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27 mars 2021

A propos de La Grande confusion, de Philippe Corcuff

Le dernier livre de notre camarade Philippe Corcuff, La Grande confusion. Comment l’extrême droite gagne la bataille des idées (éditions Textuel, collection « Petite Encyclopédie Critique », mars 2021, 672 pages) vient de paraître. Philippe Corcuff est membre du collectif éditorial du site de réflexions libertaires Grand Angle, maître de conférences de science politique à l’Institut d’Études Politiques de Lyon et militant de la Fédération Anarchiste. Son objet est visiblement de prendre date mais pas seulement car il pourrait faire débat et – espérons-le ! – ce débat pourrait être salutaire. Il révèle les phénomènes de brouillage idéologique grandissants de ces dernières années, tant à gauche qu’à droite, brouillage qui, immanquablement, fait le jeu des thèses les plus conservatrices de la droite et de l’extrême droite.
Nous présentons ci-dessous :
1) une interview inédite de Philippe Corcuff avec la rédaction de Grand Angle, qui revient notamment sur les manichéismes et les dérèglements idéologiques dont les premiers pas de la réception de son livre sur Internet, à l’extrême droite mais aussi dans la gauche radicale, constituent des indices supplémentaires ;
Et 2) de « bonnes feuilles » tirées de l’introduction générale du livre et consacrées aux liaisons dangereuses entre des écrits de Jacques Julliard (gauche modérée), Frédéric Lordon (gauche radicale) et Mathieu Bock-Côté (droite ultraconservatrice), ainsi qu’aux analogies de certains de leurs propos avec les formulations du nationalisme de « l’enracinement » de Maurice Barrès (1862-1923). Par-delà ces trois noms, Philippe Corcuff analyse de manière précise les discours d’une centaine de locuteurs contemporains qui ouvrent, sans s’en rendre compte pour la très grande majorité d’entre eux, la possibilité d’un « postfascisme » en invitant alors à redéfinir la lutte antifasciste aujourd’hui.

Du confusionnisme actuel à l’anarchisme pragmatiste
Entretien avec Philippe Corcuff

Grand Angle : Ton livre ne se place-t-il pas dans l’atmosphère d’un certain désenchantement ? Il s’ouvre par une évocation de l’entrée de l’hiver (Winter is coming) et s’achève par une complainte mélancolique… Est-ce une mise en garde devant le danger ou simple constat clinique de la dépression ambiante ?

Philippe Corcuff : Le rebond souhaitable des idées émancipatrices doit passer à mon avis par l’incorporation d’une dose de pessimisme dans la confrontation lucide aux dangers du présent comme aux échecs et aux impasses d’hier. C’est, par exemple, un tel vaccin du désenchantement que je puise dans les chansons d’Eddy Mitchell1, dont deux chansons traversent encore une fois ce livre, « Pauvre Baby Doll » (1981) et « On veut des légendes » (2006). Mais c’est un vaccin du désenchantement, pour résister au désenchantement, certes pas dans le registre de de l’optimisme béat si souvent enfourné par les progressistes historiquement et encore aujourd’hui. C’est une mélancolie ouverte vers des avenirs possibles, et non pas tournée vers le nostalgisme du « c’était mieux avant », une mélancolie à la manière de Walter Benjamin, hérétique en judaïsme et en marxisme, qui s’est suicidé à Portbou en septembre 1940 alors qu’il fuyait le nazisme. Elle préfère éviter les contes de Noël militants pour se confronter à ce que Maurice Merleau-Ponty appelle « l’adversité », c’est-à-dire ces obstacles à l’extérieur de nous et en nous qui nous font reculer en arrière et peuvent nous paralyser. Et si la mélancolie qui imbibe ce livre est bien une mise en garde contre le danger, elle est par contre appel à la résistance à la dépression ambiante, mais en faisant son miel de la part de vérité de ce climat dépressif.

Grand Angle : Le titre « La grande confusion » laisse présager un pamphlet, et c’est un essai de théorie politique critique guidé par une méthodologie imposante. Le pamphlet – plus ou moins polémique – aurait pu être percutant dans le contexte que nous vivons, mais l’essai, lui, ne joue pas ce jeu-là. Quelle est l’intention ?

Philippe Corcuff : J’ai publié un livre beaucoup plus court à la tonalité davantage pamphlétaire en 2014 aussi chez Textuel : Les années 30 reviennent et la gauche est dans le brouillard. C’était pour réveiller les consciences face aux risques que je percevais mais qui étaient peu perçus. Mais, au fil du temps, les problèmes se sont révélés plus large que je ne l’avais cru au départ il n’y avait pas que l’ultraconservatisme des Alain Soral et Eric Zemmour, que j’avais commencé à analyser, mais le développement d’un espace confusionniste, créant des interférences de plus en plus frayées entre des postures (critique superficielle du « politiquement correct » et schémas complotistes, par exemple, à la place de la critique sociale structurelle associée historiquement à la gauche) et des thèmes (valorisation de « la nation » comme principal « solution » et dévalorisation corrélative du mondial, vision homogénéisante du « peuple », mis en cause de la conquête des droits individuels et collectifs dans un amalgame entre libéralisme politique et néolibéralisme économique, stigmatisations des musulmans, minoration de l’antisémitisme, affaiblissement de la frontière symbolique avec l’extrême droite, etc.) d’extrême droite, de droite, de gauche modérée dite « républicaine » et de gauche radicale. Et ultraconservatisme et confusionnisme révélaient des intersections fortes avec l’identitarisme, c’est-à-dire la focalisation dans l’appréhension d’une personne ou d’un groupe sur une identité principale homogène et fermée ; focalisation positive (comme « l’identité nationale ») ou négative (« l’identité musulmane », sous la forme souvent euphémisée de « l’islamisme », ou « l’identité juive », sous la forme souvent euphémisée du « sionisme »). Il fallait alors que je recours à un dispositif d’enquête prenant davantage de distance avec les discours étudiés et les resituant dans un cadre plus global les mettant en perspective conceptuelle et historique. Et le sérieux de l’investigation supposait que les discours de la centaine de locuteurs qui étaient analysés soient précisément documentés, contextualisés et référencées, d’où l’importance des notes de bas de page. Je me suis donc fortement éloigné de la forme pamphlétaire, même si perdure dans le texte quelques traits polémiques, comme pour éveiller l’attention du lecteur à certaines étapes dans ce long périple.

C’est dans ce cadre que j’ai emprunté la notion de « formation discursive » à Michel Foucault dans son livre de 1969 L’archéologie du savoir (Gallimard). Une « formation discursive », que j’appelle aussi formation idéologique, c’est un espace de discours et d’idées produit par des locuteurs variés, qui n’ont pas nécessairement conscience de participer à un même espace, peuplé d’oppositions et de conflits, et dont la dynamique tend à échapper aux différents locuteurs qui y participent de manière ponctuelle ou répétée. L’ultraconservatisme, le confusionnisme et l’identitarisme constituent de telles formations discursives dotées d’intersection et d’interactions. Ce ne sont pas des auteurs qui sont premiers dans le découpage permis par la notion de formation discursive, mais elle englobe et elle contraint une diversité d’auteurs.

Or, la dynamique des formations idéologiques de l’ultraconservatisme, du confusionnisme et de l’identitarisme dessine la possibilité en France d’un « postfascisme » en France à la Trump aux États-Unis, à la Bolsonaro au Brésil ou à la Orbán en Hongrie. Parler de « postfascisme » pointe à la fois des continuités avec les fascismes des années 1920-1940 en Europe, car dans « postfascisme » il y a « fascisme », et des discontinuités, incluses dans le « post ». C’est récuser à la fois le terme « populisme », en ce qu’il relativise les dangers, et celui de « fascisme », que ne voit que répétition à travers l’histoire. Appréhender ainsi, sous le terme « postfascisme », une adversité renouvelée oblige à redéfinir un antifascisme pour aujourd’hui. Car l’antifascisme risque parfois la folklorisation dans la simple dénonciation du « fascisme » et du « nazisme » dans des conditions qui ont connu des transformations.

Grand Angle : La confusion dont tu parles n’est pas quelque chose de nouveau, et tu fais toi-même allusion aux années 30. On constate aussi en lisant La grande confusion que le confusionnisme n’est pas corrélé à un capital culturel et que les porteurs de confusion sont dispersés dans la société. En quelque sorte, ce que tu nous dis c’est que la mayonnaise est en train de prendre irrémédiablement ?

Philippe Corcuff : Non, le confusionnisme n’est pas nouveau, mais les bricolages idéologiques confusionnistes dans la France des années 30 apparaissaient davantage contenus par l’existence d’organisations puissantes à gauche qui après la défaite militaire puis la victoire vont renaître. Aujourd’hui, la trame discursive confusionniste peut s’étendre beaucoup plus alors que les organisations traditionnelles de la gauche sont en crise, que les organisations plus récentes comme Europe Ecologie Les Vers, La France insoumise ou le NPA sont faibles par rapport aux grandes organisations des années 1950-1980 et que les organisations libertaires sont marginales.

