.retrait { margin-left:50px; } .retrait { margin-left:50px; }
Subscribe By RSS or Email

31 mai 2014

Désobéissance et démocratie radicale – Sandra Laugier

Article de préparation au séminaire ETAPE de juin sur l’éthique perfectionniste, individualisme démocratique et désobéissance civile – texte inédit

 

____________________________

 

Peut-on compter sur soi-même, et comment ? Le penseur américain Henry David Thoreau, le jour où il s’installe au bord du lac de Walden – un 4 juillet, anniversaire de l’Indépendance américaine – décide qu’il construira sa maison de ses mains, et vivra seul, au milieu des bois : « je gagnais ma vie grâce au seul travail de mes mains ». Utopie ? Au bout de deux ans, Thoreau retourne à la civilisation, mais l’esprit de Walden vit toujours. En témoignent, aux Etats-Unis dans les années 1960 au moment de la bataille des droits civiques, et aujourd’hui en France, les multiples actes de désobéissance civile, concept inventé aussi par Thoreau. Je peux et dois m’opposer à la loi commune, m’isoler de la société, si je ne m’y reconnais pas. La désobéissance se fonde que sur un principe moral, la confiance en soi, qui encourage l’individu à refuser la loi commune et acceptée des autres, en se fondant sur sa propre conviction qu’elle est injuste.

 

Tradition et actualité de la désobéissance

 

La désobéissance civile est le refus volontaire et ostensible d’appliquer un texte réglementaire. Il ne faut pas imaginer, donc, que désobéir est un acte qui recouvre toutes les résistances et toutes les révoltes. La désobéissance civile est une forme d’action qui répond à une définition précise : refuser, de façon non-violente, collective et publique, de remplir une obligation légale ou réglementaire au motif qu’elle viole un « principe supérieur » afin de se faire sanctionner pour que la légitimité de cette obligation soit appréciée à l’occasion d’un appel en justice. La France d’aujourd’hui vit un moment marqué par la prolifération du nombre d’actes de désobéissance civile. Loin de marquer un rejet du politique, ces refus en appellent à une extension des droits et des libertés qu’une démocratie devrait assurer à ses citoyens. Ce qui est résumé par la question de notre livre : Pourquoi désobéir en démocratie ? (avec Albert Ogien, Paris, La Découverte, 2010). La désobéissance civile pourrait être tenue pour une forme d’action politique désuète, et inadéquate. C’est que, dans un régime démocratique, les libertés de vote, d’expression, de manifestation, de grève, de conscience et d’association sont apparemment garanties ; des mécanismes de « dialogue social » ont été institués, dans le travail parlementaire, le paritarisme ou les négociations collectives ; et la défense des droits fondamentaux est une réalité juridique qu’on peut faire jouer. Dans ces conditions, on ne voit plus pourquoi l’expression d’un mécontentement devrait prendre les allures de la désobéissance, et on peut même s’inquiéter d’un geste qui remet en cause le principe même de la démocratie, à savoir le fait que la minorité s’engage à accepter la légitimité de ce qu’une majorité décide, en attendant une éventuelle alternance. La désobéissance est une modalité de contestation dont le bien-fondé est mis en doute pour des raisons de légitimité (de quel droit se soustraire à la loi républicaine ?), pour des raisons politiques (pourquoi revendiquer les intérêts des individus contre ceux de la collectivité), ou pour des raisons d’efficacité (elle ne s’attaque pas aux racines de l’aliénation et de la domination).

 

Or la désobéissance s’impose quand on a épuisé l’expression du désaccord par les moyens politiques classiques, qui respectent les règles du dialogue : elle est une mise en cause certes non-violente, mais radicale, d’un pouvoir devenu sourd à la contestation. Nous souhaitons ici donner des éléments pour décrire ce phénomène, en prendre acte et montrer en définitive la justesse de ces gestes, qui sont conçus non pas comme une mise en cause, mais une réaffirmation des principes de la démocratie.

