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14 août 2013

Pour un usage anarchiste du pragmatisme – II – L’action politique anarchiste dans le cadre du naturalisme pragmatiste – Irène Pereira

II – Un naturalisme continuiste

Il s’agit dans la deuxième partie de cet article de montrer quelles hypothèses d’action politique anarchiste on peut élaborer à partir d’une théorie de la connaissance pragmatiste. On pense, en particulier, à un socialisme [1] libertaire débarrassé de ses présupposés scientistes, notamment de ceux qui impliquent une philosophie téléologique de l’histoire, laquelle n’est en réalité qu’une laïcisation de la providence divine.

Une telle démarche nous conduit donc à nous interroger sur l’articulation entre connaissance et éthique, entre connaissance et justice, contrairement à la démarche marxiste. Elle nous amène à repenser l’analyse structurelle de la société afin d‘articuler de manière cohérente la question de la lutte des classes aux nouvelles revendications (anti-sexisme, écologisme…). Elle nous amène à joindre une sociologie structurale disposée à entreprendre l’analyse critique de la société à une psychologie sociale qui permet de penser la transformation sociale. Elle nous incite enfin à repenser l’action révolutionnaire et le concept de révolution en débarrassant celui-ci de ses éléments liés à une philosophie déterministe de l’histoire.

L’enjeu est de montrer qu’on peut repenser les notions issues des théories politiques du XIXème siècle (révolution, lutte des classes, collectivisme…) en les débarrassant de leurs présupposés scientistes.

A – De la nature à l’individu

Pour les pragmatistes, il n’y a pas de différence entre apparence et essence. Rorty, dans L’espoir au lieu du savoir, considère que l’une des caractéristiques du pragmatisme est de rejeter les dualismes métaphysiques et en particulier celui de l’essence et de l’apparence, et de refuser les notions de substance ou d’essence. Les pragmatistes se caractérisent par le fait qu’ils adoptent une ontologie héraclitéenne, une ontologie du flux. L’importance politique de l’exclusion d’une ontologie essentialiste, dans le cadre d’une théorie naturaliste hors de toute transcendance, se comprend par le refus de poser un ordre fixe et immuable auxquels les hommes devraient se soumettre et à laquelle la notion de nature pourrait servir de justification.

Or une telle ontologie à une conséquence aussi sur leur conception de la nature humaine. Il existe certes une nature propre à chaque individu singulier, mais celle-ci n’est pas fixe. La nature de chaque être humain est pensée comme un processus d’individuation : la culture est en continuité avec la nature, et l’individualité est le résultat d’un processus social et d’une pratique de soi. Par conséquent, on constate que pour les pragmatistes, la connaissance est relative non seulement parce qu’elle est relative à un individu singulier, mais aussi parce que la réalité est en constant changement : le sujet connaissant est donc lui-même en constant changement parce qu’il est lui-même une partie d’un tout qui ne cesse de changer.

Il s’agit là aussi d’un point commun avec les penseurs anarchistes : comme le souligne Kropotkine, l’anarchisme présuppose une philosophie naturaliste. En effet, il n’y a rien de transcendant à la nature, ni un Dieu qui pose des obligations morales, ni un ordre social que les hommes doivent respecter. Le naturalisme anarchiste conduit les penseurs anarchistes à considérer que les individus suivent les lois immanentes de leur nature. La difficulté d’une position naturaliste classique est de savoir comment identifier ces lois de la nature et donc d’éviter un dogmatiste scientiste qui en réalité ne ferait que projeter de manière illusoire nos préjugés sur la nature. Dewey, comme Kropotkine, considèrent dans un cadre darwinien, que la moralité, entendue comme instinct social, est une conséquence de la sélection naturelle, mais à la différence de Kropotkine, Dewey insiste sur le caractère expérimental de la détermination des règles de cette éthique naturaliste.

L’autre conséquence du naturalisme, c’est qu’il conduit à remettre en question la tradition chrétienne d’un dualisme entre l’homme et la nature dans lequel l’homme occupe une place de «maître et possesseur de la nature». La philosophie deweysienne repose sur la remise en cause des dualismes de la philosophie occidentale et en particulier le dualisme entre l’homme et la nature. L’homme fait partie de la nature, la culture se trouve en continuité avec la nature. Par conséquent, une telle remise en question, de la domination de l’homme sur d’une part la nature et d’autre part les animaux, implique les éléments d’une position écologiste.

