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18 mai 2014

« Du point de vue de la société » – Rafael Perez

 

Philosophie sociale et pensée libertaire

 

Pour prolonger un peu la rencontre avec Stéphane Haber [1] dans le cadre du séminaire ETAPE, j’aimerais ici approfondir le débat qui s’est ouvert sur la double question du rapport conflictuel à la théorie et à l’Etat.

 

Issues de matrices politiques et conceptuelles assez différentes, philosophies sociales et pensées libertaires se développent aujourd’hui dans une large méconnaissance mutuelle. Elles travaillent pourtant en parallèle autour de thèmes souvent similaires, d’interrogations et d’angles d’approches qui peuvent donner lieu à un débat vif, ouvert et enrichissant pour les un-e-s comme pour les autres. Les points de passage sont nombreux, à commencer par la critique du capitalisme et de l’économie politique, la question de la perspective révolutionnaire, l’analyse de la relation entre sujet et émancipation, ou encore, la critique de l’idéologie et de la métaphysique.

 

Je propose d’explorer ici un axe général de possibles rencontres autour du problème de la constitution d’un « point de vue de la société ». En termes de méthode, nous pouvons partir du constat que philosophies sociales et pensées libertaires ont globalement en commun une attitude critique à l’égard de la philosophie politique : les théories politiques classiques ne parviendraient pas à poser les questions sociales pour elles-mêmes, dans la mesure où elles tendraient à les réduire trop vite à des problèmes gouvernementaux. Prétendre « adopter le point de vue du gouvernement » entraînerait ainsi une certaine déformation des questions sociales : elles ne seraient plus perçues que comme problèmes de gestion abstraits, renvoyant à des techniques de pouvoir et à la légitimation de l’ordre établi.

D’un autre côté, s’il est possible  de trouver au sein de ces deux courants des visions qui tendent à prôner la résorption du politique dans le social, il peut aussi paraître intéressant d’analyser les limites d’un tel projet qui fait disparaître toute coordination politique démocratique afin d’étudier articulations et frictions entre philosophies sociales, pensées libertaires et théories de la démocratie radicale[2]. Il ne faudrait pas niveler ou gommer ici les aspérités, les conflits, et la grande pluralité de voix, de tendances adverses, de générations, de parcours militants, qui traversent et animent ces deux courants[3]. Ouvrir un dialogue réel implique aussi d’identifier des points de différence ou de tension, des accents placés différemment, par exemple sur la critique de la rationalité, du positivisme et de l’industrie culturelle d’un côté, ou précisément, de l’Etat, de la démocratie et de la normativité, de l’autre. En ce sens, il ne s’agit pas tant ici de se fermer a priori aux théories critiques qui se revendiquent comme « politiques » que de désigner un angle d’attaque que philosophies sociales et pensées libertaires rencontrent toutes deux comme un problème.

 

Selon cette approche, philosophies sociales et pensées libertaires désignent donc moins un ensemble systématique de réponses arrêtées qu’une pluralité de manières de poser les questions « du point de vue de la société ». Dans cette perspective, pour appréhender les problèmes sociaux en tant que tels, il faudrait donc se donner positivement les moyens de parvenir à les considérer du point de vue de la société. Mais que peut bien signifier poser les questions « du point de vue de la société » ? L’objectif de cet article est d’en dégager la possibilité et d’en préciser le sens au moyen d’une lecture croisée de ces deux formes de critiques sociales.