 

Le recours à la désobéissance fait en effet curieusement revivre une tradition née aux Etats-Unis, et semble s’écarter des modes d’action politique reconnus dans la France contemporaine. C’est que Henry David Thoreau (1817-1862) et Ralph Waldo Emerson (1803-1882), les promoteurs américains de la désobéissance civile, s’exprimaient en contexte démocratique – pas tyrannique à proprement parler – contre une trahison des idéaux de ma démocratie : c’est ce sentiment qui suscite la désobéissance, on ne se reconnaît pas dans l’Etat et sa parole, on ne veut plus parler en son nom (ni qu’il prétende nous exprimer). La désobéissance civile surgit quand un fonctionnement public apparemment démocratique suscite le dégoût, et le refus : notamment par sa forme d’expression, son langage. Les motifs des « grandes causes » qui lui ont donné ses lettres de noblesse (Gandhi, la Guerre d’Algérie, celle du Viet Nam, le combat contre la colonisation, la ségrégation raciale, ou les luttes pour le droit à l’avortement ou à la libre sexualité) se retrouvent dans la volonté de soutenir des illégaux et des clandestins, exprimée dans un certain nombre d’actions plus ou moins spectaculaires. Mais d’autres manières de désobéir existent aujourd’hui. La première consiste, pour un groupe de citoyens organisés, à se mettre délibérément en infraction tout en cherchant à articuler cette action à celle qu’une opposition politique livre dans le cadre du débat démocratique. La seconde suscite moins d’intérêt médiatique : elle consiste, pour une poignée de citoyens, à refuser ostensiblement d’appliquer une disposition légale ou réglementaire qu’ils sont chargés de mettre en œuvre mais dont ils estiment qu’elle est attentatoire à la justice ou à la démocratie. Ce qui est le cas lorsque des agents de l’Etat refusent de suivre des instructions dont ils pensent qu’elles font peser des menaces sur l’égal accès des citoyens à des besoins fondamentaux (santé, éducation, justice, etc.) ; ou nuisent aux libertés individuelles ; ou dégradent la qualité des prestations offertes aux usagers d’un service public. La désobéissance civile prend alors une allure inédite et plus discrète. Elle renvoie à un sentiment de dépossession de la voix.

 

La voix et la dissidence

 

Nous sommes partis, au plan philosophique, de l’importance chez Ludwig Wittgenstein (1889-1951), comme chez Emerson, de l’idée de voix et de revendication (claim). Lorsque Wittgenstein dit que les humains « s’accordent dans le langage qu’ils utilisent », il fait appel à un accord qui n’est fondé sur rien d’autre que la validité d’une voix. Dans son ouvrage Dire et vouloir dire (1969), Stanley Cavell, reprenant Kant, définissait la rationalité du recours au langage ordinaire, sur le modèle du jugement esthétique, comme revendication d’une « voix universelle » : se fonder sur moi pour dire ce que nous disons. Cette revendication est ce qui définit l’accord, et la communauté est donc, par définition, revendiquée, pas fondatrice. C’est moi – ma voix – qui réclame la communauté, pas l’inverse. Trouver ma voix consiste, non pas à trouver un accord avec tous, mais à faire une revendication. On peut ainsi dire que chez Cavell et Wittgenstein la communauté ne peut exister que dans sa constitution par la revendication individuelle et par la reconnaissance de celle d’autrui. Elle ne peut donc être présupposée, et il n’y a aucun sens à résoudre le désaccord moral ou le conflit politique par le recours à elle. Il ne s’agit pas d’une solution au problème de la moralité : bien plutôt d’un transfert de ce problème, et du fondement de l’accord communautaire, vers la connaissance et le revendication de soi.