Quant aux locuteurs du confusionnisme, j’ai tenu à éviter le racisme de classe qui voudrait que les confusions soient du côté populaire et la clarté du côté des milieux intellectuels. 95% des discours étudiés dans le livre ont été émis par des membres des « élites » : politiciens professionnels, journalistes, essayistes, écrivains, universitaires, etc. Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas de confusionnisme dans les milieux populaires : je montre ainsi que le mouvement social composite des « gilets jaunes », mettant sur le devant de la scène certain secteurs populaires et des couches moyennes et exprimant tout à la fois des composantes émancipatrices et régressives, doit certaines de ses caractéristiques au contexte ultraconservateur et confusionniste dans lequel il s’est développé. Mais l’importance, dans la triple dynamique ultraconservatrice, confusionniste et identitariste, d’élites parlant paradoxalement au nom du « peuple » pour dénoncer « les élites méprisant le peuple » constitue une réalité importante décryptée par le livre. Elle nous fait pencher vers l’hypothèse d’une extrême droitisation des espaces publics (champ politique, médias, Internet et réseaux sociaux) en France et dans d’autres pays, et pas vers celle d’une « droitisation de la société », société française dont d’autres indices montrent qu’elle plus composite, contradictoire et mouvante.

La question de savoir si la mayonnaise prend irrémédiablement est encore en suspens, en tout cas dans la société dans son ensemble. Cela supposerait de mener des recherches ethnographiques et sociologiques qualitatives comme des enquêtes statistiques pour en savoir plus. Par contre, oui, la mayonnaise s’est installée dans les espaces publics.

Une enquête prolongeant mon travail pourrait, par exemple, concerner les niveaux « intermédiaires » dans la circulation des évidences ultraconservatrices, confusionnistes et identitaristes. L’examen des premiers pas de la réception de mon livre dans les commentaires sur les sites parlant de mon livre ou sous les vidéos d’interventions médiatiques peut aider à formuler quelques hypothèses de départ pour une telle enquête éventuelle. Je mets en annexe de cet entretien un florilège éclairant de commentaires d’extrême droite et de gauche radicale. Dans les deux cas, on a des discours à la composition plus hétéroclite, moins lissés et policés que ceux que j’ai étudiés, plus violents rhétoriquement. Du côté des locuteurs d’extrême droite, l’antisémitisme s’énonce sans vergogne, en étant susceptible d’être associé à l’islamophobie. Et l’anti-intellectualisme peut se mêler à des prétentions intellectuelles à la vérité. Du côté des locuteurs de la gauche radicale, ce sont les logiques manichéennes dans le rapport aux idées et à la politique qui apparaissent les plus marquantes. L’anti-intellectualisme n’est pas loin, mais les prétentions intellectuelles apparaissent plus fortes, sans se soumettre toutefois aux contraintes argumentatives liées à ces prétentions intellectuelles. Dans les deux cas, cela ne semble pas poser de problème de stigmatiser un livre qu’on n’a pas lu. Mais, quand on voit qu’un sociologue de gauche du CNRS fustige sur Twitter (voir https://twitter.com/ArSaintMartin/status/1350448824469364746) le même livre (« Use-t-il d’un générateur de textes automatique ? ») presque deux mois avant sa sortie, sans l’avoir lu et en disant qu’il ne le lirait jamais (« Perso je ne m’infligerai pas cette lecture »), c’est même du côté de l’autorité académique que peut se formuler l’autorisation de juger négativement ce dont on n’a pas connaissance.

On peut faire également des hypothèses sur certaines caractéristiques socio-psychologiques de ces locuteurs. Tout d’abord, rappelons que l’enquête de la sociologue Dominique Pasquier sur « l’Internet des familles modestes »2 met en évidence que massivement les locuteurs populaires auraient un rapport « circulant » à Internet et aux réseaux sociaux, en faisant circuler des choses produites par d’autres à partir de liens d’interconnaissance, sans guère intervenir directement dans les forums ou les commentaires. Ce qui n’est pas le cas des couches moyennes dotées d’un certain capital culturel. Ce qui semble le cas des locuteurs « intermédiaires » retenus dans l’annexe. Les références intellectuelles utilisées laissent entendre, d’ailleurs, un certain capital scolaire, un passage dans l’université de masse, même si c’est avec des formes parfois assez floues d’appropriation. On pourrait alors penser que des formes petites-bourgeoises de ressentiment, alimentées par des blessures de reconnaissance, trouvent dans ce cas des canaux de manifestation, en contribuant à consolider à une échelle plus large des évidences ultraconservatrices, confusionnistes et identitaristes. On pourrait alors parler de soutiers petits-bourgeois des dérèglements idéologiques sur Internet et sur les réseaux sociaux. Ce ne sont là que des hypothèses, nées de données fort ténues et qui demandent donc à être confrontées à une enquête systématique.

Grand Angle : Le confusionnisme actuel est-il seulement celui des idées ou, à un niveau beaucoup moins déterminé, l’expression de la complexification grandissante des réalités humaines ? Autrement dit, le brouillage des idées ne jouit-il pas d’un terrain favorable ?

Philippe Corcuff : Dans une longue durée historique, ce confusionnisme s’inscrit dans le cadre de ce que le philosophe Claude Lefort a appelé « la dissolution des repères de la certitude »3, à partir de la rupture avec les certitudes théologico-politiques propres aux sociétés d’Ancien régime et le développement de régimes représentatifs à idéaux démocratiques, comme d’autres facteurs de complexification du monde (individualisation plus poussée, innovations techno-scientifiques diversifiées, éclatements géopolitiques, place du zapping présentiste face à la crise du progrès et de l’avenir, etc.). Cependant, la boussole du clivage gauche/droite a pu tenir longtemps dans un contexte analogue. On doit alors s’intéresser au poids des facteurs proprement conjoncturels : la crise du clivage gauche/droite, la dissociation d’un de ses piliers intellectuels, le couple critique sociale structurelle-émancipation, l’autonomie propre du niveau des dérèglements idéologiques… Ces dynamiques peuvent d’ailleurs interagir avec des facteurs structurels et, d’autre part, être boostés par les usages d’Internet et des réseaux sociaux.

Grand Angle : Ton livre est un cri d’alarme. Il peut apparaître, ce faisant, comme un grand appel à repenser l’avenir politique, dans un horizon clairement et radicalement de gauche. Connaissant ton appartenance à l’anarchisme, quel potentiel, quel capacité d’inventer cet avenir nouveau, vois-tu dans cette tradition ?

Philippe Corcuff : L’anarchisme que j’explore4, à la fois un anarchisme pragmatiste – pas focalisé sur la défense d’une identité anarchiste mais sur la production d’effets émancipateurs dans le monde, et cela dès maintenant – et un individualisme coopératif et solidaire – qui s’appuie sur deux pieds, l’individualité singulière et le commun, en sortant du « logiciel collectiviste » pesant encore trop souvent sur les gauches – a un rôle important à jouer dans la renaissance d’une gauche d’émancipation, qui me semble constituer une des réponses principales, sur le plan politique, aux dérèglements idéologiques en cours. Cependant, l’anarchisme organisé actuel, marginalisé et automarginalisé, tenté aussi par l’anti-intellectualisme, n’échappant pas aux logiques micro-bureaucratiques ou à l’activisme sans boussole, n’est pas à la hauteur des enjeux. Toutefois l’histoire anarchiste, ses pratiques alternatives et ses penseurs-penseuses ont encore des choses à nous apprendre, en tout cas si on les confronte aux problèmes du moment et si on ne les enterre pas dans des mausolées identitaristes. Par ailleurs, les fils libertaires d’une gauche d’émancipation ne sont pas les seuls à tirer : je suis là aussi favorable aux hybridations et à l’ouverture.

1 Voir P. Corcuff, « Le cimetière des éléphants. La philosophie sauvage d’Eddy Mitchell », revue Cités, 2004, http://www.cairn.info/revue-cites-2004-3-page-93.htm.

2 Voir D. Pasquier, L’Internet des familles modestes. Enquête dans la France rurale, Paris, Presses des Mines, collection « Sciences sociales », 2018.

3 C. Lefort, « La question démocratique » [1e éd. : 1983], dans Essais sur le politique (XIXe-XXe siècles), Paris Seuil, collection « Esprit », 1986, p. 29.

4 Voir P. Corcuff, Enjeux libertaires pour le XXIe siècle par un anarchiste néophyte, Paris, Éditions du Monde libertaire, 2015.

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Annexe de l’entretien avec Philippe Corcuff

Florilège des premières réceptions agressives de La grande confusion dans les commentaires sur Internet : sur la place des soutiers du ressentiment petit-bourgeois dans la circulation des dérèglements idéologiques confusionnistes actuels

1) Du côté de l’extrême droite
* Sur YouTube après la vidéo d’un entretien sur Sud Radio

Antisémitisme, racisme, complotiste… en milieu petit-bourgeois « postfasciste »

mike safe : la main mise des rothshild, soros et autres milliardaires sur l’europe et les usa est une realité

documentaire Ludo : Curieusement ceux qui causent contre l’extrême droite n’habitent jamais dans les quartiers à< forte mixité sociale > pour jargonner comme ces bobocollabos et leurs enfants sont scolarisés dans des classes de blanc!!