Mais le pragmatisme remet aussi en cause la dualité de la société et de l’individu. En effet, l’individu n’existe pas en dehors de la société, l’individuation est elle-même d’ailleurs un processus social. «L’individualité d’un point de vue social et moral, est le résultat d’un processus» [2]. C’est ici là aussi un point commun avec des penseurs anarchistes tel que Proudhon et Bakounine. Pour ces penseurs, en effet, c’est par la société que l’homme réalise le plus pleinement son individualité comme l’atteste leur définition de la liberté. Comme l’écrit Proudhon, dans Les confessions d’un révolutionnaire, «l’homme le plus libre est celui qui a le plus de relation avec ses semblables».

Mais si l’individu n’existe pas à l’état de nature, c’est de lui que part toute éthique, tant pour le pragmatisme que pour l’anarchisme,. En effet, tout discours, toute action s’exprime toujours à travers un individu singulier.

B – La question de l’épanouissement individuel

La question de l’art de vivre connaît un renouvellement particulier chez les néo-pragmatistes sous l’impulsion de M. Foucault. La notion d’art de vivre est prise dans le sens à la fois de technique de soi et d’esthétique de l’existence, de faire de son existence une œuvre d’art. Cet intérêt pour l’art de vivre, c’est à dire l’éthique, rejoint là aussi l’anarchisme. En effet, ce qui est premier dans l’anarchisme c’est l’individu et le point de vue qui est adopté sur l’individu n’est pas celui d’une morale obligatoire, mais d’une morale «sans obligations ni sanctions» c’est à dire d’une éthique [3]. Nous allons plus particulièrement étudier la notion d’art de vivre telle qu’elle est analysée par R. Shusterman dans Vivre la philosophie.

L’expérience esthétique est en effet une expérience qui fait partie des processus intégrant de la vie. Dans l’esthétique pragmatique, l’art à une fonction vitale. Si l’esthétique est choisie comme paradigme de l’existence, c’est qu’elle constitue pour les néo-pragmatistes, dans la lignée de Nietzsche et de Dewey, l’expérience la plus intense et unifiante que puisse faire un être vivant. Etant donné son caractère vital, l’art de vivre pragmatiste passe par un souci du corps. Son caractère vital implique aussi que dans l’art de vivre pragmatiste «la croissance comme telle est la fin». Il s’agit donc d’une esthétique de la création de soi, de la transformation de soi par soi par des techniques somatiques qui supposent que le moi est en devenir [4]. Mais le caractère particulier, de l’art de vivre, inspiré par Dewey et développé par Shusterman, porte sur le problème suivant : la plupart des arts de vivre, qui sont développés dans l’antiquité ou ceux de Nietzsche et Foucault, ont en réalité un caractère aristocratique, ils n’ont de sens que dans une logique de distinction. J. Dewey montre que cette exigence de nouveauté radicale et donc de distinction dans l’art est une conséquence du régime capitaliste. Nous nous trouvons donc devant une contradiction : d’une part, le moi a un caractère fortement social et d’autre part l’esthétique qui est développée dans la société capitaliste est une esthétique de la différence radicale. L’intérêt de Shusterman est de penser l’esthétique et donc l’art de vivre non pas comme la réalisation d’une singularité en contradiction avec l’existence sociale, mais de penser que le caractère social du moi fait qu’il ne peut réaliser son épanouissement que dans son engagement social. Or comme le souligne Dewey, ce n’est pas dans une société autoritaire, mais dans une société démocratique que chaque individu peut vivre l’expérience la plus riche. Donc plus une société est démocratique, plus elle permet un épanouissement plus grand de l’individu. Par conséquent, d’une part toute esthétique de soi suppose la transformation de la société de manière à rendre possible la réalisation de son moi, mais d’autre part, il ne peut s’agir d’une esthétique aristocratique de la transgression comme critère de distinction (comme celle de Sade par exemple), mais au contraire d’une éthique démocratique. Il y a certes une multiplicité d’arts de vivre possibles, mais du fait caractère social de l’homme, rechercher un art de vivre qui se définisse par la transgression de toute vie sociale est absurde.

Mais si par conséquent, l’épanouissement individuel suppose la transformation de la société, il est par conséquent nécessaire de comprendre quelle forme peut prendre l’anarchisme dans le cadre d’une conception philosophique pragmatiste.

