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13 août 2013

Une éthique anarchiste pour aujourd’hui ?

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L’anarchisme est cette philosophie et pratique politique qui consiste, fondamentalement, à combattre les systèmes qui suscitent de la souffrance humaine, de l’aliénation. Combattre l’autoritarisme n’est qu’une facette de l’anarchisme, visible. Mais la pratique anarchiste doit aussi viser à débusquer, en soi et chez l’autre qui me fait face, d’autres formes de domination, d’exploitation, d’emprise.

A ce titre, l’objet de l’anarchisme est bien plus que l’émancipation des travailleurs. Émanciper les travailleurs n’émancipe pas l’humanité d’autres formes d’aliénation. Car s’arrêter à la dimension de travailleur de l’humanité, c’est tout subordonner à ce paradigme… Voir à ce sujet, les logiques meurtrières de tout le XXème siècle où socialisme nationaliste ou d’État ont conféré au massacre la qualité d’un simple point de doctrine ou de gestion.

 

Nécessité d’une éthique anarchiste

Ainsi, à n’observer que le rapport travail-exploitation avec les lunettes de la lutte de classes marxiste du XIXème et XXème siècle, on s’empêche de bien voir comment l’exploitation présente s’est compliquée, approfondie de formes toujours plus perverses et efficaces, et comment la volonté de contrôle capitaliste a complexifié l’atomisation des groupes humains selon des modes toujours plus précis et fluides. Les formes de résistance de ces groupes humains ont à leur tour considérablement perturbé l’analyse socio-politique. Au point d’empêcher que le marxisme puisse aujourd’hui se proposer comme solution, ni grille de lecture unique, mais tout de même s’employer comme un outil d’analyse complémentaire d’autres en particulier alternatifs et libertaires.

Donc la nécessité non seulement d’une vision du monde, mais encore d’une pratique, c’est-à-dire d’une éthique libertaire, poussée plus loin que celles des Kropotkine, Pouget, Fontenis, sans y soustraire, mais en y additionnant, est devenue impérative. Impérative pour y voir plus clair, pour réfuter plus facilement, pour discuter plus pleinement, pour agir de façon plus concentrée, plus efficace, et plus créative.

Ajoutons ceci. Le militantisme s’est soumis au capitalisme au point de militer là où on lui dit de le faire. Nous avons été relégués dans les cordes, dans un coin du ring et nous avons accepté, parfois perversement entretenu, cette contrainte. Force est de constater que la politique surtout subversive et contestatrice, révolutionnaire, est absente du champ artistique, culturel, même pédagogique, urbanistique, etc.

Il existe évidemment une critique de l’existant, mais existe-t-il une création artistique explicitement révolutionnaire comme le dadaïsme, le Bauhaus, le Free Jazz, la poésie objectiviste ou beatnik américaine, autrement que réactive ? Je veux dire au-delà de fulgurances ponctuelles, d’expériences localisées, existe-t-il des formes de danse, de musique, de peinture, de sculpture, de théâtre… qui invitent le plus grand nombre possible à partager une forme d’expression, à l’explorer, à l’exprimer pour, et contre ?

Il est donc devenu important, pour ne pas dire essentiel de donner à voir ce qu’est l’anarchisme fondamentalement, et aussi, ce que peut l’anarchisme. Ce qu’il peut offrir, proposer comme terrain de jeu, comme grammaire, comme dynamique en réponse non plus seulement à la souffrance à l’usine, mais dans les services, dans les cités, dans les classes moyennes, dans tous ces endroits qui échappent à un plaquage direct de la méthode marxiste. Dans les interstices de la consommation et de la communication que le Marketing appelle des « niches », et qui nous poursuivent partout où nous allons sous la forme de pollution visuelle (pub), de confusion des genres entre les sphères publiques et privées, des hochets de nos bambins jusqu’à nos jeux érotiques, tout conditionné et jalonné… Plus encore : dans nos maladies et angoisses nouvelles, dans la forme et la fréquence de notre vie familiale, intergénérationnelle, dans notre perception du monde naturel. Dans nos psychés, et nos schémas mentaux, savamment retournés et reconditionnés à un point et avec un niveau de subtilité et de violence jamais atteint dans l’histoire de l’humanité. L’aliénation n’est plus seulement celle du travailleur.

L’anarchisme se propose donc d’observer et d’attaquer pour en guérir l’aliénation sociale, ou intérieure, en proposant d’autres manières d’être ensemble, de faire société, de s’interroger soi.

Je voudrais donc proposer dans ces pages, et de manière parfaitement ouverte au débat, une réflexion sur l’éthique anarchiste. Ce qu’elle peut être, ce qu’elle peut aider à faire, ce qu’elle nous permettrait de pouvoir, que d’autres éthiques, et visions du monde ne permettent plus.