Harry Bloom : L’embrumage et Ia désinformation continuent… Les Medias et Ies Académies sont nauyotés par des Marxistes gIobaIistes qui servent un agenda poIitique secret.

abdelkrim achacha : Plus de la démocratie la justice un homme dit « tuer les tuer les » 8mois avec surcie, un homme refuse de livrer un resto juif prend du ferme 18 mois et expulsé. Ou et la justice??

eyes in the night : Ha bon ! Ne pas accepter la mise en servage par les Rotschild (et pas que…), cest être « antisémite » ? Faut oser! « Anti mites » peut-être, mais qu’est ce que l’on se fout de la religion probable de Rotmerde …. On est donc tous des Nazi… un mec complètement dans la manipulation de la pensée.

serge 12 : Continuer à voter maçonnique RN LR UDI LAREM EELV PS RG LFI EELV MODEM COMMUNISTE se sera de pire en pire vos familles pleureront et eux continueront à piller la France et ces caisses

* Sur AgoraVox (« média 100% citoyen et 100% participatif ») le 23 mars 2021 : 

Philippe Corcuff : « une larve », « anarchiste », « juif », « musulman », « algérien », « une honte » pour « la Bretagne »…

Et Hop ! Il se déclare anarchiste, donc pour la destruction des institutions, de l’État, de la famille, de l’École, du Droit, de la Nation, des religions, des races, mais il est fonctionnaire de l’État.

Il a un nom breton du Finistère, mais il définit le programme de la gauche depuis la fin du XVIIIe siècle par le mot « émmancipation » qui est typiquement celui des Juifs d’Europe centrale (la Halaka).

Ses combats sont
— contre la personnalité autoritaire (il est d’abord antifa, anti-étatique, anti-néocolonial, anti-patriarcal, anti-homophoble, anti-islamophobe, anti-raciste)
— contre la société fermée (néo-libéral, pour l’immigration, pour le métissage, contre les sociétés traditionnelles, contre le catholicisme, contre la Bretagne).

Cela correspond exactement à l’idéologie trotskyste et néoconservatrice des Juifs de l’école de Francfort puis de Chicago :
— La Personnalité autoritaire (1950), de Theodor Adorno (Francfort1903), qui est à l’origine de l’idéologie des boomers, de la theorie du Gender, il promoteur aussi de la musique déconstruite de Pierre Boulez
— La Société ouverte et ses ennemis (1945), de Karl Poper (Vienne 1902), professeur à la London School of Economy, et donc de la fondation Open Society de Georges Soros 

Il est né en Alger en 1960, il combat l’Islamophobie et le racisme anti-algérien, pourquoi ne retourne-t-il pas vive en Algérie ?

C’est un membre de la classe dominante au pouvoir, un commissaire politique, donc sectaire et répressif. Ce qu’il dénonce dans son livre sous le nom de « confusionnisme », c’est que le sectarisme imposé par la gauche ne fonctionne plus pour éliminer toute opposition au régime, pour empêcher à la droite d’exister.
Ce mot « confusionnisme » est dans la lignée de l’incriminaton de « modérantisme » au nom de laquelle on guillotinait à Bordeaux en 1793, ou de « déviationisme » au nom duquel on était assassiné sous Lénine et Trotsky. En 1793, Courcuff commanderait des colonnes infernales, en 1923 il dirigerait un bureau de la Tchéka.

Philippe Courcuff est un déconstructeur et un mondial-libéraliste, il devrait être auto-entrepreneur ou taxi chez Uber.

C’est vraiment un pauvre type, une larve, une honte pour tous ses ancêtres et compatriotes bretons.

2) Du côté de la gauche radicale

* Sur Mediapart (à la suite d’un entretien publié le 17 mars 2021, https://www.mediapart.fr/journal/france/170321/philippe-corcuff-le-confusionnisme-une-trame-ideologique-en-expansion, accès abonnés) : https://www.mediapart.fr/journal/france/170321/philippe-corcuff-le-confusionnisme-une-trame-ideologique-en-expansion/commentaires

Corcuff : « séduire les droites sans exception de Le Pen à LR… »

  • 17/03/2021 13:43 – Par Annie Madarasz-Bauchet

Philippe Corcuff: le confusionnisme, «une trame idéologique en expansion»

« Dans un livre somme, La Grande Confusion – Comment l’extrême droite gagne la bataille des idées, Philippe Corcuff décrit un paysage politique où, à la faveur de l’affaissement du clivage droite/gauche, se créent « des zones d’intersection et d’interactions » entre des familles politiques que tout éloigne a priori. Pour le plus grand bénéfice de l’extrême droite. « 

Corcuff a encore un bouquin à vendre, et comme toujours, il faut vraiment faire attention  ce qu’il écrit comme des vérités. La  Grande Confusion est peut-être dans sa tête car pour les gens qui ont 2 brins de bon sens, il n’y a pas de confusion. Les membres de partis gauches et écologiques (vrai)  ne mettent pas sur le même plan, les gauches et les droites qui aujourd’hui sont toutes + ou – fascistes .

C’est vrai que Corcuff  n’écrit pas pour plaire aux  gauchistes mais pour séduire les droites sans exception de Le Pen à L R, UDEF, P.S. en passant par MODEM et LREM. Tous + ou – anti Républicain, etc…

Corcuff : n’a « jamais lu » les auteurs qu’il critique

  • 17/03/2021 14:19 – Par 2placesassises

Narcissisme, ressentiment et… confusionnisme sont  trois dimensions très actives dans la prose du sociologue philosophe. Bon résumé d’un aveuglement (et surtout d’une certaine bêtise)  du militant politique qui ne sachant plus où donner de la tête (qu’il n’a pas) navigue au gré des vents, des modes et des caprices : il passe du PS, au NPA en passant par les chevènementistes etc. , les écologistes, etc.  pour finir à la Fédération anarchiste  (Ouf !). Il se fait un nom (petit) grâce aux noms des autres : rien de tel pour se faire un max de pub que de « critiquer » en vrac Chomsky, Boltanski, Lordon, Michéa… qui peuvent bien sûr être critiqués mais il faudrait alors une autre pointure. Corcuff n’a jamais rien inventé, et a donc besoin en tant que nain de se jucher sur les épaules des géants pour se croire plus grand. Tout cela est assez grotesque et petit, et ne donne même pas envie de lui répondre. Mais les média vont adorer : pour des journaleux, lire en quelques pages plein de « critiques » (parfois à la limite du contresens, voire   de la diffamation) d’intellectuels qu’ils détestent sans les avoir jamais lus, c’est génial. 

Corcuff : « on croirait lire du Macron… »

  • 7/03/2021 14:50 – Par Mačko Dràgàn

Ah ben voilà. Après la vague de « l’islamo-gauchisme », voilà celle du « confusionnisme » -et cette fois-ci Mediapart met aussi la main à la pâte.

Et voilà donc Lordon basculé dans la benne des « rouge bruns » au même titre que Onfray -qui n’est pourtant que brun, et pas qu’un peu. Et la FI aurait des accointances avec l’extrême-droite ! beh voyons. On croirait lire du Macron -ou tout au autre dominant capitaliste de service- dans le texte.

https://blogs.mediapart.fr/alexandre-delomenie/blog/280519/le-rouge-brun-ou-l-entretien-du-sophisme-par-association

On n’a pas le cul sorti des ronces…

Que Mediapart participe à cette blague est affligeant.

Corcuff : « pas anar » !

  • 17/03/2021 15:24 : Par Mačko Dràgàn en réponse au commentaire de Hugues Poltier le 17/03/2021 15:16

Prière de laisser l’anarchisme en dehors de tout ça 😉 M. Corcuff est social-démocrate complexé, pas anar’

Merci !

Corcuff : « si peu de capacités intellectuelles »

  • 17/03/2021 15:19 : Par MAINDEFER

Je ne termine pas ce texte ! Je ne veux pas me reprocher ensuite, d’avoir été pour quelque chose, même à mon humble niveau !, dans la réussite d’une personne qui revient tous les 5 ans, revendiquer le trône de France, avec si peu de capacités intellectuelles ! 

C’est aussi pitoyable, que cela !

* Sur le site Arrêt sur images le 20 mars 2021 : https://www.arretsurimages.net/discussions/migrants-le-cheval-comtois-a-la-rescousse?uuid=5404b84b-a1c0-4355-afc9-167f4d02844d

Corcuff : « de gauche » comme Valls, Hollande ou Elisabeth Borne

Nath : 20 mars 2021 à 11:36:46

Cher monsieur, il est fort dommage que vous trouviez agressive alors que je ne fais qu’émettre quelques réserves et poser quelques bémols à votre « enthousiasme » au sujet de Corcuff. Mais passons, ce n’est pas si grave, que de me trouver agressive, j’accepte, de guerre lasse. 