C – L’action politique

Le pragmatisme contient les ferments d’une théorie à la fois de critique et d’alternative [5] aux sociétés organisées selon la méthode d’autorité, méthode qui induit des rapports de domination: autorité économique des possédants sur les travailleurs et du paternalisme étatique sur la société civile, autorité politique des gouvernants et des experts sur les gouvernés, des intellectuels sur les manuels, des hommes sur les femmes. Or cette théorie, contrairement à celle de Marx ou de Kropotkine, ne repose pas sur une philosophie de l’histoire et un scientisme sous jacent, mais sur un faillibilisme et un expérimentalisme qui la rend adaptable aux évolutions historiques des revendications.

Le pragmatisme repose sur une équation simple : savoir c’est pouvoir [6]. Avoir de la connaissance, nous donne un pouvoir. Le Gorgias de Platon le soulignait déjà à propos de la rhétorique : la maîtrise technique de la rhétorique donne un pouvoir politique sur les autres citoyens. Le pragmatisme inclut donc une théorie du pouvoir.

a – Méthode autoritaire et méthode pragmatiste

Tout d’abord, elle permet de distinguer entre méthode autoritaire et méthode pragmatique. Cette distinction, permet de faire une distinction, au sein des notions de pouvoir, de vérité, de démocratie, de raison et d’universel : une distinction entre un usage de justification de l’ordre social préexistant et un usage émancipateur de ces notions. Il ne s’agit donc pas de rejeter en bloc ces notions au risque de ne plus pouvoir penser de manière cohérente ou de s’enfermer dans une critique qui ne permet plus de penser l’alternative. On peut en effet distinguer d’une part une conception, ayant un rôle de justification de l’ordre social préexistant, qui fait apparaître ces notions comme instituées a priori, et une autre conception qui les fait apparaître comme constituées, construites historiquement par des pratiques. D’autre part, on peut distinguer entre une constitution du contenu de ces notions dans le cadre d’une société organisée de manière autoritaire et la constitution de ces notions par le consentement de tous que suppose la théorie de la vérité pragmatiste.

Moins un énoncé est justifié, c’est à dire moins il découle du consentement argumenté de tous, plus il est un objet possible de contestation. En effet, là où il y a consentement, il n’y a pas contestation de la part de ceux qui consentent tant que dure le consentement. Ce dont le pragmatisme permet de faire la critique, c’est la critique des rationalités, des formes de savoirs-pouvoirs, qui tout en pouvant d’ailleurs sembler en apparence s’appuyer sur la méthode scientifique ou se présenter comme des régimes démocratiques, sont en fait le produit de la méthode autoritaire et non du consentement issu de la discussion argumentée de tous. Ce que le pragmatisme permet de remettre en cause, ce sont les relations de pouvoir qui découlent en réalité, non d’une discussion argumentée et d’un consentement, mais de la méthode d’autorité c’est à dire d’un pouvoir [7] fondé sur une position sociale et non sur une compétence [8]. Mais c’est la capacité à ne pas être réfuté ou une capacité à pouvoir faire quelque chose que les autres ne savent pas faire qui détermine la compétence; sachant qu’en matière politique, contrairement à la science, le primat de l’éthique fait que personne ne peut prétendre être compétent à la place de quelqu’un d’autre pour juger de son épanouissement personnel. Cela ne signifie pas que la démocratie, qui exige la participation directe de tous, soit une démocratie de l’incompétence. Au contraire, comme le montre l’affirmation du primat de la pratique, ce n’est qu’en participant que l’on peut acquérir un savoir politique, par conséquent, c’est la démocratie représentative elle-même qui entretient une forme d’incompétence politique.

Dans les faits, il est difficile de distinguer absolument la méthode autoritaire et la méthode pragmatique (ou démocratique), il y a une continuité : les régimes autoritaires, organisés de haut en bas, essaient de donner l’impression qu’ils s’appuient sur le débat argumenté,. Même dans une société organisée de bas en haut, selon la méthode pragmatiste ou démocratique, il est certainement impossible qu’un débat argumenté soit totalement exempt de rapports de violence. Il n’y a pas de société parfaite, excluant tout rapport de violence, de conflit, mais cela signifie a contrario qu’il n’y a aucune société qui puisse se considérer à l’abri de toute critique. Les justifications que se sent contraint de donner tout pouvoir de sa force, reposent justement sur la puissance que constitue le consentement. Mais il faut remarquer qu’il faut distinguer par exemple entre le consentement obtenu par la propagande et celui obtenu par la discussion argumentée. S’il existe une ambivalence de termes tels que «démocratie, universelle», «consensus», cela provient de ce qu’ils renvoient à des aspirations fondamentales de l’existence sociale. Mais du fait de la fonction même de ces termes, les autorités les revendiquent pour justifier leur autorité.

b – Les dualismes sociaux

Mais cette opposition entre méthode autoritaire et méthode pragmatique, qui permet de distinguer entre un pouvoir social et un pouvoir qui est issu du consentement argumenté de tous, est induite par une structuration sociale.

