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22 septembre 2013

Anarchie et utopie – Archibald Zurvan

Jazz/La tristesse du roi - Matisse

Jazz/La tristesse du roi – Matisse

Jacques était une figure intellectuelle anarchiste, auteur régulier sous son nom de plume Archibald Zurvan dans le journal Le Monde Libertaire ainsi que dans diverses publications, grand connaisseur de l’œuvre de Proudhon, sa route fut riche en rencontres, notamment au cours de ses émissions de radio Chronique hebdo, telle que celle de Pierre Bourdieu en 2001. Homme de grande culture attaché aux valeurs éthiques, il refusa jusqu’au bout la gangrène du pouvoir et son corollaire de manœuvres abjectes, également en milieu anarchiste.

Le texte ci-dessous, une lecture possible de l’utopie au regard de l’anarchie, est issu d’un de ses blogs.

_______________________

 

– I –

 

« Manière de Voir », le supplément du Monde Diplomatique vient, en juillet 2010 de reprendre une partie d’une série d’articles parus dans le numéro du mois d’août 2006 du même mensuel, sous le titre « dernières nouvelles de l’Utopie » et le sous titre « Quelle société future ? » met en scène quelques personnages connus ou inconnus qui se réclament « de la tradition libertaire au sens large » (sic), voire de l’Anarchie.
Il m’a paru intéressant à cette occasion de rapprocher ces deux concepts, deux idées un peu rapidement associées et de rechercher ce qu’elles signifient. Il apparaît en effet très souvent que lorsqu’on parle d’Utopie ou d’Anarchie, des interprétations souvent diverses et même opposées s’affrontent. Car ce rapprochement entre les termes utopies et anarchie continue malheureusement d’imprégner les consciences, illustrant ainsi un conservatisme peureux ou agressif.

L’une des formules habituelles utilisées pour minimiser, banaliser ou ridiculiser la pensée, la philosophie, la morale anarchiste est celle-ci : « Il y a, au fond, autant d’anarchies que d’anarchistes ».

S’il s’agissait de souligner l’immense portée de l’ »utopie », de l’idéal anarchiste, capable d’inspirer la réflexion et l’action d’individus et de groupes d’une riche diversité de culture, de tradition, et de leur faire privilégier, dans leurs combats et leur réflexions, tel ou tel mode d’intervention, qu’il s’agisse de l’entreprise capitaliste, de la commune où ils vivent, de l’association qu’ils animent, qu’ils soient soucieux de leur propre renforcement culturel, de ce que Fernand Pelloutier appelait « la culture de soi-même », une seule et même morale, celle du respect de la dignité de chacun, les anime. Leur philosophie, leur modèle de relations sociales est unique, fondé sur la justice, la solidarité, l’équilibre dans l’échange, le « contrat mutuel » en place de l’autorité imposée de la loi. Cette « unité » dans l’immense planète de ceux qui se réfèrent à l’anarchie, cette diversité sont le propre de ce qui fonde le lien anarchiste. Cette « unité » dans la « diversité » est est le signe, le privilège de la liberté face aux formes multiples de l’autorité des pouvoirs imposés. Elle seule peut freiner et tenter de stopper l’avancée des totalitarismes. Camus écrivait : « L’unité, c’est l’harmonie des contraires, la totalité, c’est l’écrasement des différences ».

De même, lorsqu’on qualifie, sans explication, de « référents » anarchistes, des personnages comme Charles Fourier, Robert Owen, et, à un « adjectif près », le chantre de l’ultra libéralisme, l’économiste Friedrich von Hayek, idole des « libertariens » américains qui s’affublent, pour montrer leur passion pour la Loi de la Jungle capitaliste, d’une défroque « libertaire au sens large »… très large, il convient d’émettre quelques réserves sur le sérieux du projet.