Désolée de vous décevoir, mais je ne développerai rien ici car vous avez tous les outils en mains pour le faire vous-même et que je ne voudrais pas risquer de vous agresser une deuxième fois. En effet, vous pouvez réécouter attentivement (comme je l’ai fait par trois fois) la matinale de F-Cult dont il est l’invité ou bien, par exemple, cliquer le lien que vous transmet l’asinaute d3df qui renvoit vers un article d’Acrimed avec lequel je suis assez d’accord et que je trouve clarificateur;

Après, non, il ne suffit pas de se prétendre de gauche pour en être ou alors, c’est ajouter à la confusion qui règne actuellement sur ce que « de gauche » veut dire et pour ma part, j’ai maintes fois appelé Daniel Schneidermann à organiser une émission-débat sur ce thème, qui me tient à coeur et qu’il me semble urgent de clarifier avant la séquence électorale de 2022.  

Quant à Corcuff, il est encore libre de s’auto-qualifier de gauche si cela lui chante, tout comme Valls ou Hollande ou, plus récemment, comme notre ministre du Travail, Elisabeth Borne, qui affirme avoir la justice sociale chevillée au corps (et par le chemin Borne, si vous grattez un peu, vous trouverez très vite l’existence d’une aile gauche de la LREM que je vous laisse le plaisir d’apprécier vous-même). 

J’attire votre attention sur le fait qu’au moment où tout le monde s’accorde pour dire que « gauche » ne veut plus rien dire ( et JLM l’avait si bien compris dès 2017 qu’il refusait de s’en réclamer), les mêmes qui le disent se revendiquent « de gauche ».  Etonnant, non ? comme dirait un certain « Apathie ». 

Je ne vous ferai pas l’offense de vous « éclairer » en vous donnant ma propre définition de la gauche au 21ème siècle, je ne suis pas suffisamment qualifiée en diplômes universitaires et n’ai pondu aucun ouvrage de 670 pages. 

En revanche, et puisque vous êtes demandeur, je vous invite à bien lire et écouter Corcuff et à le confronter à d’autres penseurs-intellos vraiment de gauche. 

Pour ma part, un type qui nous explique qu’il se considère anarchiste, mais qui va voter tout en sachant que ça ne sert à rien, car ne pas voter reviendrait à faire le jeu de l’extrême droite, et qui considère que ceux qui ne veulent plus jouer au barrage contre le RN sont des « confusionnistes-complotistes », moi, voyez-vous, je n’ai aucun doute sur l’orientation politique de ce type de prédicateur « de gauche ». Il me semble d’ailleurs que dans un très récent passé, nous avons eu pour président un « de gauche » de la même veine.  

En tous les cas, merci de m’avoir permis de réitérer ma demande: « A quand, un débat sur ce qui définit la gauche depuis Hollande-moi-président? »; Evidemment, le degré de clarification de cette confusion dont Corcuff prétend détenir la connaissance et la science dépendra de la qualité des débatteurs, mais sur ce point, je fais plutôt confiance à DS et à l’équipe d’ASI. Encore une fois, je ne suis pas bardée de diplômes et n’ai qu’un seul cerveau dans ma tête. Mon truc à moi, c’est que je m’en sers beaucoup. A vous d’en faire autant. 

Bien cordialement.   

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Liaisons confusionnistes dangereuses : Jacques Julliard, Frédéric Lordon, Mathieu Bock-Côté… et Maurice Barrès

Par Philippe Corcuff

Le texte qui suit constitue un extrait de l’introduction de La grande confusion. Comment l’extrême droite gagne la bataille des idées (Textuel, 2021, pp. 14-28). Nous remercions les éditions Textuel de nous avoir autorisés à le publier.

Quand on a le nez dans le guidon, quand on est surtout sensible à qui se passe événement après événement, problème après problème, de façon segmentée, on a du mal à voir se dessiner une configuration globale inquiétante. Et pourtant… s’il y avait bien des fils se tissant imperceptiblement, dans une large inconscience de ses protagonistes, entre Manuel Valls et Emmanuel Macron, d’une part, et Arnaud Montebourg et Jean-Luc Mélenchon, d’autre part, entre Caroline Fourest et Laurent Bouvet, d’une part, et Éric Hazan et Houria Bouteldja, d’autre part, entre Alain Finkielkraut et Christophe Guilluy, d’une part, et François Bégaudeau et Juan Branco, d’autre part, ou encore entre Jean-Claude Michéa et Michel Onfray, d’une part, et Chantal Mouffe et Frédéric Lordon, d’autre part, pour donner une trame idéologique en voie de constitution nommée confusionnisme ? Et si ces bricolages idéologiques confusionnistes avaient des intersections et des interactions avec la trame idéologique ultraconservatrice tissée sous des modalités diversifiées par les Alain Soral, Éric Zemmour, Renaud Camus, Hervé Juvin, Alexandre Devecchio ou Mathieu Bock-Côté ? Et si tant le confusionnisme que l’ultraconservatisme étaient traversés par une tendance idéologique plus large et prégnante à l’échelle internationale, au sein des ordres dominants comme de mouvements contestataires : l’identitarisme ? Et si « la nouvelle droite » d’Alain de Benoist ou certains usages du « chevènementisme », le « sarkozysme » ou La Manif pour tous, mais aussi Les Guignols de l’info ou les émissions de Thierry Ardisson, avaient participé à la généalogie plurielle de ces processus idéologiques ? Et si ces processus profitaient aujourd’hui principalement à l’extrême droite d’un point de vue idéologique ? Ce sont les hypothèses hérétiques que ce livre explore de manière détaillée et minutieusement référencée dans une mise en perspective conceptuelle et historique, en mettant en rapport des discours habituellement séparés dans les analyses existantes.

Différentes questions rythmant l’actualité médiatique sont alors abordées, comme la place de la nation, les migrants, la laïcité, le néolibéralisme économique, l’extrême droite, l’islamophobie et l’antisémitisme, le sexisme, l’homophobie, les islamismes et les djihadismes, le complotisme et le climatoscepticisme, le « populisme de gauche », les échos hexagonaux du « trumpisme », les utilisations de la notion de « race », l’héritage colonial et les perspectives décoloniales, les interprétations conservatrices de l’écologie, les « gilets jaunes » ou l’après COVID-19. L’actualité y est alors traitée autrement, en s’appuyant principalement sur des outils de distanciation puisés dans les sciences sociales et dans la philosophie politique au long d’un parcours universitaire en science politique. Une telle interrogation raisonnée sur des événements récents ou qui continuent à se dérouler sous nos yeux relève aussi d’une histoire du temps présent. Le refus des tendances manichéennes des débats publics et le sens des nuances ont appelé de longs développements basés sur des arguments, en revenant sur le contenu des discours tenus et sur leurs contextes respectifs d’énonciation plutôt que de se contenter de les caricaturer ou de les encenser de loin.

Distanciée, la démarche est aussi engagée en s’adossant à un itinéraire militant d’une quarantaine d’années au sein des gauches, de la gauche socialiste à la gauche libertaire en passant par la gauche radicale. Cependant cet engagement, s’il ne veut pas se perdre dans les chausse-trappes courantes de l’autojustification, doit se coltiner ses propres vicissitudes et ses points aveugles.

J’espère que cet ouvrage provoquera un choc, comme son écriture a provoqué un choc chez moi, en particulier parmi ses lectrices et ses lecteurs les plus soucieux de reconfigurer une boussole éthique et politique au sein des brouillages actuels et de réinventer une gauche d’émancipation. Car ce livre de l’inquiétude voudrait contribuer à relancer une espérance vacillante.

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Pourquoi titrer précisément ce livre La grande confusion1 ? Car il s’agit d’éclaircir conceptuellement des problèmes politiques entourés d’une brume grandissante dans les espaces publics de nos sociétés, tout particulièrement en France, mais aussi plus largement en Europe, aux États-Unis2 ou au Brésil. Et, dans les circonstances présentes, ce brouillard facilite une extrême droitisation idéologique.

Liaisons dangereuses dans l’air du temps : Julliard, Lordon et Bock-Côté

Pour que les questions traitées dans ce livre ne soient pas d’emblée trop abstraites, arrêtons-nous sur un exemple significatif : les relations ambiguës entre trois personnalités intellectuelles aux orientations idéologiques et politiques fort contrastées, Jacques Julliard, Frédéric Lordon et Mathieu Bock-Côté ; Lordon formulant la version la plus philosophiquement conceptualisée des trois et la plus éloignée en apparence du conservatisme politique.