La technique est un phénomène naturel qui existe aussi bien chez l’homme que chez l’animal. Mais le développement pris par la technique dans l’espèce humaine est ce qui amène à introduire un dualisme entre l’homme et la nature, l’homme et les autres animaux. C’est en ce sens que Bergson explique dans L’évolution créatrice que l’homme pourrait être qualifié d’homo faber.

Or la technique est ambivalente, comme l’a très bien vu Habermas, dans La science et la technique comme idéologie, : d’un côté elle est ce qui permet à l’homme de s’affranchir des contraintes naturelles, elle a un rôle émancipateur ; mais d’un autre côté la technique est ce qui a rendu possible la mise en place des inégalités sociales : le dualisme homme/femme s’établit sur la division sociale entre chasseur et cueilleur, la distinction travailleur/oisif dérive de l’existence d’une caste guerrière – rendue possible par l’invention des techniques métallurgiques – qui établie sa domination sur les agriculteurs.

Dewey montre dans Reconstruction en Philosophie que la méthode autoritaire tire son origine d’une organisation sociale où des individus ont un pouvoir institutionnel sur d’autres, d’une société hiérarchisée. Dans ces sociétés, ce sont les prêtres, les chefs institués par la tradition qui la perpétuent. Cette division politique et intellectuelle se double d’une division économique : ceux qui détiennent les places de prestige sont ceux qui ne travaillent pas. Par conséquent, cette division entre une philosophie idéaliste qui reproduit dans sa philosophie les dualismes sociaux (ex : un esprit séparé et supérieur au corps car les intellectuels aristocrates sont supérieurs aux travailleurs manuels) et pensée pragmatiste [9] renvoie à une structure sociale où un des éléments de ces dualités sociales est dominé par rapport à l’autre c’est à dire qu’il subit son autorité.

Pour des raisons liées au développement des techniques et par conséquent à l’adoption par la science de méthodes issue de l’empirisme technique, à la Renaissance, la méthode pragmatique d’abord en science, puis par la suite en politique connaît un essor.

Mais il faut bien comprendre qu’un développement complet de la méthode pragmatiste, comme le montre Dewey, dans Démocratie et Education, présuppose l’abolition des classes sociales et de tous les dualismes sociaux : gouvernant/gouverné, exploiteur/exploité, oisif/travailleur, intellectuel/manuel, nature/culture, homme/femme [10]…. Il ne s’agit donc pas de limiter la critique sociale aux inégalités sociales qui sous tendent les divisions de classe, mais à tous les dualismes sociaux. Les luttes sociales ne se limitent donc pas dans cette théorie à la lutte des classes, mais incluent les luttes anti-sexistes, les luttes écologistes Tant que ces dualismes sociaux se maintiennent, il ne peut y avoir de méthode pragmatique étendue à toute la société et donc de véritable décision démocratique puisque des effets sociaux de pouvoir invalident le débat démocratique.

La théorie de l’enquête s’applique au domaine social. Or il faut bien concevoir que pour un pragmatiste tout énoncé intègre toujours des valeurs, il est toujours en un certain sens idéologique, il est toujours une justification. Parce que le phénomène d’évaluation est un phénomène idiosyncrasique à l’origine, il est toujours relatif à une perspective individuelle, c’est pourquoi la démocratie pragmatique n’est pas une démocratie de la majorité, mais une démocratie du consensus [11]. C’est pourquoi la démocratie pragmatiste, telle que la pense Dewey, est du côté de l’expérimentation des formes de démocratie radicale remettant en cause les dualismes sociaux contre les formes de démocratie qui sont en réalité soit des oligarchies ( autorité d’une minorité sur la majorité), soit autorité de la majorité sur la minorité. Cette expérimentation politique par les publics sont ce qui leur permet d’acquérir un savoir, donc d’acquérir du pouvoir c’est à dire une plus grande puissance d’agir.

Cette conception de la démocratie comme majorité opposée à une démocratie du consensus [12], on la retrouve aussi chez Proudhon à travers la notion de Raison Publique (ou collective).

«Tout vote implique un débat contradictoire […] La vraie méthode consiste […] 2° A chercher l’idée supérieure, synthèse ou formule, dans laquelle les deux propositions contraires se balancent, et trouvent leur satisfaction, puis à faire voter sur cette synthèse, qui, exprimant le rapport des opinions contraire, sera naturellement plus près de la vérité» [13].