Cette « Manière de Voir » fait suite à un colloque tenu en juin 2006 aux Etats-Unis, à Cap Cod dans le Massachussets. Etait invité, entre autres personnalités, Noam Chomsky, pour débattre d’un « schéma alternatif de Société ».

Ce « schéma », cette maquette, prévoit notamment la « Polyvalence des tâches », la « Planification participative », la « Rémunération de la production des biens socialement utiles » selon un barème fondé sur l' »effort » déployé et le « sacrifice » consenti par l’individu. Faut-il voir dans ce « sacrifice » un appel à une religion dont le « gourou » serait à élire ?
Je suppose qu’un tel langage un tantinet mystique a découragé Chomsky et quelques autres invités du colloque, puisqu’ils ne s’y sont pas rendus…

 

Utopie : le double sens

 

Il est vrai que le mot a pris le sens d’une idée impossible à réaliser, d’un concept fumeux, d’un rêve peu cohérent, d’un imaginaire délirant, d’une construction abstraite et illusoire. L’ utopiste n’a pas les pieds sur terre, il vit dans l’irréalité…
Etymologiquement U-TOPOS en grec ancien signifie le « NON-LIEU », l’utopie c’est le non lieu, c’est un rêve, un projet, tel un voyageur qui n’a posé son bagage sur aucun point de la terre ferme.
Mais à l’inverse de cette acception, on peut voir aussi l’utopie comme un idéal dont les contours restent changeants à l’image de l’évolution des Sociétés réelles, idéal dont on accepte l’idée qu’il ne sera jamais atteint. Cette conception rejoint la simple idée qu’il n’y a pas de société « parfaite », d’une « absolue » perfection. La recherche de l’harmonie et de la justice entre les humains, restera ce mouvement permanent vers un idéal qui se dérobe. Dans une présentation de ce numéro de Manière de voir, en août 2010, Gilles Lapouge cite un écrivain uruguayen pour qui l’utopie est un idéal qu’on ne peut atteindre mais qu’on doit chercher à atteindre. Et il conclut : « A quoi sert l’utopie ? A cheminer ». Pour l’anarchie, ce mouvement permanent vers l’idéal n’est pas seulement un cheminement placide et plein de méditation. Il doit être un préalable à l’action contre l’injustice sociale, contre l’insolidarité et le décervelage des individus. Et que faire si le « cheminement » n’est plus possible ? Renoncer ou se battre pour poursuivre son chemin. Dans un poème, mis en chanson, Gaston Couté, dans les années 1900, évoquait l’avidité des propriétaires et exploitants paysans qui ne supportaient pas de voir échapper à leurs terres les chemins qu’utilisaient les voyageurs à pied, colporteurs, trimardeurs, chemineaux de toutes origines, pour leurs tâches ou leur plaisir. Chaque année le chemin se rétrécissait, envahi par les sillons volés. Où donc cheminerai-je demain, concluait il, en proposant la révolte.
Ajoutons qu’il faut aussi accepter l’idée, et c’est plus difficile, que si cet idéal se concrétisait définitivement, nous serions dans une société pacifiée, figée, en un mot une société morte.

Cette dernière signification, à savoir la recherche permanente d’un idéal, donnée à l’utopie, peut aisément se confondre avec l’idéal anarchiste. Mais de tous temps les utopistes n’en ont eu cure : il leur aurait fallu accepter de voir leur édifice inachevé. La non fixité, la non terminaison qu’implique la permanence du mouvement de la vie et de la résistance au réel leur est  inacceptable. On est loin du combat pour la dignité des individus ; pour la recherche de solutions équilibrées, harmonieuses et pacifiques aux contradictions, aux confrontations, aux controverses et aux conflits qui forment la vie, le destin et l’actualité des sociétés.