 

Pour faciliter sa lecture, j’ai séquencé sa publication. Je chercherai d’abord de manière générale à croiser et comparer les apports respectifs des philosophies sociales et des pensées libertaires en tant qu’attitudes critiques : le but de cette première publication est ainsi de montrer que poser les questions du point de vue de la société a pour préalable une double critique qui vise à la fois la prétention à l’objectivité des théories traditionnelles et l’aspiration à adopter le point de vue unifiant du gouvernement. Sur le mode de la présentation générale, je partirai ici plus spécialement de deux textes très classiques de Horkheimer et Kropotkine. Dans une deuxième publication, je proposerai de considérer sous un autre angle le problème classique consistant à se demander s’il n’y a jamais qu’une multiplicité de points de vue individuels : en m’appuyant sur des textes plus contemporains ou moins travaillés, je montrerai alors comment les apports combinés des conceptions anarchistes de l’individu et des études de sa constitution sociale permettent de faire face à cette interrogation, en lien avec certaines questions contemporaines autour de l’intersectionnalité. Cela m’amènera à traduire concrètement cette volonté de construire des théories du point de vue de la société en m’interrogeant sur les difficultés de la relation entre chercheur-e-s et militant-e-s, pour ouvrir la perspective d’une philosophie sociale libertaire.

 

Chercher à poser les questions du point de vue de la société est d’abord une manière de se démarquer des théories qui se prétendent sans point de vue, ou assument explicitement la position de conseillère du prince. Je veux proposer ici une relecture d’un texte classique de philosophie sociale, puis d’un texte classique de la pensée libertaire, afin de m’efforcer de dégager à leur croisée un axe général de méthode. Avant de prétendre développer une théorie sociale libertaire, il importe en effet d’avoir une idée un peu générale de ce qu’est la fonction traditionnelle de la théorie, ne serait-ce pour la critiquer explicitement et s’en démarquer activement. En quoi consistent ces théories traditionnelles ? On peut dire que, dans une large mesure, les théories traditionnelles se concentrent sur des tâches techniques ou spécialisées et prétendent à la neutralité quant à leurs significations et leurs implications sociales, tout en entretenant ce mythe de la raison selon lequel « l’objectif ultime de la théorie en général est d’édifier un système universel de la science, qui ne se limite plus à un domaine déterminé mais englobe tous les objets possibles. »[4] Ce qui permet le passage du spécialisé à l’universel selon la théorie traditionnelle, c’est un enchaînement déductif de propositions rationnelles qui vont du plus simple au plus complexe, « ces longues chaînes de raisons » qu’évoquait déjà Descartes à l’aube de la philosophie moderne. Ainsi, ce qui est visé par Horkheimer dans Théorie traditionnelle et théorie critique, c’est une tendance de la théorie traditionnelle vers un pur système combinatoire de symboles mathématiques interchangeables, sur le modèle duquel les sciences sociales elles-mêmes (Geisteswissenschaften) seraient appelées à venir tant bien que mal s’aligner. Quand bien même la valeur de la théorie serait mesurée non seulement à sa cohérence logique (sur le modèle des démonstrations mathématiques) mais encore à travers ses effets pratiques (comme dans le pragmatisme américain[5]), son rapport à la pratique reste ici très indéterminé, et très abstrait : la place effective de l’activité théorique dans le processus de production (les ingénieur-e-s dans l’industrie par exemple) et dans le contexte social général (les technocrates dans les institutions) n’est pas suffisamment remise en question pour que cela puisse affecter les orientations de la recherche. Horkheimer montre ainsi que les théoricien-ne-s traditionnel-le-s effectuent leur tâche dans une large méconnaissance du contexte social de leur travail, alors-même que leur spécialisation disciplinaire est une expression de la division capitaliste du travail qui assigne à chaque activité théorique une place particulière dans le processus de production[6]. La prétention à l’objectivité de la théorie traditionnelle va ainsi de pair avec un aveuglement délibéré sur sa fonction sociale. Les théories dominantes apparaissent comme des théories au service de la domination, au sens où elles ne font qu’apporter les moyens du renouvèlement de sa puissance à l’ordre établi.