Proudhon a critiqué à de nombreuses reprise la démocratie comme tyrannie de la majorité. Or les réflexions de Proudhon sur ce qu’il appelle la raison publique rejoignent celles d’auteur contemporain comme Serge Moscovici dans Dissensions et Consensus : le consensus loin d’éliminer le conflit le suppose car le consensus se distingue du vote arithmétique et du compromis au rabais, il est un dépassement des opinions individuelles par le débat. Un vrai consensus est une synthèse. Par conséquent, ce qui fait que la démocratie électorale ou le sondage sont critiquables, c’est qu’ils reposent sur la simple addition des opinions et non sur la formation d’une véritable opinion collective ou publique par le débat argumenté.

c – Une théorie de l’espace public

Revendiquer la remise en cause des dualismes sociaux, c’est donc exiger une véritable démocratie et exiger une véritable démocratie suppose de remettre en cause les dualismes sociaux. La démocratie n’est donc pas seulement une forme de régime, mais c’est aussi une certaine forme d’organisation sociale. Il n’y a donc pas de séparation entre le politique et le social, mais une continuité. Face à un problème, il se forme ce que J. Dewey, dans Le public et ses problèmes, appelle un public. Un public est un groupe d’individus qui agissent en portant un problème dans l’espace public. Le public chez Dewey n’est pas seulement produit, mais il est actif, il est un vecteur de transformation sociale. En outre, les publics sont multiples et ne peuvent être rendus par l’opposition simpliste entre bourgeois et prolétaire : ils incluent les luttes de classes qui opposent une classe à une autre, les luttes écologistes dans lesquels les intérêts de tous sont menacés, les luttes anti-sexistes (luttes des femmes ou des homosexuels par exemples) où des individus appartenant à des classes différentes peuvent avoir des intérêts communs. Un même individu peut appartenir à plusieurs publics.

Afin de résoudre le problème auquel ils sont confrontés, les publics expérimentent. Cette expérimentation n’est pas seulement politique, mais aussi sociale. Dans sa dimension politique, il s’agit de remettre en cause le principe d’autorité dans les décisions et d’expérimenter une prise de décision par tous. Dans sa dimension sociale, il s’agit de redéfinir les limites entre le public et le privé : service public, collectivisation, possession privée, protection de la vie privée… La propriété n’est pas la conséquence de lois naturelles, elle est un phénomène social. Mais il ne s’agit pas d’appliquer telle ou telle idéologie collectiviste ou communiste comme un dogme, mais de l’expérimenter. C’est ainsi que les collectivisations durant les années trente en Espagne ont maintenu la petite propriété, plutôt que d’exterminer comme les bolcheviques les petits propriétaires terriens. Mais ces tentatives de réorganisation selon la méthode démocratique de la société sont certes limitées par l’organisation autoritaire de la société. En effet, si ceux qui occupent les positions inférieures dans l’organisation sociale cherchent à remettre en cause son organisation, ceux qui occupent les places supérieures cherchent à la maintenir. S’il est impossible que des moyens autoritaires mènent à une société démocratique, néanmoins il est fort probable que la répression d’une expérimentation démocratique suscite une réaction violente [14].

d – L’action révolutionnaire

La remise en cause des classes sociales n’est pas liée à une philosophie de l’histoire, en particulier une philosophie de l’histoire qui considère que «l’histoire avance (inéluctablement) par le mauvais coté» c’est à dire par la violence, mais à ce que l’absence de consensus rationnel et les conditions matérielles créent la possibilité aléatoire d’une contestation démocratique. Par conséquent, si les méthodes sont en partie liées aux circonstances, il n’en reste pas moins que tant que les méthodes de transformation utilisées sont autoritaires, il ne peut y avoir mise en place d’une société non-autoritaire. En effet, la thèse qui soutient l’hétérogénéité des fins et des moyens commet une erreur par rapport à la relation continue qu’entretiennent les moyens et les fins, les moyens produisent leurs propres fins. Cela implique donc que tout ordre social est toujours contestable au nom d’une plus grande demande de démocratie, mais que cette revendication plus grande de démocratie ne peut parvenir à ses fins que par des méthodes non-autoritaires. Ce refus d’utiliser des moyens autoritaires pour arriver à ses fins est ce qui distingue les anarchistes des marxistes.