 

Les rêveurs

 

Ils sont nombreux, poètes, romanciers, philosophes, écrivains de science fiction, politiciens démagogues à voyager en Utopie. Ils ne sont pas toujours soucieux d’harmonie tel Platon chassant les poètes de sa République !
D’autres ne se font pas d’illusion sur leurs illusions généreuses : Thomas More écrit : « Les meilleurs conseils ne pourront rien dans les Etats où la propriété est un droit individuel, où toutes choses se mesurent par l’argent ; et par conséquent le bonheur des utopiens restera pour longtemps un rêve de philosophe. »
Humaniste, ami d’Erasme, monarchiste et catholique, exécuté par un roi et béatifié par l’église de Rome, Thomas More, homme d’ordre, voulait le bonheur du peuple mais non par le peuple dont il redoute la violence. C’est un visionnaire d’une société juste, d’une société dit-il, où « une fois la propriété abolie, six heures de travail par jour suffiront à assurer le bien-être général ». Nous sommes en 1516.

Et n’oublions pas que le « non lieu » de Thomas More, ce meilleur état de la République est une île, l’île appelée Utopia. Serait-ce qu’on ne peut être heureux que loin des autres, dans une île ?
Rabelais a francisé Utopia en Utopie. Il nous fait rêver au bonheur des habitants de l’abbaye de Thélème. C’est une communauté aristocratique adepte du « fais ce que voudras » mais tout autant soucieuse de la connaissance et de la raison selon cette belle formule de Rabelais : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. »
Robert Owen et Charles Fourrier, ces deux utopistes communautaristes ne se sont jamais présentés comme des « pères » de l’anarchie ni même comme des inspirateurs de la morale et de la philosophie anarchiste. Ce sont de grands rêveurs généreux.
Fourrier, dans son Nouveau monde industriel et sociétaire, imagine une communauté fermée qu’il appelle phalanstère. Des tentatives de création de communautés de ce type en Amérique ou en Europe imaginées par ses adeptes (Considérant, Godin) furent des expériences provisoires et isolées dans un milieu hostile et devinrent rapidement des « non lieux », des chimères.
Robert Owen, co-propriétaire d’une usine textile en Ecosse est un réformateur social qui améliore, dans son entreprise, le sort de ses ouvriers. Il propose, en outre, un plan de transformation de la législation du travail. Sa tentative de créer, ex nihilo, à partir de rien, une communauté, une colonie communiste « New Harmony », en Indiana aux USA, échoue également.

 

L’anarchie face à l’utopie

 

Nous avons vu que, si l’utopie était prise dans son sens d’idéal à atteindre par le combat permanent contre l’ordre social injuste, si chaque action concrète de résistance, chaque révolte s’inspiraient de cet idéal, elle n’entrerait pas en contradiction avec les principes et la morale de l’anarchie.
Mais les quelques exemples d' »utopistes rêveurs » évoqués ci-dessus montrent la faiblesse de ce que Proudhon appelait « des Sectes ». Le « père de l’Anarchie » subit, très concrètement cette fois, et non en imagination, les attaques de ces sectes, au prosélytisme agressif.
Il suffit de citer quelques unes des appréciations de Proudhon sur elles, pour saisir en quoi ces sectes n’ont pas, sauf quant à la critique d’un ordre social injuste, de points communs avec l’anarchie. Bien souvent elles font obstacles aux prises de position et aux propositions d’action des anarchistes.

 

L’anarchie contre le dogme

 

La liberté de penser, l’ouverture d’esprit, la recherche incessante de l’explication des phénomènes économiques et sociaux, sont le fondement de la pensée anarchiste. Il ne peut s’agir de se satisfaire d’une découverte, d’un savoir qu’on installerait comme absolu, en vérité définitivement incontestable. Tout dogme, tout catéchisme, toute religion est un frein, une entrave à la pensée libre, à l’évolution des idées vers une morale humaine. Il ne peut y avoir de religion de la raison, de la logique, pas plus qu’il n’y a  de religion supra terrestre. Rien n’est au dessus de l’entendement de l’homme ancré dans les réalités du présent. La « révérence » à l’Absolu conduit d’abord à l’obéissance servile puis au « sacrifice ». L’utopiste se soumet puis se « sacrifie », pas l’anarchiste [1].