 

La voix est forcément dissidente, contre le conformisme. On préférera ici l’idée de désobéissance à celle d’émancipation. Le dissensus est propre à la démocratie et à ce type même de conformisme que suscite la démocratie, celui que déplore Emerson lorsqu’il revendique la « Self-Reliance » (ou « Confiance en soi », 1841). Penser la désobéissance en démocratie revient à penser le retournement du conformisme. Elle est liée à la définition même d’une démocratie, d’un gouvernement du peuple c’est-à-dire par le peuple, comme le disait très clairement la déclaration d’indépendance américaine (à laquelle Emerson et Thoreau veulent être fidèles contre les dérives de la Constitution puis de sa mise en œuvre jacksonienne) : un bon gouvernement démocratique est le gouvernement qui est le nôtre, le mien – qui m’exprime et que je puis exprimer. La question de la démocratie est bien celle de la voix. Je dois avoir une voix dans mon histoire, et me reconnaître dans ce qui est dit ou montré par ma société, et ainsi, en quelque sorte, lui donner ma voix, accepter qu’elle parle en mon nom. La désobéissance est la solution qui s’impose lorsqu’il y a dissonance : je ne m’entends plus, dans un discours qui sonne faux, dont chacun de nous peut faire l’expérience quotidienne (pour soi-même aussi, car pour Emerson le conformisme qu’on doit d’abord chasser est le sien propre).

 

Démocratie radicale : assentiment en conversation et dissentiment

 

Dans cette approche, la question de la démocratie est affaire de langage : elle devient celle de l’expression. L’illusion est que si ma société est raisonnablement libre et démocratique, mon dissentiment n’a pas à s’exprimer sous forme radicale : comme si j’avais minimalement consenti à la société, de façon que mon désaccord puisse être raisonnablement formulé dans ce cadre. Mais quel consentement ai-je donné ? La démocratie radicale veut continuer la conversation en ce qu’elle considère que non, je n’ai pas donné mon consentement : pas à tout. La critique est au fondement même de la démocratie, elle n’est pas sa dégénérescence ou une faiblesse interne. L’idée même de désobéissance civile est d’abord une approche américaine de la démocratie, à l’époque où elle essaie de se réinventer sur le sol américain, et dans le cadre d’une déception par la démocratie devenue conformiste et marchande. Elle est cependant caractéristique de ces moments où on désespère de la démocratie, où elle dégénère en conformité. Cette voie du dissentiment est particulièrement importante dans la tradition culturelle américaine, et on l’a retrouvée dans les mouvements minoritaires d’opposition à la guerre en Irak de G. W. Bush. On peut même imaginer que par un détour elle a mené au changement politique et au retour d’un pouvoir démocrate, assorti du signe important, au pays de l’esclavage, que fut l’élection d’un président à moitié noir.

 

Emerson et Thoreau refusaient la société de leur temps pour les mêmes raisons que l’Amérique avait voulu l’indépendance, et revendiqué les droits que sont la liberté, l’égalité, la recherche du bonheur. Ils prenaient à la lettre la Déclaration d’Indépendance : « Les gouvernements sont établis parmi les hommes pour garantir ces droits, et leur juste pouvoir émane du consentement des gouvernés ». C’est ici et maintenant, chaque jour, que se règle mon assentiment à ma société ; je le l’ai pas donné, en quelque sorte, une fois pour toutes. Non que mon assentiment soit mesuré ou conditionnel : mais il est, constamment, en discussion, ou en conversation – il est traversé par le dissentiment. Thoreau dans la Désobéissance civile (1849) déclare : « je souhaite refuser de faire allégeance à l’Etat, m’en retirer de manière effective ». Si l’Etat refuse de dissoudre son union avec le propriétaire d’esclaves, alors « que chaque habitant de l’Etat dissolve son union avec lui (l’Etat) ». «Je ne peux reconnaître ce gouvernement pour mien, puisque c’est aussi celui de l’esclave», dit Emerson. Nous sommes tous esclaves et notre parole sonne faux. Plutôt que de revendiquer à leur place, et de les maintenir ainsi dans le silence, ils préfèrent revendiquer les seuls droits qu’ils puissent défendre, les leurs. Leur droit d’avoir un gouvernement qui parle et agit en leur nom, qu’ils reconnaissent, à qui ils donnent leur voix.