Jacques Julliard, de « la deuxième gauche » à la focalisation « républicaine » sur la nation

L’historien Jacques Julliard (né en 1933) est une figure intellectuelle historique de l’establishment de la gauche française, passé d’une version de gauche du néolibéralisme économique à une gauche « républicaine » modérée. Il a participé à « la deuxième gauche », courant politico-intellectuel actif dans la deuxième moitié des années 1970 et au début des années 1980, symbolisé syndicalement par la CFDT, dont Julliard a été membre du bureau confédéral entre 1973 et 1976, et politiquement par les idées portées par Michel Rocard au sein du Parti socialiste, dont Julliard a été adhérent de 1974 à 19763. Il a été éditorialiste du Nouvel Observateur (proche de « la deuxième gauche »), devenu L’Obs, entre 1978 et 2010, puis de Marianne (incarnant un centrisme « républicain ») à partir de 2010. Il a été membre de la Fondation Saint-Simon, créée en 1982 et dissoute en 1999, qui à partir du début des années 1980 a constitué une des médiations de la conversion de la gauche de gouvernement à une forme adoucie de néolibéralisme, que l’on a appelé par la suite social-libéralisme. Dans ce cadre, il a été le coauteur avec François Furet et Pierre Rosanvallon d’un livre-manifeste du social-libéralisme français en 1988 : La République du centre. La fin de l’exception française (Calmann-Lévy)4. « La République du centre » se présente comme « un concept politique contraire à l’histoire de la France moderne et de ses divisions politiques fortes », selon l’historien des idées François Cusset5. Le sociologue et philosophe Didier Eribon l’analyse comme un appel à « l’effacement de la frontière entre la droite et la gauche au nom de la gestion technocratique et de la nécessaire soumission aux « contraintes économiques » imposées par la mondialisation »6. Julliard a encore soutenu publiquement le social-libéralisme en décembre 1995, en signant la pétition initiée par la revue Esprit allant dans le sens de la réforme de la sécurité sociale proposée par le premier ministre de l’époque Alain Juppé, à laquelle s’est opposée la pétition dite « Bourdieu » soutenant les grévistes et les manifestants7.

En 2010, dans la période de sa rupture avec L’Obs et de son passage à Marianne, l’ancien idéologue social-libéral amorce une critique timide du néolibéralisme. Il écrit ainsi à propos des supposées « lois du marché » :

« Il faut les respecter, sans doute, mais pour en corriger les tendances profondes à l’inégalité et à la sauvagerie sociale que l’on voit triompher aujourd’hui. »8

En 2016, dans un entretien avec l’idéologue d’extrême droite Alain de Benoist, Julliard met en cause « le divorce de la gauche et du peuple »9. Il fustige alors la tendance de la gauche à « démolir l’idée même de nation »10 et à développer, « l’idéal du « sans-frontiérisme » »11, en tournant « le dos aux solutions possibles des problèmes qui nous tourmentent, à commencer par celui de l’immigration »12. Dans une veine analogue, il écrit en 2017 :

« La nation une et indivisible a disparu au profit d’une ode à la diversité, et le passé, pour autant qu’il implique une filiation et une construction de la nation à travers le temps, est prié de se faire oublier. »13

« La gauche » aurait adopté « la communautarisation » en faveur des immigrés : pour permettre au « nouvel arrivant » de « conserver son identité, il faut que les anciens occupants renoncent à la leur », ironise-t-il14. Et il poursuit en mettant en cause l’Histoire mondiale de la France, ouvrage collectif publié sous la direction de Patrick Boucheron15 : « un livre plein d’arbitraire et de parti pris idéologiques [qui] a tenté de réduire l’identité nationale aux influences extérieures et de faire de la France la simple représentante de l’entrecroisement de courants hétérogènes. »16 Il se réclame du « logiciel républicain » qui aurait été « abandonné » par « la gauche »17. Par ailleurs, il affirme « qu’il n’y a jamais eu vraiment ni peuple de gauche, ni peuple de droite, mais qu’il a toujours existé, aujourd’hui comme hier, un peuple français »18, un peuple-nation donc.

Au pôle valorisé par Julliard, on trouve notamment « la nation une et indivisible », « l’identité nationale », l’« héritage », la « filiation », « le peuple » comme peuple-nation compact ou le « logiciel républicain ». Au pôle critiqué, il y a le « sans-frontiérisme », « l’immigration », la « communautarisation », la « diversité » ou le métissage (« l’entrecroisement de courants hétérogènes »).

Frédéric Lordon ou la fétichisation de la nation au sein de la gauche radicale

L’économiste et philosophe Frédéric Lordon (né en 1962) est une figure intellectuelle de la gauche radicale qui a émergé dans les années 1990 en prenant comme adversaire principal le néolibéralisme économique. Il apparaît donc éloigné de la modération politique d’un Julliard, qu’il s’agisse de la période « deuxième gauche » sociale-libérale ou « républicaine » de ce dernier. Il tient notamment un blog sur le site du Monde diplomatique depuis 2008, « La pompe à phynance » (https://blog.mondediplo.net/-La-pompe-a-phynance-), et écrit régulièrement dans ce mensuel qui constitue la publication écrite la plus diffusée au sein de la gauche de la gauche.

Dans un livre de théorie politique caractérisé par un fort penchant à l’abstraction conceptuelle et inspiré d’une certaine lecture du philosophe néerlandais Baruch Spinoza (1632-1677), Imperium, Lordon va en 2015 associer les notions cardinales pour lui d’« affect commun » et d’« appartenance ». L’« affect commun », ce serait « l’affect qui affecte identiquement tous »19. Et il y aurait une « nécessité de l’appartenance » et de « sa force de saisissement »20. Lordon relie les deux notions en affirmant : « un affect commun produit nécessairement de l’appartenance »21. Or, selon Lordon, « l’homogène et l’hétérogène s’agencent dans un rapport hiérarchique, le premier faisant valoir ses réquisits sur le second »22. « Affect commun » et « appartenance », apparentée elle-même à la notion d’« identité »23, feraient tenir ensemble les individus, sur un mode quasi-organique, dans les « groupements » politiques.

Dans ce cadre, Lordon défend tout particulièrement « l’appartenance nationale »24 et « l’affect commun national »25 contre leurs critiques. Il assène, par exemple, que « la socialisation dans la nation est primaire, nécessaire, et ne s’efface jamais complètement »26. Selon lui, « une forme politique autre que l’État-nation est un infigurable de l’époque présente »27, « les possibilités de l’universel » n’étant au mieux que « lointaines »28. Corrélativement, il ironise sur « la figure du « citoyen du monde » »29, les « fantasmagories du genre humain »30, le « pharisianisme « internationaliste » »31 ou « les desservants de l’internationalisme abstrait »32. Du côté du pôle affectif, il réévalue « la fierté » comme « l’affect national par excellence »33.

Lordon met également en avant « la force des inscriptions territoriales » :

« La communauté politique totalement disséminée n’existe pas. Elle est un fantasme pour fascinés des réseaux sociaux qui confondent jeu en ligne et forme de vie. Car à un moment il faut bien se retrouver »34.

Ces formulations font signe du côté des pensées conservatrices de « l’enracinement ». Cette tentation est exprimée dans un autre passage : « il y a un lieu où l’on vit, et ce lieu est lui-même toujours partie du territoire d’une communauté »35.

Dans l’architecture lexicale et sémantique de la théorie politique de Lordon, le pôle implicitement valorisé est notamment occupé par « l’appartenance », « l’identité », « l’homogène », le « national » ou les « inscriptions territoriales », et le pôle dénigré est occupé par « la désaffiliation »36, « l’hétérogène », « l’internationalisme abstrait » ou « la communauté politique complètement disséminée ». Lordon répète à plusieurs reprises que ce qu’il valorise implicitement relèverait de « l’analyse positive » du réel, alors que le pôle qu’il dénigre renverrait à des « projections axiologiques » (des jugements de valeur) et à de « l’a priori normatif »37. Le glissement rhétorique, non nécessairement conscient chez son auteur, consiste toutefois à appeler « réel » une vision normative de ce dernier du haut d’une théorie conçue comme souveraine au sein de laquelle ce « réel » doit nécessairement rentrer, et non pas ce qui est observable dans des enquêtes de terrain, des investigations historiques et/ou des données statistiques. Cette arrogance intellectualiste, semblant croire en la toute-puissance de la théorie, a depuis longtemps été critiquée par Karl Marx (1818-1883) comme « l’illusion de concevoir le réel comme le résultat de la pensée, qui se concentre en elle-même, s’approfondit en elle-même, se meut par elle-même »38.

La construction politique proposée par Lordon s’appuie sur une vision fermée sur lui-même de « l’être », ce que Lordon nomme une « physique de l’être- »39, et qui s’inscrit dans le sillage de ce que Spinoza a caractérisé comme le conatus, c’est-à-dire la tendance qui serait générale chez les êtres individuels et collectifs à « persévérer dans son être »40. Á ce type de renfermement identitaire des êtres individuels et collectifs, on peut opposer la philosophie de la « sortie en-dehors de l’être », ou ouverture de « l’être » à ce qui est autre, dessinée par Emmanuel Levinas (1905-1995)41. Lordon est vraisemblablement un des penseurs critiques actuels qui pousse le plus loin la conceptualisation de ce que je qualifierai par la suite de vision identitariste de la politique. Notons aussi que Lordon, dans ses interventions sur l’actualité cette fois, peut parler en défense du « peuple »42 et même « du peuple dans sa globalité »43.

