lait de chèvre lorsque votre missile a frappé notre maison
je suis le seul survivant
et quand je vous ai demandé pourquoi
vous avez dit et bien c’est la guerre et dans une guerre c’est le genre de chose qui arrive
ils nous ont donné dix minutes pour
partir parce que votre armée
était entrée en ville
la petite s’est perdue et
quand nous l’avons retrouvé elle
nous a dit que huit de vos hommes
lui étaient passé dessus à tour de rôle et maintenant
elle regarde dans le vague
et prend des pilules
dont je ne peux pas prononcer le nom et quand
je vous ai demandé pourquoi vous avez dit et bien c’est la guerre et dans une guerre c’est le genre de chose qui arrive
vous avez dit que si nous nous rendions
vous nous donneriez des cigarettes et
du chocolat mais au lieu de ça
vous nous avez mis dans une cage à poules et quand nous avons demandé pourquoi
vous avez dit eh bien c’est la guerre et dans une guerre c’est le genre de choses qui arrivent
Vous avez fait sauter un bus parce que l’ennemi s’y cachait mais
quand on vous a dit qu’il n’y avait là que des paysans vous avez présenté vos excuses et dit et bien c’est la guerre et dans une guerre c’est le genre d’erreurs qui sont commises
Vous avez dit lors d’une conférence de presse
que ces hommes vous avaient pris sous leur feu. Vous
avez menti n’est-ce pas. Après les autopsies on a vu que leurs gorges avaient été tranchées et qu’ils n’avaient aucune arme sur eux
Et quand nous vous avons demandé pourquoi
vous avez dit, et bien c’est la guerre et dans une guerre c’est le genre de chose qui arrive
Vous avez frappé ces tours jumelles
Parce que vous vouliez interpeller les puissants, mais vous avez tué
des secrétaires, des serveuses, des agents de nettoyage, des liftiers, des plongeurs, des fonctionnaires, et quand on vous a demandé pourquoi, vous avez dit, et bien c’est la guerre et vous vouliez faire passer le message
Elle venait d’obtenir son diplôme
et allait se marier
Vous l’avez envoyé dans un restaurant. Elle s’est fait sauter,
tuant les familles qui y passaient leur dimanche après-midi et quand
nous vous avons demandé pourquoi vous avez dit et bien c’est la guerre et dans une guerre c’est le genre de chose qui arrive
vous avez dit que vos armes
étaient si précises que vous étiez capable de poser un missile dans une tasse à café
mais ce sont des vingtaines de personnes qui gisent blessées, mourantes ou mortes sur le marché
et quand nous vous demandons ce qui s’est passé, vous avez dit que c’était la nature de la guerre et qu’en temps de guerre des erreurs surviennent
Après vingt heures passées à creuser nous avons
retiré les décombres
Nous avons trouvé des bouts de chair pourrie
Nous avons su qu’il s’agissait d’un enfant
à la taille de la cage thoracique
Nous avons su qu’il s’agissait de mon fils
aux Nike rouges
Vous avez dit être à la poursuite de tueurs-suicide
Il n’avait que trois ans
Vous avez dit c’est la guerre et qu’à la guerre c’est le genre de chose qui arrive
Un million d’années passa
Des troupeaux de rhinocéros, d’éléphants et de lions parcouraient les plaines africaines
Il y avait plus de guépards que de poux sur la tête d’un pouilleux et on pouvait voir le fond des rivières à
l’œil nu
La neige était revenue au Kilimandjaro
Les océans étaient pleins de baleines, de thons, d’espadons, de requins
Les glaciers à nouveau étaient solides et imposants
La forêt amazonienne bruissait de mille sons
Des arbres recouvraient les villes où s’étaient tenu des immeubles de verre
Un ours rencontrant un loup au plus profonde la forêt demanda
« Qu’est-ce qui leur est arrivé à ces créatures qui ,nous tiraient pour le sport
habillaient leurs femmes
de la fourrure sur nos dos
épouvantaient nos petits
passaient nos demeures à la scie? »
« Ils ont eu la guerre », répondit le loup, « et dans une guerre, c’est le genre de chose qui arrive »
traduction Vidal
Galerie d’hommage à Gaza
Miralh
s’inventa un lengatge nou
un novèl lengatge
e parla pas
se parlas
non t’oblides pas
los mots
al dintre de la boca
clavada
se parlas
tu escondut
un langage neuf s’inventa
un langage nouveau
et ne parla pas
si tu parles
n’oublie pas
les mots
dedans de ta bouche
scellée
si tu parles
toi
caché
Jaumes Privat, poète occitan
Miralh signifie miroir.
Kalfou est la divinité des « carrefours » – kalfou – dans le vaudou haïtien. Au Bénin c’est Legba, la première des divinités à invoquer, faute de quoi il se crée confusion, malchance et conflits. A rapprocher d’Hermès : c’est par lui qu’arrive le désordre. Palestine terre de croisements et de carrefours des peuples et des civilisations est devenue aujourd’hui un sillonnement de routes, murs, barbelés, où droits, voies et lois se contredisent et s’épuisent, rues bloquées, barricades, checkpoints, chaussées par-dessous les autoroutes, autoroutes par-dessus les chemins. Aucune carte n’est définitive et la seule chose qui soit entretenue c’est la confusion et la peur.
où l’on reconnaît la peau de léopard.
où l’on voit que l’herbe, de l’autre côté, n’est pas plus verte
Vidal
(tous les dessins/photos – Vidal)
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