 

Désobéissance civile et individualisme

 

On comprend alors quelle est l’actualité de la confiance en soi, et de la désobéissance contre le conformisme, et le désespoir démocratique. Le modèle de la désobéissance réapparaît comme manifestation non pas de révolte, mais d’espoir, contre tout ce désespoir.

 

La désobéissance oblige ainsi à revendiquer une forme d’individualisme – car ne faut pas laisser le monopole de l’individu, si l’on peut dire, au néolibéralisme et à certaines formes destructrices d’individualisme. Et la pensée de Cavell, celle de la tradition de pensée américaine du XIXe siècle, Emerson et Thoreau, théoriciens de la désobéissance civile et de la confiance en soi, ouvre sur la réhabilitation d’une forme radicale et critique d’individualisme. Ils montrent, comme Wittgenstein et la philosophie du langage ordinaire, que la réflexion sur l’individu passe par une redéfinition de ce qu’est une expression juste, une voix cohérente ; il ne suffit pas de s’exprimer pour avoir une voix. La voix est indissolublement personnelle et collective, et plus elle exprime le singulier, plus elle est propre à représenter le collectif. Une voix doit alors être revendicatrice, exprimer les autres : pas seulement parler au nom de ceux qui ne peuvent parler, idée condescendante et sans avenir. On ne parle pas à la place de quelqu’un, il faut déjà être capable de parler pour soi, d’assumer la responsabilité d’une prise de parole.

 

A la base de la question de la voix, il y a la question : qu’est-ce qui permet de dire nous ? JE (seul) puis dire ce que NOUS disons. L’usage commun du langage pose directement une question politique, qui est celle de la nécessité de la voix individuelle et du dissensus. C’est l’idée qu’il faut trouver sa voix en politique : cette thématisation de la voix se trouve chez Emerson et dans l’idée de confiance en soi (Self-Reliance). Emerson affirme que l’expression individuelle est légitimée comme publique quand elle est authentique.

 

Croire votre pensée, croire que ce qui est vrai pour vous dans l’intimité de votre cœur est vrai pour tous les hommes – c’est là le génie. Exprimez votre conviction latente, et elle sera le sentiment universel; car ce qui est le plus intime finit toujours par devenir le plus public.

 

Cela conduit Emerson à une critique du conformisme et du moralisme, conçus comme incapacité à prendre la parole, à vouloir dire soi-même ce qu’on dit, à être bien sujet de sa parole. La confiance n’est pas un fondement sur une individualité existante, elle la constitue : cette constitution de l’individu s’accomplit par la recherche par chacun de sa voix, du ton juste, de l’expression adéquate. Il s’agit à la fois de constitution individuelle  – « suivre sa constitution » dit Emerson –  et commune : trouver une constitution politique qui permette à chacun de trouver expression, d’être exprimé par le commun et d’accepter de l’exprimer.

 

L’individualisme devient alors principe démocratique, celui de la compétence politique et expressive de chacun. Il s’agit de savoir pour chacun ce qui lui convient, et à chaque fois de façon singulière. Le vrai individualisme, ce n’est pas l’égoïsme, c’est l’attention à l’autre en tant que singulier, et à l’expression spécifique de chacun ; c’est l’observation des situations ordinaires où sont pris les autres. C’est pour ces raisons qu’un enjeu de l’individualisme est aussi l’attention aux vulnérables. L’individualisme véritable devient attention concrète à chacun.