Mathieu Bock-Côté, un ultraconservatisme nationaliste venu du Québec

Le québécois Mathieu Bock-Côté (né en 1980, docteur en sociologie) est un essayiste qui effectue des va-et-vient entre un souverainisme de droite au Québec et le conservatisme alourdi du FigaroVox (rubrique dédiée à l’idéologie sur le site du Figaro) en France. Dans un ouvrage de 2019 consacré à la critique du prétendu « politiquement correct », il peut réévaluer les thèses d’extrême droite d’Éric Zemmour44 ou la tradition politique conservatrice45, mais conclut pourtant son propos de manière beaucoup plus modérée en faisant un « éloge du conflit civilisé »46. On pourrait dire que c’est un conservateur naviguant entre extrême droite et extrême centre.

Dans son livre, Bock-Côté s’insurge contre la tendance du « noyau existentiel de la modernité » à « disqualifier toute forme d’appartenance historique ou naturelle » :

« L’homme est sommé de devenir un nomade : sa seule liberté serait celle de se dépouiller de ses appartenances et de se jeter dans le vaste monde. »47

Face à cela, il promeut « une définition substantielle de l’identité nationale »48, en fustigeant « le multiculturalisme »49 et une fantasmatique « immigration massive »50. Comme Julliard, il rejette tant le « sans-frontiérisme »51, car « un monde sans frontières est un monde aux mille névroses »52, que l’Histoire mondiale de la France sous la direction de Patrick Boucheron, « histoire métissée » ayant « pour conséquence une dissolution du vieux pays sous la pression migratoire »53. Comme Lordon, il met en avant « des aspirations irrépressibles inscrites dans la nature même du corps politique, liées à l’appartenance et à l’identité »54. L’essence « nation » et l’essence « peuple » sont nécessairement liées chez lui55, dans quelque chose comme le peuple-nation.

Chez Bock-Côté, le pôle valorisé est occupé notamment par « l’appartenance », « l’identité nationale » ou le peuple-nation homogène et le pôle dénoncé par « le multiculturalisme », « l’immigration », le « sans-frontiérisme », le « nomade » ou le métissage. Le caractère conservateur du propos s’accentue par rapport à Julliard et Lordon dans une forme d’ultraconservatisme, mais dans des analogies manifestes avec eux.

Des convergences rhétoriques et idéologiques paradoxales

Pourquoi privilégier ainsi le niveau national dans les imaginaires collectifs comme dans l’action politique en en faisant l’axe principal, essentialisé de surcroît, par rapport à deux grands autres niveaux que sont le local et l’international ? Prendre en compte une certaine effectivité présente du plan national, sans le fétichiser pour autant, ne suffit-il pas ? Et pourquoi à gauche (Julliard et Lordon) en rajouter par le discrédit du mondial, en marginalisant le pari de l’universalisable propre à « l’Internationale sera le genre humain », selon les paroles de L’Internationale écrites par Eugène Pottier en juin 1871 en pleine répression de la Commune de Paris ? Et cela, en plus, dans un moment d’affaiblissement des idéaux internationalistes alors que la critique nationaliste de la mondialisation néolibérale est en bien meilleure forme que sa critique altermondialiste… Pourtant d’autres pistes politiques existent dans notre actualité. Par exemple l’historien Jérôme Baschet, spécialiste de l’expérience alternative en cours dans le Chiapas mexicain, rappelle opportunément contre Lordon la configuration d’« appartenances multiples et emboîtées » :

« Ce sont (au moins) trois échelles d’appartenance qu’articule le zapatisme, à la fois soulèvement indigène pour la dignité retrouvée et pour l’autonomie, lutte de libération nationale pour transformer le Mexique et rébellion anti-capitaliste pour l’humanité. Même si cette articulation n’a pas toujours été sans tensions, elle transforme le sens de chacun des registres concernés et permet d’écarter les périls que chacun d’eux, pris isolément, pourrait comporter »56.

Si Julliard, Lordon et Bock-Côté convergent d’une certaine manière sur la réévaluation du national et la délégitimation de l’internationalisme, ils se croisent aussi sur d’autres terrains plus ou moins adjacents. Comme on l’a vu, ils tendent à certains moments à parler au nom d’un « peuple » homogénéisé ; ce « peuple » étant tendanciellement un peuple-nation, y compris chez Lordon tenté de séparer « les migrants » des « classes populaires »57 (voir infra chapitre 8). Ils stigmatisent tous les trois « l’individu » et/ou « l’individualisme » en politique :

– « la marche vers une société à l’américaine, individualisée à l’extrême », « les valeurs individualistes », « l’aspiration à une libération totale de l’individu »58…jusqu’à « l’individualisme totalitaire »59 (sic), pour Julliard ;

– « le sentiment individualiste par excellence de la souveraineté personnelle, fantasme de la négation de toute appartenance », « l’individu libéral », « le fantasme de souveraineté du désir individuel » ou « la pensée moderne individualiste »60, pour Lordon ;

– « le fantasme de l’autoengendrement » ou « un imaginaire radical de l’émancipation » à gauche pour lequel « l’individu, pour s’émanciper, doit se délivrer des appartenances assignées par la société »61, pour Bock-Côté.

On doit mettre en rapport sur le plan idéologique le grossissement des prétentions de l’entité collective nationale et le rapetissement des ambitions pour l’individu. Ce qui constitue une simple inversion du manichéisme néolibéral : le collectivisme de l’appartenance succède à l’individualisme concurrentiel. Cela va jusqu’à la mise en cause par Bock-Côté de l’idéal d’émancipation individuelle promu au sein des Lumières du XVIIIe siècle.

« L’immigration » comme menace est seulement présente chez Julliard et Bock-Côté, avec une dimension plus accentuée et obsessionnelle chez ce dernier. Julliard s’inquiète des dangers portés par « la question musulmane »62 et Bock-Côté des « accommodements répétés avec l’islam »63. Julliard et Bock-Côté se rejoignent aussi dans l’antiféminisme à travers la condamnation, au nom d’une division sexuée des rôles sociaux prétendument « naturelle », de « la théorie du genre »64, formulation conservatrice caricaturale d’invention catholique aplatissant la diversité des « études de genre » sur une insaisissable théorie unique65. Là aussi cela est plus marqué chez Bock-Côté.

Par contre, la stigmatisation uniformisante des médias est le propre de Lordon et de Bock-Côté :

« stratégies de la duplicité des médias dominants – en clair, fournir des alibis de pluralisme à une machine dont tous les fonctionnements œuvrent en fait à la reconduction du même »66, « institutions politiques, partis en général, parti socialiste en particulier, médias, c’est tout le système de la conduite autorisée des opinions »67, « la forme de pensée médiatique, qui imprègne l’atmosphère de toutes les pensées individuelles dans ce milieu », dont « l’adhésion globale à l’ordre social du moment » et « l’hostilité réflexe à toute critique radicale de cet ordre »68, ou « les médias dominants se sont scrupuleusement tenus à leur tâche de gardiennage […] pour placer la continuité gouvernementale néolibérale hors d’atteinte »69, pour Lordon, qui fait pourtant partie des intellectuels les plus médiatisés aujourd’hui à gauche ;

– « une campagne d’épuration médiatique permanente », « les médias de masse, à partir de la deuxième moitié du XXe siècle, ont acquis un pouvoir de conditionnement de la population absolument unique dans l’histoire », « le parti médiatique », « le système médiatique officiel » ou « le dispositif politiquement correct au cœur du système médiatique »70, pour Bock-Côté, qui s’exprime pourtant régulièrement dans un des organes principaux de la presse écrite française, Le Figaro.

Relevons en particulier la proximité entre « le système de la conduite autorisée des opinions » de Lordon et le « politiquement correct » de Bock-Côté. Ils confluent également dans la dénonciation du fact checking et des rubriques de décodage des fake news dans la presse71. Partant, ils participent à délégitimer un outil, certes limité, s’efforçant de freiner la prolifération conspirationniste dans les espaces publics de nos sociétés. Cependant, leur critique manichéenne des médias s’énonce à partir de positionnements politiques complètement contraires :

– « la haine commune de la gauche que, significativement, tous nomment de la même manière : « extrême-gauche » ou « gauche radicale » » serait au cœur des « médias mainstream », selon Lordon72 ;

– alors que « la stratégie de la gauche radicale » et « l’extrême-gauche identitaire » seraient au cœur du « politiquement correct » médiatique, selon Bock-Côté73.

Pour le tempéré de gauche Julliard – qui ne donne pas dans ce type de critique simpliste des médias, dont il assume qu’il est une composante depuis longtemps – ce sont les « gauchistes »74 et « la doctrine de Bourdieu »75 qui sont dans la ligne de mire.