 

– II –

 

Les remarques et les propositions d’explication sur le thème Anarchie et utopie, que vous allez lire dans la suite de cet exposé  sont inspirées des notes des carnets de Pierre Joseph Proudhon.

 

L’anarchie contre le mysticisme

 

Le rêve, l’imagination sous quelque forme que ce soit, poésie, science fiction, roman d’anticipation sont sans effet sur le réel immédiat, sur la vie concrète des sociétés [3]. Les spéculations sur la vie, les prophéties sur le bonheur à court ou à moyen terme, dans l’au-delà ou sur terre sont incompatibles avec l’analyse raisonnée des réalités. Analyse et critique qui sont le fait de l’anarchie. L’utopiste au contraire se complait dans ses illusions, dans ses chimères, dans ce vide [2 et 5]. Cette stagnation béate de la pensée est de son fait. On peut parler à ce sujet de maladie de l’esprit humain [8] puisque le décalque de l’irréel sur le réel a atteint son apogée.
Le futur, l’avenir pour l’anarchiste se construit au présent. Quant à l’utopiste, plus ou moins consciemment, il se berce d’illusion ; il est mystique ou mystifié. S’il est acteur de la mystification, il est un charlatan, un escroc faiseur de vaines promesses [6]. Pour mieux impressionner, il se sert de néologisme masquant ainsi le sens commun. Devant le fait qu’il a des difficultés à se faire entendre, devant l’irréalité de ce qu’il expose, il envoie sa secte en Amérique [10].

 

L’anarchie et la « communauté »

 

L’anarchie fonde sa philosophie et sa morale sur l’épanouissement et le développement des facultés et des connaissances de l’individu. Il n’est de combat pour la justice que fondée sur l’égalité des personnes, l’équilibre des intérêts individuels.
L’association libre des volontés et des forces s’oppose à la communauté utopiste, à toute forme d’esprit grégaire. La bataille de l’anarchie contre la passivité du troupeau, contre l’uniformisation, contre l’écrasement des différences est permanente. La communauté par la voix de ses chefs, de ses prophètes, de ses meneurs est un facteur d’entraînement du peuple dans une utopie sociale sous une bannière sectaire [6, 7, 11].
La liberté et la non hiérarchie s’opposent au culte du chef. La capacité de chacun, la participation aux décisions et à leur mise en oeuvre excluant de fait la délégation de pouvoir, forme de renoncement favorisant la soumission au chef, sont au coeur de la pensée anarchiste.

 

L’anarchie et l’autorité

 

Pour l’anarchie, les relations sociales sont fondées sur la liberté et la justice. La justice est le respect de la dignité de l’individu. Elle est la règle pour les anarchistes et elle est le fondement de la plus belle expression d’un ordre harmonieux.
Il s’agit donc de trouver des formes d’organisation sociale où la liberté l’emporte sur l’autorité. Pour réduire la part de l’autorité, le pouvoir doit être près du pôle d’initiative, il doit être le plus dilué possible. Pour l’utopiste communautariste au contraire, l’autorité se justifie par la soumission volontaire du troupeau – éventuellement avec l’excuse du trop grand nombre à conduire [7]. Le développement de l’autorité, l’abus de pouvoir, l’ambition des chefs de secte sont à l’origine d’un système autoritaire développé pouvant devenir carcéral [7 et 12]. Asservir pour rendre libre, tel est le credo de l’utopie. Il s’agit pour les dirigeants, le plus souvent, de restaurer d’anciennes castes, de reconstruire une autorité sur l’ancien modèle, de mettre en oeuvre des plagiats politiques ; il leur faut la dictature [4 et 5]. L’enfermement est encore le meilleur moyen de réduire l’homme à l’état somnambulique [12].