La conception de la révolution telle qu’elle s’est imposée sous l’influence de Marx est tributaire d’une philosophie de l’histoire selon laquelle le moteur du changement social est la lutte des classes, la révolution étant un processus violent de destruction de l’ordre social préexistant. Dewey reconnaît l’existence de la lutte des classes, mais il répond à Trotski à propos de Leur morale et la nôtre que cela ne signifie pas quelle soit forcément le moteur de l’histoire. En outre, il ne faut pas oublier que la révolution telle que la conçoivent Marx et Lénine consiste à s’emparer de l’appareil d’Etat qui est l’instrument de la classe dominante et qui doit donc devenir l’instrument du prolétariat. Or Proudhon et Kropotkine ont chacun à leur manière fait une critique de la théorie de la révolution de Marx. Tous les deux ont montré qu’il ne s’agissait pas d’éliminer physiquement une classe sociale, mais de remettre en cause un système social.

Or cette remise en cause des dualités sociales et de l’organisation autoritaire de la société passe par des luttes, d’une part, et par la mise en place d’alternatives d’autre part. Les luttes que mènent ceux qui sont dominés dans le système social, supposent une organisation non-autoritaire (démocratie radicale) et des méthodes non-autoritaires mais pas forcément légales (cela peut être la désobéissance civique). En effet, une réelle remise en cause de l’ordre social ne peut consister à remplacer une forme d’autorité par une autre et implique donc la rupture radicale avec les méthodes autoritaires. C’est là ce qui distingue les mouvements démocratiques, et l’anarchisme en particulier, des autres mouvements de contestation de l’ordre établi (par exemple fascistes), et qui les rendent légitimes (dans la mesure où dans la conception pragmatiste, contrairement à l’amoralisme scientiste marxiste et en accord avec le souci éthique de l’anarchisme, les règles qui sont valables pour le domaine cognitif, sont aussi valables pour le domaine éthique puisqu’il n’y a pas de dichotomie stricte entre fait et valeur).

Mais, il ne s’agit pas de croire qu’il suffit de se concentrer sur la lutte contre le système et que la société nouvelle sortira d’elle-même de la destruction de l’ancienne société. Il s’agit de sortir quelque peu de la mystique de la destruction et de la violence rédemptrice qui hante par certains aspects le mouvement anarchiste alors même que l’une des particularités du mouvement anarchiste, par rapport au marxisme-léniniste, est de ne pas avoir forcement identifié révolution et violence, et d’avoir su développer au cours de son histoire des pratiques d’action politique non-violente. La révolution [15] présuppose l’expérimentation d’alternatives à la société capitaliste et à l’Etat. Chaque époque génère ses modes de résistance et ses alternatives, et il n’est jamais possible de savoir a priori qu’elles vont être leur extension. Il ne s’agit pas d’attendre que la Révolution ait eu lieu pour vivre en anarchiste car il ne peut y avoir de véritable révolution, c’est à dire de remise en cause des structures fondamentales de la société, que par l’expérimentation de structures alternatives sur le long terme. D’un coté, il existe des groupes d’individus qui désirent conserver leur position de domination et d’un autre côté il faudra bien faire une société aussi avec eux, à moins d’envisager de tous les exterminer, eux et leur soutien. Il s’agit donc avant tout de bâtir une société non-autoritaire en se réappropriant collectivement et en auto-gérant nous même les outils de production et les services, de l’étendre et de la défendre.

Si on résume ce que peut être l’apport du pragmatisme en matière de philosophie politique anarchiste : il permet d’élaborer une critique des dualismes sociaux, qui ne se limite pas à la lutte des classes, et une théorie critique de l’autorité.

Il nous permet d’élaborer ce que peut être une action politique sans philosophie de l’histoire. Tant qu’il n’y a pas un consensus reposant sur le débat argumenté de tous, il risque toujours d’y avoir des résistances. Mais la mise en place d’une société radicalement démocratique ne peut avoir lieu que par des méthodes non-autoritaires. Ces méthodes consistent en la mise en place d’expérimentation par des publics remettant en cause : la ligne de partage entre privé et public, les dualismes sociaux orientés selon un rapport de domination, le principe autoritaire d’organisation. Ces méthodes ne pouvant être qu’en rupture radicale avec la méthode autoritaire, elle le sont par conséquent aussi avec l’Etat : il ne s’agit pas forcement de se concentrer sur la destruction réactive de l’Etat, mais d’agir en rupture avec lui. Or c’est cette capacité aussi bien dans la lutte que dans la mise en place d’alternative qui fait la spécificité de la méthode d’action anarchiste. L’expérimentation collective, incluant le débat argumenté de tous, est la méthode de transformation sociale qui correspond à la méthode non-autoritaire. Mais la participation, pour qu’elle soit au maximum débarrassée de ses rapports de violence, présuppose la remise en cause des dualismes sociaux entre les participants à l’expérimentation. D’un coté ne peut pas être admis quelqu’un qui a plus de pouvoir social que les autres, mais d’un autre côté nul ne peut être contraint [16] à participer à l’expérimentation. Néanmoins, toute tentative extérieure de s’opposer à la mise en place d’une expérimentation démocratique radicale conduit légitimement, comme l’affirme Dewey à propos de la guerre d’Espagne, à une défense et une lutte contre les tenants de l’autorité qui s’y opposent.