 

Toutefois, nous ne pouvons pas nous en tenir à un simple rejet indifférencié de toute forme de théorie. Face à l’objectivité dominante, la théorie critique apparaît d’abord comme un contre-point de vue[7]. En contrepoint des théories dominantes, il s’agit alors de répondre à une double exigence : faire activement entendre la voix et la pensée des dominé-e-s, et en même temps prendre conscience de sa propre inscription sociale, de son lieu et de sa fonction (y compris donc de ce que le travail théorique charrie ou réactive de domination culturelle, symbolique, rationnelle…). Cela implique aussi de faire apparaître et remettre en question : d’une part, les rapports de pouvoir internes qui assurent la cohésion de la communauté scientifique en même temps qu’ils modèlent et structurent le travail théorique[8] ; d’autre part l’intégration de la théorie dans divers dispositifs de savoir-pouvoir, et tout particulièrement l’appareil idéologique d’Etat[9]. Par contraste avec la science institutionnelle, la théorie critique se veut ainsi une philosophie sociale, c’est-à-dire « une philosophie qui se conçoit elle-même comme étant inscrite dans un environnement ou un contexte social »[10]. Dès lors, « la philosophie sociale suppose premièrement une démarche philosophique qui se donne les moyens de distinguer la société de l’Etat, le social du politique ; c’est une philosophie qui reconnaît une autonomie (fût-elle relative) à la société et à la vie sociale par rapport à l’Etat et aux institutions politiques »[11]. A partir de là, chercher à reposer les questions « du point de vue de la société » peut s’inscrire plus frontalement dans un rapport critique aux réponses proposées « du point de vue du gouvernement » : il pourrait en effet être intéressant d’associer la critique de la philosophie politique à la question pratique du rapport à l’Etat, qui se pose différemment pour la philosophie sociale et pour la pensée libertaire. Les auteur-e-s qui se réclament de la philosophie sociale cherchent souvent dans le marxisme hétérodoxe des outils pour dépasser le poids des échecs du passé sans renoncer au projet de transformation sociale, mais cet élan critique pourrait tout aussi bien se raviver au contact de lignées contestataires alternatives qui prennent leur source dans le communisme anti-autoritaire (sans se faire d’illusions pour autant sur ses propres limites historiques).

 

Cette alternative est déjà dégagée dans une conférence classique de Kropotkine, L’Etat, son rôle historique : « C’est surtout dans la question de l’État que se trouvent divisés les socialistes. Dans l’ensemble des fractions qui existent parmi nous, (…) deux grands courants se dessinent. Il y a ceux, d’une part, qui espèrent accomplir la révolution sociale dans l’État : maintenir la plupart de ses attributions, les étendre même, les utiliser pour la révolution. Et il y a ceux qui, comme nous, voient dans l’État, non seulement sous sa forme actuelle, mais dans son essence même et sous toutes les formes qu’il pourrait revêtir, un obstacle à la révolution sociale : l’empêchement par excellence à l’éclosion d’une société basée sur l’égalité et la liberté, la forme historique élaborée pour prévenir cette éclosion. Ceux-ci travaillent en conséquence à abolir l’État, et non à le réformer. »[12] Contre la tendance à confondre l’Etat et la société, Kropotkine commence par rappeler que l’Etat n’est qu’une forme historique d’apparition relativement récente (XVIème siècle) et dénonce la fausseté historique du contrat social par lesquels les hommes se seraient associés sous l’autorité de l’Etat. A un premier niveau, pour penser le point de vue de la société, il faut en effet dépasser le mythe du contrat social qui effectue l’assimilation de la société à l’Etat et permettrait ainsi au point de vue du gouvernement de valoir pour la société. Mais à un second niveau, non seulement l’Etat n’est pas historiquement la première forme d’association, mais son apparition vient mettre un terme au formidable développement amorcée au XIIème siècle avec le développement des communes libres (de Toscane, de la Hanse, du Rhin, du Laonnais, etc.). « Annihiler l’indépendance des cités ; piller les riches guildes de marchands et d’artisans ; centraliser entre ses mains le commerce extérieur des cités, et le ruiner ; s’emparer de toute l’administration intérieure des guildes et soumettre le commerce intérieur, ainsi que la fabrication de toute chose jusque dans ses moindres détails, à une nuée de fonctionnaires — et tuer de cette façon l’industrie et les arts ; s’emparer des milices locales et de toute l’administration municipale, écraser les faibles au profit des forts par les impôts, et ruiner les pays par des guerres, — tel fut le rôle de l’État naissant aux XVIème et XVIIème siècles vis-à-vis des agglomérations urbaines. » Dans la présentation que fait Kropotkine, l’Etat apparaît ainsi historiquement comme une institution qui s’oppose à toute association qui ne passe pas par sa médiation, et cherche à concentrer dans un pôle principal de pouvoir les fonctions vivantes qui s’épanouissaient dans le réseau dynamique et fédéraliste des communes libres. Bien que cela demande évidemment à être nuancé et étayé historiquement, ce changement de perspective est stimulant et prometteur. En outre, si l’Etat correspond à un moment historique particulier (une phase de dégénérescence qui contraste avec la vivacité du XIIème), il s’agit surtout pour Kropotkine de donner à penser une société post-étatiste qui puisse renouer avec le dynamisme de ces formes d’organisation en communes libres, en unions professionnelles, et au-delà, en fédérations[13]. Ainsi, poser les questions du point de vue de la société engage d’abord à revenir sur deux prétentions à l’unification : l’objectivité universelle des théories traditionnelles, et la centralisation étatiste recouvrant et réprimant toute autre forme d’organisation. Ici, les efforts des théories sociale et libertaire semblent effectivement pouvoir se combiner efficacement.