Dans ses carnets, Proudhon n’est pas tendre à l’égard des utopistes de son temps. Il voyait dans ce bouillonnement des idées «sectaires» non seulement un enfermement dans l’irréalité, mais surtout l’immense danger d’une paralysie des initiatives et des résistances au présent. Ses observations et ses craintes sont toujours d’actualité. Elles s’appliquent encore aujourd’hui, au temps du grand décervelage médiatique, du virtuel, du subliminal, de la déconnexion du réel dans une société infestée du mysticisme capitaliste [13].

 

Archibald  Zurvan – Août 2010

NOTES
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1 – Le 17 mai 1846 Proudhon écrivait à Marx, pour répondre à sa proposition de lui donner une place dans son « association de communistes allemands et de socialistes européens » : « je fais profession … d’un anti-dogmatisme économique presque absolu. Cherchons ensemble, si vous voulez les lois de la Société, le mode dont ces lois se réalisent, le progrès selon lequel nous parvenons à les découvrir, mais, pour Dieu, après avoir démoli tous les dogmatismes a priori, ne songeons pas, à notre tour, à endoctriner le peuple… faisons nous une bonne et loyale polémique, donnons au Monde l’exemple d’une tolérance savante et prévoyante, mais, parce que nous sommes à la tête du mouvement, ne nous faisons pas les chefs d’une nouvelle religion, cette religion fut-elle la religion de la logique, la religion de la raison… ».

NOTES de Pierre Joseph Proudhon

Les numéros figurant dans cette seconde partie se rapportent aux sujets développés par Proudhon et qui ont inspiré mon texte. (Numéros de 2 à 13). exemple de référence : C2 102 : Carnet numéro 2 numéro de paragraphe 102 (Edition Marcel Rivière 1960).

2 – « je dois dire « aux fouriéristes de bonne foi » que je suis le seul interprète que Fourier ait eu jusqu’ici et que tous ceux qui ont pris ses mythes au pied de la lettre ont été mystifiés par lui… » (C2-102)

3 – « le socialisme actuel… se place tellement loin dans l’avenir, dans les nuages qu’il n’est pas difficile de le convaincre par ses propres aveux, de tendre secrètement à une permanente irréalisation… »

4 – « les communistes de tous degrés en sont là ; il leur faut la dictature ; voyez Cabet ! » (C2-117)

5 – « j’ai à démontrer le faux et le vide de toute Utopie… » (C2-120)

6 – « tout ce qu’on peut dire de l’Ecole fouriériste, c’est que le charlatanisme et l’ignorance seuls en font les frais, avec une certaine dose de mysticisme, et qu’indépendamment des intentions secrètes des meneurs, dont nous n’avons pas à nous enquérir, les faits et gestes de cette Ecole prouvent que l’escroquerie et la duperie sont ses seuls éléments… ». « … dupe ou escroc, le socialiste n’est pas autre chose … » (C4- 50)

7 – « dès que le lien social s’élargit sans cesse, à mesure que le nombre des individus augmente, les utopistes ont été induits à concentrer de plus en plus l’Autorité, l’initiative sociale dans un pouvoir ou régence….dans tous les projets d’associations on retrouve, à un degré quelconque, d’une manière plus ou moins prononcée cette idée de l’Autorité…ce qui aboutit toujours à cette conclusion ! « Asservir les hommes afin de les rendre plus libres »…
« toutes les utopies socialistes ne sont que des reconstructions de l’Autorité, des plagiats politiques, souvent des restaurations de castes, des extensions du Privilège…Leur prétendue science se traîne sur des aberrations du sens commun, qui ne se soutiennent un instant qu’à la faveur de néologismes et disparaissent aussitôt qu’on les réduit à leur expression simple …» (C4-104)

8 – « Les Utopies, maladies pédiculaires de l’esprit humain … »(C4-104)

9 – « Dans le temps on s’amusait de ces nouveautés de rêve, mais aujourd’hui ?… nos pères s’amusèrent de ces utopies ; ce genre de divertissement est si bien mort que nous ne pouvons pas même en rire … » C4-116)

10 – « manifeste des chefs communistes appelant à émigrer en Amérique, vu que impossible de rien accomplir en France ! Quelle bêtise ! » (C4-178).