Comment comprendre les zones actuelles de convergence entre une figure intellectuelle de la gauche modérée, sociale-libérale dans les années 1980 et auto-redéfinie en « républicain » actuellement, une figure intellectuelle de la gauche radicale anti-libérale dans les années 2010 et une figure intellectuelle de la droite conservatrice aujourd’hui ? Or, au-delà même de ces trois cas, il y a aujourd’hui de la friture nationaliste et anti-internationaliste dans des discours de gauche et de droite par ailleurs irrémédiablement opposés sur toute une série de points. Et cela intervient dans un contexte où le nationalisme d’extrême droite a le vent en poupe en France et ailleurs. Il s’agit d’une partie de ce que je vais essayer de comprendre dans cet ouvrage sous le terme de confusionnisme.

Un retour soft de Maurice Barrès, entre ultraconservatisme, gauche modérée et gauche radicale ?

Les intersections conservatrices entre des écrits de Julliard, Lordon et Bock-Côté que nous venons de repérer révèlent quelques proximités lexicales et sémantiques, mais aussi des écarts et cela dans des contextes bien différents, avec un conservatisme nationaliste plus ancien : le nationalisme de « l’enracinement » formulé par l’écrivain antidreyfusard et antisémite Maurice Barrès (1862-1923)76. Pour s’en rendre plus précisément compte, on peut saisir certaines polarités qui travaillent un roman publié par Barrès en 1897, Les Déracinés, premier tome de la trilogie Le roman de l’énergie nationale77. Répartissons certains énoncés entre un pôle positif et un pôle négatif pour l’auteur :

– pôle positif : « la France » et « la patrie », « l’énergie nationale » et « l’énergie française », le « sol » et « la terre de leur pays », « il n’y a pour nous de vérités utiles que tirées de notre fonds » [« français »], le « type français » et « le type national », « l’héritage national », « les « racines terriennes et géniales » du « sentiment national », « le massif national », « la substance nationale », « la tradition nationale », « une communauté de sentiment », « une tradition commune » et « une même conscience », « l’unité française » et « l’idéal français »78 ;

– pôle négatif : « la raison abstraite » qui « déracine », le « cosmopolitisme », « un pays dissocié et décérébré », un « banquier juif […] né à francfort », ayant obtenu « la naturalisation française », issu d’une famille ayant acheté son titre de baron « chez le fripier […] en Prusse et en Italie » et se servant « de son argent pour mettre la main sur le personnel gouvernemental », « des protestants et des juifs dont beaucoup possèdent encore des habitudes héréditaires opposées à la tradition nationale » qui sont substitués au sein du gouvernement aux « catholiques […] du type français », « des juifs arrivés de cet hiver » qui auraient été « magnifiques dans leur ghetto de Francfort », mais « laids tout de même, avec leur mimique étrangère, sous le porche d’une vieille maison de Neufchâteau », car ils seraient des « nomades » avec qui on ne peut pas trouver « un lien », « une communauté de sentiment », « une tradition commune » et « une même conscience », « le Nord émigrant […] ces étrangers […] ces vagabonds qui nous transforment à leur ressemblance », et des « déracinés » (de Lorraine) qui « de leur ordre naturel, peut-être humble, mais enfin social, […] sont passés à l’anarchie, à un désordre mortel », car « trahis par les chefs insuffisants du pays » qui n’ont pas su leur « offrir un bon terrain de « replantement » »79.

Ici Barrès puise dans le pamphlet antisémite d’Edouard Drumont, La France juive (1886), dont il est un admirateur et qui oppose « la patrie » et « le Sémite perpétuellement nomade »80. Barrès a lui-même eu des échos, par la suite, dans la pensée fasciste des années 1930-194081.

Qui dit analogies entre des segments localisés d’écrits de Julliard, Lordon et Bock-Côté et des schémas plus systématiques à l’œuvre dans la pensée de Barrès ne dit pas identité idéologique et politique. Parler d’analogies appelle des ressemblances et des différences entre des contextes aux caractéristiques variables, ce qui est redoublé par la distance entre des fragments délimités de discours (ceux de Julliard, Lordon et Bock-Côté) et une construction idéologique plus stabilisée (celle de Barrès), même si l’historien Zeev Sternhell met en évidence les déplacements barrésiens au cours du temps d’un « socialisme national » de gauche (mais déjà antisémite) vers un conservatisme de droite82.

Qu’en est-il plus précisément des proximités et des différences entre nos trois auteurs contemporains et Barrès ? Chez Julliard, Lordon et Bock-Côté, on n’a pas affaire à une simple défense incolore de la nation, qui devrait déjà nous amener à tendre l’oreille dans un air du temps idéologique où le nationalisme a le vent en poupe mais pas pour autant nous conduire à convoquer Barrès. Une des ressemblances principales entre eux et Barrès va un peu plus loin : elle consiste en la promotion de la nation comme enracinement identitaire, ce que j’appellerai identitarisme dans la suite de l’ouvrage, corrélée à une dévalorisation du Monde.

Par contre, une différence importante avec Barrès est l’absence totale d’antisémitisme chez Julliard, Lordon et Bock-Côté. Le risque idéologique d’une connexion aujourd’hui avec l’antisémitisme n’en est pas pourtant complètement écarté : pas chez Julliard, Lordon et Bock-Côté eux-mêmes, mais dans les appropriations possibles par d’autres des thèmes qu’ils mettent en avant, et cela à cause de certains traits du contexte. Car la remise en circulation du lexique de « l’appartenance », de « l’héritage », de « la filiation », de « l’inscription territoriale » et de « l’identité nationale » contre le « sans-frontiérisme », « la communauté politique disséminée » et la figure du « nomade » peut rencontrer la réactivation récente de la stigmatisation publique du nom de « Rothschild »83, associé depuis 1830 en France à la dénonciation antisémite d’un « cosmopolitisme » capitaliste84. Or, les logiques idéologiques échappent souvent historiquement aux discours qui les ont initialement alimentées et peuvent parfois aboutir à l’inverse de leurs intentions. « La vie les a doublés », chante Eddy Mitchell dans Pauvre Baby Doll (1981)…

1 Je dois le titre de ce livre, La grande confusion, à une suggestion de la journaliste du Monde Raphaëlle Bacqué alors qu’elle venait m’interroger sur autre chose dans mon bureau à Lyon le 22 novembre 2018. Depuis l’intellectuel et cinéaste libertaire Yannis Youlountas a mis en ligne un montage vidéo consacré à un idéologue confusionniste, Étienne Chouard, intitulé également La grande confusion, Blog YY, 22 décembre 2018, [http://blogyy.net/2018/12/22/etienne-chouard-la-grande-confusion-video/]. Le sous-titre finalement retenu est né de la combinaison des conseils de mes amis Manuel Cervera-Marzal et Francis Brochet.

2 Sur la façon dont les transformations de l’espace médiatique américain (avec notamment la place prise par la chaîne de télévision ultraconservatrice Fox News), amorcées dans les années 1990, en interaction avec une présence plus minoritaire de l’ultra-droite sur Internet et les réseaux sociaux, ont contribué à favoriser la « trumpisation » et, au-delà, l’extrême droitisation idéologique et politique aux États-Unis, voir la synthèse de travaux américains de sciences sociales proposée par le sociologue Dominique Cardon, « Pourquoi avons-nous si peur des fake news ? », site culturel AOC (Analyse Opinion Critique), Partie 2, 21 juin 2019, [https://aoc.media/analyse/2019/06/21/pourquoi-avons-nous-si-peur-des-fake-news-2-2/].

3 Voir la notice consacrée à Jacques Julliard publiée sur le site du Maitron. Dictionnaire biographique, mouvement ouvrier, mouvement social et rédigée par l’historien Christophe Prochasson, mise initialement en ligne le 15 juillet 2011 et modifiée le 26 juillet 2019, [https://maitron.fr/spip.php?article137573].

4 Voir « 1988 : la République du centre », dans l’enquête de l’historien des idées François Cusset, La décennie. Le grand cauchemar des années 1980 [1e éd. : 2006], Paris, La Découverte/Poche, 2008, pp. 136-146.

5 Ibid., p. 138.

6 Dans D. Eribon, D’une révolution conservatrice et de ses effets sur la gauche française, Paris, Léo Scheer, collection « Variations », 2007, pp. 19-20.

7 Voir Julien Duval, Christophe Gaubert, Frédéric Lebaron, Dominique Marchetti et Fabienne Pavis, Le « Décembre » des intellectuels français, Paris, Liber-Raisons d’agir, 1998.

8 J. Julliard, « Vingt thèses pour repartir du pied gauche » [1e éd. : 2010], repris dans L’Esprit du peuple, Paris, Robert Laffont, collection « Bouquins », 2017, p. 655.

9 J. Julliard, « Le divorce du peuple et de la gauche », propos recueillis par A. de Benoist, revue Éléments, n° 159, mars-avril 2016, repris dans L’Esprit du peuple, ibid., p. 687.