 

Mais plutôt que de lisser les aspérités et les différences, nous devons nous efforcer de voir en quoi philosophies sociales et pensées libertaires peuvent mutuellement se critiquer, s’aiguiser. Si la pensée libertaire se démarque par son rapport sans concession à l’Etat, il est effectivement possible de lui reprocher de ne pas avoir suffisamment pris en compte ses évolutions contemporaines ou d’en avoir une vision simplificatrice : de fait, l’Etat semble revêtir chez Kropotkine une fonction purement négatrice et néfaste qui s’oppose absolument à l’élan positif des communes libres ; non seulement les phénomènes de transition, d’intégration, ou de prise en relai sont insuffisamment pris en compte, mais l’analyse des phénomènes de pouvoir au sein-même de la société semble ici passer au second plan[14]. En outre, Kropotkine a encore une vision traditionnelle du rôle de la science qui doit par son progrès sur le chemin de la recherche de la vérité apporter à la société une organisation rationnelle : il ne perçoit pas suffisamment la manière dont la tendance centralisatrice de la rationalité vient servir les besoins de l’Etat. Ici, la philosophie sociale peut justement fournir des ressources pour une critique de la raison qui dépasse le règne post-moderne de l’impuissance ou de l’équivalence des théories émancipatrices. Il faut cependant réaffirmer clairement que si la philosophie sociale revendique une approche plus actuelle et plus nuancée, cela n’implique pas nécessairement une position politique plus floue et ambigüe vis-à-vis de la démocratie libérale (à la manière des travaux de la génération d’Habermas, assez loin des positions initiales d’Adorno et Horkheimer). Ce n’est pas parce que les révolutions d’inspiration communiste du XXème siècle ont produit des résultats inacceptables qu’il faut faire des compromis avec le capitalisme et l’Etat : pour dépasser ces réalisations dramatiques, il faut au contraire radicaliser la critique. Dans cette perspective, une politique du point de vue de la société peut justement viser un refus de la réduction de la politique à des techniques de gouvernements : un changement de focale et un décentrement, un jeu de champ/contrechamp. Et certes, il est possible d’accorder à la philosophie sociale que, si la focalisation change, opposer le point de vue de la société au point de vue de l’Etat ne signifie pas nécessairement que l’opposition à l’Etat doive constituer le cœur de ce projet politique : la politique n’a pas nécessairement à se définir par rapport à l’Etat, pour lui ou contre lui, a fortiori dans une situation historique où la distribution des forces rend peu probable la capacité de réunir assez d’influence et d’énergie pour abolir concrètement l’Etat et empêcher sa reconstitution (y compris sous la forme d’un Etat soi-disant révolutionnaire). Mais cela ne saurait se traduire politiquement par une position de compromis temporaire ou un abandon de la perspective révolutionnaire : si les événements insurrectionnels ou révolutionnaires ne permettent pas le passage binaire d’une politique d’Etat à une politique sans Etat, ils libèrent efficacement des possibilités nouvelles aux politiques qui se jouent, toujours de manière conflictuelle, sur un autre plan que l’Etat.