11 – « le véritable, l’unique danger de la situation…: le peuple est tout entier dans l’utopie sociale ; pour surcroît d’égarement, on s’efforce de tous côtés de le précipiter dans l’utopie religieuse, les uns prenant celle-ci comme antidote du Socialisme, les autres, Pierre Leroux et bon nombre de catholiques comme complément du Socialisme. Utopie sur Utopie. Utopie contre Utopie, voilà où nous en sommes. Les uns opposent à l’idéal de la fraternité l’idéal de l’obéissance et du pouvoir. Les autres veulent nous guérir de la chimère du bonheur ici bas par la chimère du bonheur dans l’autre vie, ajoutant l’ignominie à l’illusion ; le plus grand nombre, sur les traces de Fourier, Cabet, Louis Blanc, Pierre Leroux veulent à la fois l’idéal de l’autorité, l’idéal de l’amour, l’idéal du plaisir porté dans le travail même … depuis février (1848) surtout, je m’efforce de pousser le socialisme dans la voie des réformes, je devrais dire des réalités pratiques et positives ; je n’ai cessé de combattre l’Utopie sous toutes ses formes, sentimentale, politique, économique, théosophique…». (C8-5)

12 – En prison, au secret dans la citadelle de Doullens, en 1850, il écrit :
«dans la prison, dans le séquestre, les notions du temps et de l’espace s’effacent peu à peu ; le sentiment des réalités disparaît ; tout devient songe et rêverie pour le prisonnier. C’est l’asphyxie lente des facultés ; les souvenirs éloignés se confondent avec les images présentes. La vie extérieure n’apportant plus rien à l’esprit, on est à moitié dans le royaume des ombres. Le «moi» voltige dans le vague de l’infini. Pour lui ni passé ni présent, ni avenir. Ce n’est pas le néant, ce n’est pas l’existence. Ce n’est pas non plus le «devenir», puisque dans la monotonie des journées, des actions, des songes, il n’y a plus le sentiment de la succession, il n’ y a ni mouvement ni progrès. C’est une suspension universelle des facultés, c’est une léthargie ayant conscience d’elle-même … comme dans ces songes où le songeur se voit lui-même comme autre, assiste, témoin étranger, à sa mort, à son enterrement, prononce son oraison funèbre ; ainsi le prisonnier se sépare peu à peu de lui-même, il devient son propre sosie ; c’est l’âme en peine qui s’accuse comme n’étant pas elle ; c’est le somnambule éveillé ou plutôt c’est l’homme réduit graduellement par la soustraction de chacune de ses facultés à l’état somnambulique ; c’est encore à cet état que le régime communiste réglementaire réduit l’homme…» (C 8 – 56  57)
«L’homme qui devrait pouvoir en travaillant, en produisant toujours, visiter son Globe tout entier, l’homme, par la «communauté» est enchaîné par le pied au sol, à la prison où le malheur l’a fait naître. Car, dès que l’ordre ne résulte pas du libre engrenage des intérêts, dès que la garantie n’est pas assise sur la responsabilité individuelle et la libre action de tous, il faut des sûretés ; ces sûretés, ce sera la force. Le communiste aura la permission de sortir une fois l’an, de faire un voyage tous les dix ans. Hors de là il est muré. Que c’est bête le communisme quand on y pense ! » (C 8- 56)

13 – «Etudions, philosophons mais sans espoir de l’absolu, parce que l’absolu n’est qu’un déguisement de la superstition et de l’ignorance ; plus d’utopies, ni d’en haut ni d’en bas, ni dans le ciel ni sur la terre pour vouloir sauver l’humanité ; les utopistes religieux ou sociaux sont ses plus grands ennemis…». (C8-4).

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