L’intérêt du pragmatisme, nous semble-t-il, est de constituer à partir d’une conception de la vérité, qui remet en cause le dualisme entre théorie et pratique, une critique et une alternative aux sociétés autoritaires en proposant une théorie de l’action politique qui découle de cette théorie de la vérité. Si la vérité est le produit d’un consensus rationnel [17] et si tout énoncé de fait inclut des énoncés de valeur, alors il ne peut y avoir d’action politique juste que non-autoritaire. Mais comment est alors déterminer la justice sociale sans faire appel à une transcendance ? Plus une organisation sociale est le produit d’une expérimentation collective incluant le débat argumenté du plus grand nombre, plus elle est justifiée à la fois au sens cognitif et de rendre juste (dans la mesure où la dimension factuelle et évaluative n’est jamais séparée dans la pragmatisme).

 Irène Pereira

 

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Romeyer Dherbey G., Les sophistes, PUF, 2002

Rorty R., L’espoir au lieu du savoir, A.Michel, 1995

Shusterman R., La philosophie : pragmatisme et art de vivre, Klincksieck, 2001

Spinoza B., Traité de l’autorité politique, Gallimard, 1954

Tarde G., « Le public et la foule » in L’opinion et la foule, PUF, 1989

Tiercelin C., Le doute en question, Ed. de l’éclat, 2005

Vincent B., « Le Virgile de l’Amérique » : Paul Goodman entre avant-garde et tradition, Transatlantica revue d’études américaines, mars 2003

Westbrook, John Dewey and american democracy, Cornell University Press


[1] Il serait à ce propos intéressant de développer plus amplement non seulement les points de comparaison entre Dewey et Proudhon, mais aussi avec le socialisme expérimental de l’anarchiste allemand G.Landauer.

[2] J.Dewey, Reconstruction en philosophie, p.161

[3] Voir par exemple La morale anarchiste de Kropotkine

[4] A côté de la conception du sujet telle que la développe la philosophie idéaliste qui est une théorie de justification de l’ordre social préexistant, il y a une autre conception du sujet qui est celle de Nietzsche, Foucault ou des pragmatistes américains, qui est celle d’un «sujet» en devenir qui se constitue par des pratiques de soi. Ce qui signifie que l’expression de la singularité individuelle ne peut être réduite à son expression bourgeoise et à la conception idéaliste qui lui sert de justification.

[5] Ce double mouvement de Proudhon l’appelle «anarchie négative» et «anarchie positive».

[6] Dewey dans Reconstruction en philosophie insiste à cet égard sur l’importance de la théorisation de la méthode expérimentale de Bacon qui a très bien compris le lien entre connaissance, pouvoir et expérimentation.

[7] La limite du pragmatisme foucaldien, comme le montre Habermas dans Le discours philosophique de la modernité, c’est d’être victime d’une contradiction performative. Si tout est relation de pouvoir et si on ne distingue pas deux formes de pouvoir, alors tout discours, y compris celui de Foucault, est une relation de pouvoir alors qu’il prétend faire la critique du pouvoir.

[8] «Les sciences naturelles, qui sont des sciences empiriques, sont des sciences démocratiques qui reposent sur l’expérience combinée de tout le monde» (Bakounine, «L’instruction intégrale» in le journal l’Egalité). Mais cela ne signifie pas qu’il s’agit de refuser toute compétence scientifique. «Si je m’incline devant l’autorité des spécialistes et si je me déclare prêt à en suivre, dans une certaine mesure et pendant tout le temps que cela me paraît nécessaire, les indications et même la direction, c’est parce que cette autorité ne m’est imposée par personne, ni par les hommes ni par Dieu.» (Bakounine, Dieu et L’Etat) L’autorité de la compétence est légitime si elle découle non de la méthode de l’autorité, mais de la méthode pragmatiste. Il faut donc distinguer l’autorité comme principe de justification et l’autorité qui est un effet d’une justification convaincante.