 

Chercher à développer des propositions « du point de vue de la société » implique donc d’abord de remettre en question la prétention à l’objectivité des théories traditionnelles intégrées à la division capitaliste du travail et à l’appareil idéologique d’Etat, d’une part, et le recouvrement des dynamiques d’organisation sociale par l’Etat dans les politiques traditionnelles, d’autre part. Par contraste, une théorie sociale critique a pour tâche spécifique de rendre explicite son propre positionnement et d’être attentive aux possibilités collectives qui excédent le cadre étatique. Plutôt que de construire à froid un ensemble systématique de réponses arrêtées, il s’agit de poser les questions aux prises avec les luttes et les débats qui agitent et travaillent réellement la société : non pas suivre passivement le flux médiatique mais repérer activement ce qui est décisif dans le moment historique, ce qui est ouvert et mobile, nommer et participer à ces dynamiques. Assumer un angle en même temps que prendre part au commun.

Rafael Perez – mai 2014

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Notes :

[1] Auteur de Penser le néocapitalisme, Paris, Les Prairies ordinaires, 2013.

[2]  Voir par exemple les contributions nuancées et problématiques de Cornelius Castoriadis, L’institution imaginaire de la société, Paris, Seuil, 1975 ; Jürgen Habermas, L’éthique de la discussion, Paris, Flammarion, 1999 ;  Murray Bookchin, Pour un municipalisme libertaire, Lyon, Atelier de création libertaire, 2003 ou Jacques Rancière, La haine de la démocratie, Paris, La Fabrique, 2005.

[3] Pour une présentation générale, voir Jean-Marc Durand Gasselin, L’Ecole de Francfort, Paris, Gallimard, 2012 (avec lequel nous avions réalisé un entretien un entretien pour l’IRESMO et Grand Angle : http://www.grand-angle-libertaire.net/le-retour-de-la-philosophie-sociale/ )

[4] Max Horkheimer, Théorie traditionnelle et théorie critique, Paris, Gallimard, 1974, p. 16.

[5] William James, Le pragmatisme, Paris, Flammarion, 2007.

[6]Max Horkheimer, Théorie traditionnelle et théorie critique, Paris, Gallimard, 1974, p. 25-26 : « La conception traditionnelle de la théorie est tirée par abstraction de l’activité scientifique, telle qu’elle s’accomplit à un niveau déterminé, dans le cadre de la division du travail. Elle correspond à l’activité propre du savant – qui s’exerce parallèlement à toutes les autres activités que comporte la vie sociale, sans que la relation entre les diverses formes d’activité apparaisse immédiatement à l’évidence. C’est pourquoi cette conception ne fait pas apparaître la fonction réelle de la science dans la société, ce que la théorie signifie dans la vie des hommes, mais seulement le sens qu’elle a dans la sphère isolée où elle est produite dans des conditions déterminées historiquement. ».Voir aussi Dialectique de la raison, Paris, Gallimard, 1974: « Plus l’évolution technique rend le travail corporel superflu, plus celui-ci est érigé en modèle du travail intellectuel qu’il faut empêcher à tout prix de tirer les conséquences. »