Je commencerais par la question de l’aliénation et de l’intégration, en me laissant guider par une réflexion sur les qualités que j’imagine pouvoir être celles de l’anarchiste émancipé, ou en tout cas en prise avec lui-même. Ces qualités, encore une fois sont largement discutables et servent d’idées de départ, de modalité. Ces qualités – sans faire le pédant – pourraient se comparer à l’antique virtu, c’est-à-dire à la potentialité positive et désirable qui nous permet d’être mieux.

Trois qualités pour l’émancipation

L’aliénation est parfois bêtement reproduite, ou inconsciemment ignorée, à nos propres yeux d’abord, à l’intérieur de nous-mêmes.

Séduction et racket affectif dans le couple et dans la famille, obéissance aveugle, soumission bénigne autant que rébellion injustifiée parfois sont autant producteurs de souffrance, de désemparement que la franche injustice.

La première qualité de l’anarchiste est donc la vigilance et le sérieux. Il doit avoir les caractéristiques d’un chasseur à l’affût : la patience et l’acuité à reconnaître les signes du conditionnement, de la reproduction sociale, psychologique : gestes et réflexes dévastateurs miroir de ceux des parents et maîtres, eux-mêmes miroirs de la famille, eux-mêmes miroir de la société et de ses modes d’emprise. Il y a ce dialogue obstiné avec soi-même à conduire, pour s’affranchir peut-être.

Pareillement, l’isolement hautain, ou l’entêtement doctrinal jaloux et futile, l’orgueil à faire partie des élus, sont des poses stériles, déconnectées de la réalité, inefficaces au mieux, mais généralement néfastes pour l’entourage, l’action, créatrice de souffrance encore.

Sa deuxième qualité est la capacité à entretenir le dialogue avec l’autre, avec les autres. L’être humain n’existe pas sans histoire et culture, et n’existe pas théoriquement comme isolat, mais toujours il y a eu un avant, un héritage et une transmission, collectifs forcément. Donc le dialogue, la discussion doit être obstinée, patiente encore une fois, exigeante, clarifiée. C’est un point d’éthique qui n’a rien à voir avec la dimension morale de la discussion. La nature partage, dialogue et échange, elle collabore mécaniquement sans question de morale. C’est une nécessité de dialoguer et de mettre en question le politique, le vivre ensemble de manière collective. Précisément parce que le jeu du capitalisme, du totalitarisme est l’atomisation, l’isolement et l’aliénation, l’éthique du dialogue est un point d’importance quasi-biologique. Écologique en tout cas.

La troisième qualité de l’anarchiste est de développer un regard de la continuité des choses, des phénomènes, leur interconnexion, et donc leur fluidité.

Encore une fois, nulle considération New Age pour bourgeois en mal de spiritualité. Mais au contraire cette qualité de vision du monde comme continu et connecté est à la fois mécaniquement vérifié à chaque instant comme réel, et est aussi pragmatiquement une forme de réponse au confusionnisme, à l’éclatement volontaire du monde moderne. Une manière d’aborder positivement aussi l’obsolescence de l’homme. En se voulant nécessaire écologiquement, mécaniquement, matériellement, il cesse de se considérer comme superflu précisément : le superflu du délire totalitaire, le consommable du délire capitaliste (ce qui est la même chose), le dispensable du délire romantique militant.

Des repères en chemin

Concernant la première qualité d’observation de soi, et du milieu, nous proposons d’explorer, dans le désordre l’antipsychiatrie, les travaux des pédagogies alternatives, mais tout autant le travail des philosophes matérialistes d’Épicure à Lucrèce, de Diogène à Spinoza.

Pour approcher les questions de la deuxième qualité du dialogue, nous proposerons de visiter Giambattista Vico, Edward Saïd et ce qu’il appelle (bien différemment) l’humanisme, Bateson et son hygiène de la conversation, sa vision de la relation et encore James C. Scott et les manières dont certains groupes humains ont fait société, en marge de la domination, dans une espèce de soustraction/dialogue avec elle.

Enfin, concernant la capacité à observer le flux et l’interconnexion du monde et de ses phénomènes, regarderons du côté de Günther Anders et H. Arendt sur l’idée de la place de l’homme dans le monde actuel, mais aussi de l’écologie profonde avec Arne Naess, et encore une fois Bateson pour approcher ce qu’il appelait l’écologie de l’esprit, ce point d’équilibre finement atteint lorsque social, individu et relations sont dans un échange sain.

Cette liste n’est pas exhaustive, ni définitive. Elle forme surtout une proposition que vos contributions et commentaires viendront enrichir ou heurter, avec la promesse d’être accueillis avec le même sérieux, et le même respect.

Vidal

l’image représente la Sagesse ou l’Alchimie, ND de Paris

1 Commentaire Poster un commentaire
  1. Fév 2 2015

    Concernant la deuxième qualité, il me semble intéressant de visiter aussi Bakhtine et François Flahault

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