[9] On peut interpréter l’opposition entre Platon et les sophistes par ce biais. En effet, Platon issu de l’aristocratie athénienne est un oisif, tandis que les sophistes sont des étrangers qui font profession d’enseigner contre un salaire. Or on peut remarquer que les sophistes sont des philosophes de la technique : ils sont les seuls à vanter le savoir faire technique parmi les philosophes de l’antiquité, tandis que Platon élabore une philosophie de la contemplation. En outre, comme le souligne Castoriadis, l’opposition entre Platon et les sophistes est aussi une opposition entre partisans de l’aristocratie et partisan de la démocratie. Il faut rappeler que Protagoras, dans le mythe d’Epitémée, contrairement à Platon, fait de la justice une vertu partagée entre tous et considère que tout le monde doit être admis lorsqu’on délibère sur la politique.

[10] Le refus des dualismes et au contraire l’ontologie continuiste du pragmatisme s’accorde avec les théories queers. En effet, il s’agit de récuser la dualité homme/femme comme étant une construction sociale qui enferme les individus dans des rôles préétablis. Les individus ont des identités multiples au niveau de la construction du genre. De même qu’au niveau de la différence des sexes, le découpage de la réalité en deux grandes catégories masque la continuité qui existe entre les deux sexes qui fait qu’il est difficile de saisir exactement les critères qui permettent de distinguer absolument un homme d’une femme comme le montre l’existence d’individus inter-sexes. Il semble au contraire qu’il peut y avoir davantage de différences entre individus dit d’un même sexe qu’entre individus dit de sexes opposés.

[11] Penser la démocratie en terme de consensus n’est ce pas irréaliste ? Il faut remarquer le fait qu’un certain nombre d’organisations du mouvement social fonctionnent au consensus (voir par exemple Guérilla Kit de M. Baba). En fait l’absence de consensus peut être analysée non comme une paralysie, mais comme une autonomie plus grande laissée aux sous-ensembles d’appliquer leurs propres décisions si au niveau fédéral on ne parvient pas à se mettre d’accord.

Pour une réflexion à partir de Foucault et d’Habermas sur le consensus voir Foucault, «Structuralisme et Post-structuralisme», Dits et Ecrits, t.IV

[12] Il semble difficile de penser qu’un consensus universel et sans fin pourra être réalisé tout simplement car il semble difficile d’imaginer une société d’harmonie parfaite. De même, qu’une décision soit prise au consensus ne signifie pas qu’une fois adoptée les individus suivent naturellement cette décision : «je vois le meilleurs et je fais le pire». Imaginer une société où tous les hommes vivent toujours sous la conduite de la raison, c’est imaginer une société, non d’hommes, mais d’anges. Mais là aussi, il y a deux manières de régler les actes anti-sociaux comme le montre Spinoza, dans le Traité de l’autorité Politique, de manière autoritaire, coercitive (par la crainte), de manière non-autoritaire, attractive (par l’espoir).

[13] Proudhon, Justice, p.313

[14] De même, l’existence de dualismes sociaux, où certains groupes détiennent le pouvoir politique et économique, ont de fortes probabilités d’aboutir à des explosions sociales. Mais ces réactions violentes de la foule risquent de ne pas êtres susceptibles de créer les expérimentations démocratiques qui suppose la constitution d’un véritable espace social et politique publique. G.Tarde, dans L’opinion et la foule, montre que la constitution d’une foule en public suppose l’existence d’un espace public plébéien avec des journaux militants, une culture militante publique….

[15] La notion de révolution s’oppose à celle de réforme. Or le réformisme désigne des moyens légalistes, et en particuliers étatiques, de transformer la société. Donc la révolution n’implique pas nécessairement la violence, mais la rupture avec l’action étatique. Si les marxistes associent la révolution avec la violence, c’est que c’est pour eux le seul moyen de se distinguer du réformisme étatique.

[16] Car seuls ceux qui sont persuadés de détenir la vérité absolue comme les marxistes peuvent croire qu’ils sont légitimés à contraindre qui que ce soit. Les marxistes se croient amoraux alors que c’est leur scientisme qui leur tient lieu d’idéologie morale.

[17] Il faut remarquer d’ailleurs que l’idée même de comprendre la nature de la vérité comme liée à la notion de consensus ne devient peut être possible que lorsque la conception démocratique à déjà atteint une certaine force de préjugé.

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