[7] On peut aussi penser à l’opposition à la pseudo-neutralité médiatique. Voir en particulier Georges Lapierre, La commune d’Oaxaca, Paris, Rue des cascades, 2008 , p. 18-19 : «  Ne nous berçons pas d’illusions ou de doux mensonges, dans cette affaire l’objectivité du témoin, du journaliste ou de l’historien, n’existe pas, elle n’a jamais existé. Parler d’objectivité dans ce cas, ce serait tout au plus exprimer la gratitude de l’Etat envers son flatteur pour le dithyrambe qu’il aura commis. Une insurrection reste l’expression la plus pure d’une subjectivité. Au cours d’un mouvement insurrectionnel, nous devenons sujets d’une histoire qui se construit ; prétendre alors à l’objectivité, c’est passer de l’autre côté des barricades, du côté de l’Etat. Informer, ce n’est pas se montrer objectif et neutre, c’est prendre le parti de la communication contre le parti pris de la désinformation. Tracer l’histoire dynamique d’un événement, c’est écrire avec ses doutes, ses inquiétudes, ses passions, ses désirs, ses peines. Nous écrivons à partir de notre point de vue, c’est lui qui donne une perspective bien particulière et, quoi qu’il en soit, subjective, sur les événements : je me suis senti proche des barricadiers et des barricadières, j’ai partagé leurs aspirations, leurs rêves, leurs utopies et leurs illusions aussi, c’est ce frémissement qui ne veut pas désespérer du futur malgré les trahisons et l’implacable rouleau compresseur de la répression, que vous trouverez dans ces pages, c’est lui qui orientera ma réflexion. » Voilà peut-être un des plus beaux exemples de ce que je désigne ici comme « point de vue de la société ».

[8] Thomas S. Kuhn, La structure des révolutions scientifiques, Flammarion, 1983.

[9] Louis Althusser, Idéologie et appareil Idéologique d’État in La Pensée, n° 151, juin 1970. Voir : http://w7.ens-lyon.fr/amrieu/IMG/pdf/Althusser_ideologie_Etat_1970.pdf

[10] Franck Fischbach, Manifeste pour une philosophie sociale, La découverte, 2009, p. 66.

[11] Franck Fischbach, Manifeste pour une philosophie sociale, La découverte, 2009, p. 63.

[12] On peut trouver le texte de cette conférence en ligne : http://kropot.free.fr/Kropotkine-Etat.htm

[13] Voir un peu plus loin : « Il s’agit, non seulement — comme on l’a dit quelquefois en se plaisant dans la vague métaphysique — de remettre au travailleur «le produit intégral de son travail» ; mais il s’agit de refaire en entier tous les rapports, depuis ceux qui existent aujourd’hui entre chaque individu et son marguillier ou son chef de gare, jusqu’à ceux qui existent entre métiers, hameaux, cités et régions. Dans chaque rue et dans chaque hameau, dans chaque groupe d’hommes réunis autour d’une usine ou le long d’une voie ferrée, il faut réveiller l’esprit créatif, constructeur, organisateur, afin de reconstruire toute la vie — à l’usine, sur le chemin de fer, au village, au magasin, dans l’approvisionnement, dans la production, dans la distribution. Tous les rapports entre individus et entre les agglomérations humaines sont à refaire, du jour même, du moment même où l’on touchera à l’organisation actuelle, commerciale ou administrative. Et l’on veut que ce travail immense, qui demande l’exercice libre du génie populaire, se fasse dans les cadres de l’État, dans l’échelle pyramidale de l’organisation qui fait l’essence de l’État ! » (toujours sur http://kropot.free.fr/Kropotkine-Etat.htm )

[14] Pour un point sur le renforcement des inégalités sociales liées à l’essor des villes et de la bourgeoisie au Moyen-Âge, on pourra lire le beau livre de Claude Gauvard, Le moyen-âge, Paris, La Martinière, 2010 (en particulier p. 56, 63 et 74 ; voir aussi le chapitre sur la naissance de l’Etat, entre châteaux, souverains et empereurs, p. 189).

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