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12 novembre 2019

A propos du voile : sexe et religion, même combat !

Avec le texte ci-après de notre compagnon, le théologien catholique et libertaire Jérôme Alexandre, est exprimée une des positions possibles sur la question du voile musulman, thème particulièrement controversé dans les milieux anarchistes. Grand Angle publiera volontiers d’autres positions si elles sont argumentées, et pas seulement guidées par des préjugés comme trop souvent.

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Le religieux c’est comme le sexuel, nous n’y comprenons rien. Sur ces deux « terrains », la pensée est toujours défaillante, et la politique ne fait pas mieux, elle prétend au respect, elle érige le grand mot de liberté, parce qu’elle ne sait ni ce qu’il lui faudrait respecter ni comment s’évalue la liberté. Quand le religieux est prosélyte, et quand le sexuel est violent, tout se brouille encore plus. La politique ne s’intéresse au religieux et au sexuel que pour leur dire de se faire discrets, sinon pour leur commander de se taire. L’invention même de ces deux catégories, « le religieux », « le sexuel » fait fausse route. Elle n’offre de possibilité de voir ce dont il s’agit, qu’à condition de se tenir à l’extérieur. C’est, dira-t-on, la démarche de toute pensée et de toute science, leur exigence. Or, ce principe élémentaire que personne n’ose contester est précisément ce qu’il y a de plus critiquable. Considérer le sexe comme une matière à discourir sur le mode du concept qui situe, repère, tolère (bien sûr), et nettoie la vue, c’est ne rien voir. Considérer la religion, comme étant telle religion, telle histoire, telle croyance, méconnaît aussitôt qu’une religion ne se considère pas comme un fait social ou culturel, car vivre sa religion n’a jamais été vivre une religion mais habiter un monde entier, en vérité aussi impénétrable pour celui qui n’y vit pas qu’unique pour celui qui y vit. La politique est généralement malheureuse avec ces sujets, parce qu’elle ne fait que constater qu’ils lui échappent et ne peut que chercher à s’en défendre. Nos débats récents sur le voile, ce tissu féminin, cet atour qui entoure le visage féminin, tellement évidemment religieux et sexuel, en est une vraie démonstration. Religieux et sexuel le voile ? Pas plus, mais aussi pas moins que les chaussures, les robes ou le pantalon, le port de la barbe, le décorum des bagues et des pendentifs, le maquillage ou les cheveux rasés. Foutons la paix à ceux qui se déguisent, à ceux qui ne veulent pas jouir et à ceux qui veulent jouir, à ceux qui se soumettent et à ceux qui s’affranchissent. Telle pourrait être une bonne manière d’en finir avec ces questions, une manière politiquement propre, démocratique, cohérente avec notre postulat premier : le religieux, comme le sexuel, nous n’y comprenons rien, laissons cela aux prêtres et aux psychanalystes.

Sauf que la meilleure intention du monde, la meilleure règle politique, faire la place à l’autre, y compris en fermant l’échange avec l’autre, méconnaît la nature du problème. Celle-ci apparaît quand, honnêtement, on ne se cache pas devant l’énigme incroyable qu’est le désir, son insatisfaction fondamentale, sa violence par conséquent, son évacuation dans les mille formes sublimatoires de l’art, de la spiritualité, du combat politique tout autant… Une évidence crève les yeux : la religion est la seule aventure collective qui prend en charge la question la plus intime, la plus inaccessible et donc aussi la plus increvable, la plus étroitement liée aux ressorts extrêmes de l’humain. La religion est immédiatement coextensive au sexe et à la violence, et cela s’appelle, en terrain chrétien par exemple, l’amour. Naturellement, seul un chrétien (je le suis) peut ne pas prendre cet exemple au hasard. Il ne prétend nullement, et n’entend pas de toute façon se situer dans la perspective supérieure de la science des religions. Il ne fait que se tenir dedans, concrètement retenu dans l’une d’elles. Il témoigne plus qu’il ne pense. Donc, l’intéressant dans le christianisme est qu’il ne dissimule pas sa fonction parfaitement violente et sexuelle d’exutoire efficace de la violence et du sexe, et cela s’appelle l’amour. Une folle hypostasie de l’amour. Un Dieu amour. Une foi dans l’impossible transfiguration du désir de mort et aussi bien du désir de la mort du désir. Une foi qui prétend suffire en tant que foi, par elle-même, à réaliser l’impossible, à savoir regarder en face la mort et la convertir en vie. Il fallait l’inventer. Et ceci n’est encore rien tant que l’on ne comprend pas qu’il ne s’agit nullement d’une croyance, mais d’une expérience réelle. Le discours qui s’en échappe vient de dedans. Il faut l’entendre comme ce qui peut s’adresser malgré son caractère absolument subjectif à l’autre, précisément. Malgré sa subjectivité, ou au contraire grâce à celle-ci. Cette adresse est politique, tout en côtoyant de très près l’acte sexuel et sa violence, tout en mobilisant l’intimité supposée privée. Elle est politique en ce qu’elle met réellement dans le jeu l’autre, sa liberté, puisque telle est la définition de l’amour.

L’altérité. Ce grand concept généreux. La religion et le sexe le méconnaissent. Sauf dans leur versant laïcardisé de moralisme et d’hygiène (que de sermons sur ces sujets). Elles le méconnaissent parce qu’elles en vivent la réalité, à savoir la relation effective. Celle qui ne regarde pas l’autre comme une entité valant toutes les autres, mais comme une singularité rencontrée, comme un vécu tangible, une liberté en acte, capable de perturber l’intangibilité du quant à soi. Et alors ? Tel est l’exact sens du vivre et par conséquent du vivre ensemble. Vivre est un risque où l’individu et le commun ne cessent de s’enlacer et de se provoquer. Vivre est une violence. Feindre de l’ignorer c’est se laisser surprendre ou dominer par une violence pire, celle qui prétend à la vérité et au bien, au prétexte de la religion, de l’identité, de la morale. Ainsi de la contrainte exercée par les hommes sur les femmes au nom de la paix religieuse et sexuelle. Ainsi tout autant de la loi civile qui imagine pouvoir empêcher cette contrainte au nom de la paix publique.

Le prix de la relation est élevé. Il est celui la liberté entière de l’autre, autrement dit la réciprocité des deux termes de la relation, permettant la réponse des faibles aux forts, la riposte aux tentatives de contrainte et aux intimidations. Porter le voile ou ne pas le porter est la liberté des femmes. Ni les pouvoirs politiques, ni les pouvoirs masculins ne doivent s’en mêler.

Jérôme Alexandre

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