10 Ibid., p. 689.

11 Ibid., p. 685.

12 Ibid., pp. 689 et 682.

13 J. Julliard, « Requiem pour une gauche défunte », dans les « Conclusions » de L’Esprit du peuple, ibid., p. 1035.

14 Ibid.

15 P. Boucheron (éd.), Histoire mondiale de la France [1e éd. : 2017], Paris, Seuil, collection « Points Histoire », 2018 ; l’historien Patrick Boucheron définit ainsi le projet du livre : « écrire l’histoire d’une France qui s’explique avec le monde » (ibid., p. 13) et cela « contre l’étrécissement identitaire qui domine aujourd’hui le débat public » (ibid., p. 8).

16 J. Julliard, « Requiem pour une gauche défunte », op. cit., p. 1036.

17 Ibid., p. 1037.

18 J. Julliard, « Pour un réformisme utopique », dans les « Conclusions » de L’Esprit du peuple, ibid., p. 1051.

19 F. Lordon, Imperium. Structures et affects des corps politiques, Paris, La Fabrique, 2015, p. 20.

20 Ibid., p. 38.

21 Ibid., p. 331.

22 Ibid., p. 71.

23 Ibid., pp. 37, 39, 48 et 50-51.

24 Ibid., pp. 47-49.

25 Ibid., pp. 166-168 et 173-174.

26 Ibid., p. 271.

27 Ibid., p. 193.

28 Ibid., p. 280.

29 Ibid., p. 47.

30 Ibid., p. 144.

31 Ibid., p. 162.

32 Ibid., p. 305.

33 Ibid., p. 174.

34 Ibid., p. 190, mis en italique par l’auteur.

35 Ibid., p. 50, mis en italique par l’auteur.

36 Ibid., pp. 50-53.

37 Ibid., pp. 30, 38, 40, 43 et 154.

38 Dans K. Marx, « Introduction générale à la critique de l’économie politique » [manuscrit de 1857], repris dans P. Corcuff (éd.), Marx XXIe siècle. Textes commentés, Paris, Textuel, collection « Petite encyclopédie critique », 2012, p. 183.

39 Ibid., p. 51.

40 Dans B. Spinoza, Éthique [rédigé en 1663-1675], Paris, GF-Flammarion, 1965, Partie III, proposition VI, p. 142

41 Pour des prémices de cette conception, voir E. Levinas, De l’évasion [1e éd. : 1935], introduit par Jacques Rolland, Paris, Le Livre de poche, collection « Biblio essais », 1998, p. 125 ; pour une vue globale de ce thème, voir P. Corcuff, « Levinas-Abensour contre Spinoza-Lordon. Ressources libertaires pour s’émanciper des pensées de l’identité en contexte ultra-conservateur », revue Réfractions. Recherches et expressions anarchistes, n° 39, automne 2017, pp. 109-122, [https://refractions.plusloin.org/IMG/pdf/refr39_07_levinasetc_comp.pdf].

42 Voir, par exemple, F. Lordon, « Politique post-vérité ou journalisme post-politique ? », blog « La pompe à phynance », Les blogs du « Diplo », 22 novembre 2016, [https://blog.mondediplo.net/2016-11-22-Politique-post-verite-ou-journalisme-post], « Les forcenés », ibid., 8 janvier 2019, [https://blog.mondediplo.net/les-forcenes] et « Le complot des anticomplotistes », Le Monde diplomatique, octobre 2017, [https://www.monde-diplomatique.fr/2017/10/LORDON/57960].

43 F. Lordon, « Des « petits rats » et du journalisme selon Ariane Chemin », blog « La pompe à phynance », Les blogs du « Diplo », 3 février 2020, [https://blog.mondediplo.net/des-petits-rats-et-du-journalisme-selon-ariane].

44 M. Bock-Côté, L’empire du politiquement correct. Essai sur la respectabilité, Paris, Cerf, 2019, pp. 54-55 et 240-242.

45 Ibid., pp. 231-239.

46 Ibid., pp. 255-263.

47 Ibid., p. 24.

48 Ibid., p. 98.

49 Ibid., notamment pp. 23, 56, 57, 75, 77, 78, 101 et 171.

50 Ibid., notamment pp. 16, 42, 101, 138 et 204.

51 Ibid., p. 99.

52 Ibid., p. 203.

53 Ibid., p. 140.

54 Ibid., p. 146.

55 Ibid., pp. 138-146.

56 Dans J. Baschet, « Frédéric Lordon au Chiapas », site de la revue Ballast, 9 mai 2016, [https://www.revue-ballast.fr/frederic-lordon-au-chiapas/].

57 Dans F. Lordon, « Appels sans suite (2). Migrants et salariés », blog « La pompe à phynance », Les blogs du « Diplo », 17 octobre 2018, [https://blog.mondediplo.net/appels-sans-suite-2].

58 J. Julliard, « Le divorce du peuple et de la gauche », dans L’Esprit du peuple, op. cit., pp. 684-685.

59 J. Julliard, « Requiem pour une gauche défunte », ibid., p. 1034.

60 F. Lordon, Imperium, op. cit., pp. 55, 57, 58 et 69.

61 M. Bock-Côté, L’empire du politiquement correct, op. cit., pp. 24 et 92.

62 J. Julliard, « Requiem pour une gauche défunte », dans L’Esprit du peuple, op. cit., p. 1026.

63 M. Bock-Côté, L’empire du politiquement correct, op. cit., p. 113.

64 J. Julliard, « Requiem pour une gauche défunte », dans L’Esprit du peuple, op. cit., p. 1035, et M. Bock-Côté, L’empire du politiquement correct, op. cit., pp. 16, 24-27, 58 et 246.

65 Voir Sara Garbagnoli et Massimo Prearo, La croisade anti-genre. Du Vatican aux manifs pour tous, Paris, Textuel, collection « Petite encyclopédie critique », 2017.

66 F. Lordon, « Critique des médias, critique contre les médias », », blog « La pompe à phynance », Les blogs du « Diplo », 17 août 2009, [https://blog.mondediplo.net/2009-08-17-Critique-des-medias-critique-dans-les-medias].

67 F. Lordon, « Politique post-vérité ou journalisme post-politique ? », art. cit.

68 F. Lordon, « Le complot des anticomplotistes », art. cit.

69 F. Lordon, « Les forcenés », art. cit.

70 M. Bock-Côté, L’empire du politiquement correct, op. cit., pp. 31, 35, 46, 47 et 65.

71 F. Lordon, « Le complot des anticomplotistes », art. cit., et M. Bock-Côté, L’empire du politiquement correct, op. cit., pp. 60-63.

72 F. Lordon, « Politique post-vérité ou journalisme post-politique ? », art. cit.

73 M. Bock-Côté, L’empire du politiquement correct, op. cit., pp. 29 et 191.

74 J. Julliard, « le divorce du peuple et de la gauche », dans L’Esprit du peuple, op. cit., p. 682.

75 J. Julliard, « Requiem pour une gauche défunte », ibid., p. 1033.

76 Voir l’historien israélien Zeev Sternhell, Maurice Barrès et le nationalisme français [1e éd. : 1972], Paris, Fayard, collection « Pluriel », 2016.

77 M. Barrès, Les Déracinés, Paris, Bibliothèque-Charpentier-Eugène Fasquelle Editeur, 1897, version reprise sur Wikisource, [https://fr.wikisource.org/wiki/Les_D%C3%A9racin%C3%A9s].

78 Ibid., successivement pp. 9 et 32, 19 et 246, 280 et 313, 19 et 33, 33, 33 et 306, 306, 159, 143, 238, 240 , 241 et 243, 307, 320, 397 et 446.

79 Ibid., successivement pp. 19, 71, 236-243, 256-257, 306-307, 319-320, 321 et 464-465.

80 Voir l’historien des idées Pierre-André Taguieff, « L’invention racialiste du Juif », revue Raisons politiques, n° 5, 2002/1, pp. 29-30 et 39-40, et sur l’opposition antisémite entre le « national » et le « cosmopolite » dans le nationalisme du tournant des XIXe et XXe siècles, au-delà des cas de Drumont et de Barrès, voir Z. Sternhell, Ni droite, ni gauche. L’idéologie fasciste en France [1e éd. : 1983], nouvelle édition revue et augmentée, Bruxelles, Éditions Complexe, 1987, p. 80.

81 Sur les usages de la référence à Barrès dans la pensée fasciste, voir Z. Sternhell, Ni droite, ni gauche, ibid., notamment pp. 37, 53-54 et 143-144.

82 Z. Sternhell, Maurice Barrès et le nationalisme français, op. cit.

83 Voir Hélène de Gunzbourg, « Le nom de Rothschild dans la campagne présidentielle », site Lignes de Crêtes, 11 mars 2009, [https://www.lignes-de-cretes.org/le-nom-rothschild-dans-la-campagne-presidentielle/].

84 Voir la mise en perspective historique proposée par le sociologue Pierre Birnbaum sur les bricolages idéologiques entre antisémitisme et anticapitalisme (dont le « mythe Rothschild »), dans Genèse du populisme. Le peuple et les gros [1e éd. : 1979 sous le titre Le peuple et les gros], Paris, Fayard/Pluriel, 2010, pp. 49-78.

 

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