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5 septembre 2013

La « crise financière » est une crise du mode de production capitaliste – Thèse de Norbert Trenkle

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Les causes de la crise économique actuelle ne sont pas à rechercher du côté de la spéculation ni de l’endettement. On peut par contre constater que l’expansion gigantesque des marchés financiers est l’expression d’une crise profonde du travail et de la valorisation du capital dont l’origine remonte à au moins trente ans.

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Depuis le krach sur les marchés financiers en 2008, c’est devenu en quelque sorte un sport populaire que de reprocher aux « spéculateurs » et aux « banquiers » leur « ivresse du profit » et leur «rapacité». Mais, en fait, la recherche du profit toujours plus grand représente bel et bien le moteur de base de l’ensemble du mode de production capitaliste. Il fonctionne selon le principe de «faire avec de l’argent plus d’argent» (A-M-A’). On appelle cela la valorisation du capital. La production de marchandises et la dépense de force de travail ne sont, dans le système de production de marchandises, qu’un moyen pour arriver à ce but. Du point de vue de la valorisation du capital, il est complètement égal de savoir ce qui est produit (p. ex. des bombes à fragmentation ou de la sauce tomate), comment quelque chose est produit (intensification permanente du travail, précarisation, travail des enfants) et aussi quelles en sont les conséquences (destruction des ressources naturelles de la vie).

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La logique de valorisation capitaliste porte en elle une contradiction interne et fondamentale qui ne peut pas être résolue. D’un côté, il faut qu’il y ait toujours plus de force de travail dépensée dans la production de marchandises afin de garantir la valorisation du capital ; la multiplication de l’argent, devenue une fin en soi, par le moyen de la dépense de force de travail, est abstraite et quantitative, et ne connaît pas en elle-même de limite logique. De l’autre côté, la concurrence omniprésente oblige à augmenter en permanence la productivité par la «rationalisation» de la production. Cela veut dire qu’il faut produire toujours plus de marchandises par unité de temps, c’est-à-dire réduire le temps de travail nécessaire jusqu’à rendre la force de travail «superflue».

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La potentialité de crise fondamentale que comporte cette contradiction pouvait, jusque dans les années 1970, être différée en permanence par une accélération du rythme de la croissance. Par l’extension de la valorisation du capital à toute la planète et à de nouvelles branches de production, la demande absolue en main-d’œuvre fut augmentée et ainsi l’effet de rationalisation contrecarré. Mais la «troisième révolution industrielle» (sur la base des télécommunications) a rendu inefficace ce mécanisme de compensation. Elle a entraîné une disparition massive de l’emploi dans toutes les branches de production. Malgré l’expansion et la globalisation de la production, toujours plus de gens sont devenus «superflus» du point de vue de la valorisation capitaliste. C’est ainsi que s’est développé un processus de crise fondamentale qui mine le mode de vie et de production capitaliste.

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Mais qu’est-ce que le gonflement des marchés financiers a à voir avec tout cela ? La crise de la valorisation du capital veut d’abord dire que le capital trouve toujours plus difficilement moyen de s’investir dans «l’économie réelle». C’est pour cela que le capital se rabat sur les marchés financiers et entraîne un gonflement du «capital fictif» (spéculation et crédit). C’est exactement ce qui s’est passé depuis le début des années 1980. Ce déplacement vers les marchés financiers ne représente rien d’autre qu’une forme de mise en sursis de la crise. Le capital en excédent avait trouvé une nouvelle possibilité de placement («fictive»), échappant ainsi à la menace de la dévalorisation. En même temps, l’expansion du système de crédit et de spéculation a créé plus de pouvoir d’achat, induisant pour sa part un élargissement de la production (p. ex. le boom de l’industrialisation en Chine).

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Le prix à payer pour cet ajournement de la crise est une accumulation toujours plus grande de son potentiel de destruction et une dépendance extrême envers les marchés financiers. «L’accumulation» fictive de capital doit se poursuivre inlassablement. Quand une bulle explose, les gouvernements et les banques centrales n’ont d’autre choix que de sauver les banques et les investisseurs et d’injecter massivement des liquidités non couvertes dans les marchés afin de recréer de nouvelles bulles. Les dirigeants politiques de tous bords se font donc des illusions quand ils réclament une limitation rigoureuse de la spéculation. Même si des mesures ponctuelles de régulation sont éventuellement possibles, on peut dire de manière générale que le système reposant sur la spéculation et le crédit doit perdurer parce que le système capitaliste ne peut continuer sur cette seule «base». Ce n’est pas un hasard non plus si la «realpolitik» a procédé exactement selon ce schéma en essayant de remettre en branle la dynamique des marchés financiers.

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La crise actuelle représente un tournant qualitatif car le krach n’a pu être rattrapé qu’au moyen d’une expansion massive de l’endettement étatique. C’est pour cela que maintenant la crise frappe la société sous la forme d’une crise budgétaire («programmes d’austérité»). Mais quand aujourd’hui on nous dit qu’il faut faire des économies parce que «nous vivons au-dessus de nos moyens», on présente les choses à l’envers. Si avec moins de travail on peut créer toujours plus de richesses matérielles, cela ouvre en principe la possibilité d’une vie meilleure pour toute l’humanité. Mais le fait de rester soumis aux rapports capitalistes mène à une diminution de la production de valeur. C’est de là, et uniquement de là, que provient «l’impératif de faire des économies» pour une société régie par la dite production de valeur. L’endettement gigantesque est également l’expression de ce que le potentiel productif créé par le capitalisme fait exploser sa propre logique et que la production de richesses sous le capitalisme ne peut être maintenue que par la violence. La société doit se libérer de cette forme de production de richesses si elle ne veut pas être entraînée dans l’abîme avec elle.

 

Traduction française : Paul Braun

Extrait du site « critique radicale de la valeur »

2 Commentaires Poster un commentaire
  1. adsalam
    Nov 13 2013

    Les théories économiques sont incapables d’expliquer le monde.

    Le fait, qu’une théorie économique soit inévitablement réductrice, ne l’invalide pas pour autant. Quand elle s’étaye empiriquement sur le long terme, elle nous éclaire sur une partie de la réalité.
    C’est ainsi qu’une étude des données économiques aux États-Unis, remontant jusqu’en 1929, confirme la théorie de la valeur et celle de la baisse tendancielle du taux de profit. Analyse menée par Andrew Kliman.

    En conséquence, notre monde actuel, avec sa logique productiviste, ne pourrait survivre qu’en détruisant, massivement, la valeur des immobilisations existantes et en sortant des contraintes du libre-échange. L’autre solution ou complémentaire est le recours à l’inflation qui participera à la destruction d’actifs tout en résorbant partiellement les dettes nationales. Et à défaut de cette dernière, les néolibéraux appliqueront la politique du pélican dans le désert : la chasse à ces mêmes dettes, fussent-elles illégitimes !

    La valeur et le taux d’exploitation, que MARX voyait cachés derrière le mouvement apparent de l’économie, s’affichent aujourd’hui, à peine maquillés, sur la voie publique.

    D’où vient ce contraste ? De l’absence d’une théorie marxiste du lieu précis entre cette réalité cachée ( la valeur et l’exploitation) et la réalité apparente (le monde enchanté des prix et des revenus). Proudhon avait pressenti cette aporie chez Marx. Pour lui, la contradiction entre valeur d’usage et valeur d’échange est à l’origine des crises économiques des et des inégalités, donc de la pauvreté. Pour lui, l’échange est inégal, aussi faudrait-il adopter une « valeur synthétique » afin de résoudre la contradiction.

    Aussi, dans sa « Critique du programme de Gotha » (1875), ce dernier combat l’idée qui veut que le travail soit la seule source de valeur. Pour Marx, le travail n’est que l’expression d’une force « naturelle » : la force de travail. La nature est donc tout autant que le travail la source des valeurs d’usage.

    Nous vivons une crise historique de la loi de la valeur. Ce qui n’a pas échappé à Daniel Bensaïd : « La mesure de toute chose par le temps de travail abstrait est devenue, ainsi que Marx l’annonçait dans les Manuscrits de 1857, une mesure « misérable » des rapports sociaux.»

  2. Wil
    Nov 18 2013

    Bonjour,

    Je trouve étrange qu’un partisan de la lecture de la crise actuelle en termes de la théorie de la valeur et de baisse tendancielle du taux de profit finisse par attribuer la crise aux « contraintes du libre-échange », puis par considérer que « l’inflation » pourrait constituer une « solution », sans parler enfin du fait de trouver « illégitimes » les « dettes nationales ». Sinon je partage les autres remarques.

    Wil

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