 

Désobéir pour la démocratie

 

Pour finir, la désobéissance en démocratie n’est pas un refus de la démocratie, au contraire. Elle est liée à la définition même d’une démocratie, d’un gouvernement du peuple, c’est-à-dire par le peuple, comme le disait la déclaration d’indépendance : un gouvernement démocratique est le gouvernement qui est le nôtre, le mien – qui m’exprime, où j’ai ma voix. Je dois avoir une voix dans mon histoire, et me reconnaître dans ce qui est dit ou montré par ma société, et ainsi, en quelque sorte, lui donner ma voix, accepter qu’elle parle en mon nom. La question politique première devient celle de l’expression. La position de Thoreau et d’Emerson est simple : on a non seulement le droit mais le devoir de résister, et donc de désobéir, lorsque le gouvernement agit contre ses propres principes. Thoreau refuse de reconnaître le gouvernement comme sien, et refuse de lui donner sa voix, sa contribution financière ; il refuse qu’il parle en son nom – lorsqu’il promeut l’esclavage ou fait la guerre au Mexique. C’est là un affect politique fondamental, qu’on retrouvait dans les oppositions internes à la guerre en Irak : Not in our name. C’est aussi une reconception du contrat social. L’installation de Thoreau à Walden est une protestation contre la vie que mènent les autres hommes (« a life of quiet desperation »), contre sa société telle qu’elle existe. Emerson et Thoreau refusent la société de leur temps pour les mêmes raisons que l’Amérique a voulu l’indépendance, et revendiqué les droits que sont la liberté, l’égalité, et ne l’oublions pas, la recherche du bonheur. Ils prennent à la lettre la Déclaration d’Indépendance : « Les gouvernements sont établis parmi les hommes pour garantir ces droits, et leur juste pouvoir émane du consentement des gouvernés. Toutes les fois qu’une forme de gouvernement devient destructive de ce but, le peuple a le droit de la changer et de l’abolir, et d’établir un nouveau gouvernement. » Lorsque Emerson embrasse comme Thoreau la cause abolitionniste dans de célèbres discours (en 1844 et 1854), et dans sa défense de John Brown, il dénonce avec l’esclavage la corruption des principes mêmes de la constitution américaine, et la corruption des politiques, représentants de la nation – il  recommande alors de désobéir à la loi, dans sa dénonciation scandalisée de la loi inique sur les esclaves fugitifs.

 

Le fondement de cette position est encore une fois la confiance en soi, qui loin d’être une assurance ou une prétention, se définit en opposition au conformisme. Pour Thoreau, ce n’est pas le silence qui guette d’abord l’intellectuel, mais en effet le conformisme. Contre la conformité, Emerson et Thoreau demandent donc une vie qui soit à nous, à laquelle nous ayons consenti, avec notre propre voix. Thoreau écrit : « Je réponds qu’il ne peut pas s’y associer sans se déshonorer. Je ne peux pas un seul instant reconnaître comme mon gouvernement une organisation politique qui est ainsi le gouvernement de l’esclave ». Si j’accepte la société, la reconnais comme mienne, JE suis esclave, nous le sommes tous. Thoreau et Emerson ne visent pas à parler pour les autres, les « sans-voix » – ils revendiquent leur droit d’avoir un gouvernement qui parle et agit en leur nom.

 

La question de la désobéissance ne concerne donc pas seulement ceux qui ne parlent pas, ceux qui, pour des raisons structurelles ne peuvent pas parler (qui ont définitivement été « exclus » de la conversation de la justice) : elle concerne également ceux qui pourraient parler, mais se heurtent à l’inadéquation de leur parole. Du coup, dans la société actuelle, paradoxalement, le problème ce ne sont pas seulement les exclus, au sens des exclus de la parole, mais aussi ceux dont la parole n’est pas écoutée à sa juste valeur, est dévalorisée. L’idéal d’une conversation politique – de la démocratie – serait celui d’une circulation de la parole où personne ne serait sans voix. Et c’est là qu’on retrouve l’égalité comme exigence politique, et sa revendication comme forme de la résistance.

 

Aujourd’hui la désobéissance civile pourrait être tenue pour une forme d’action politique désuète, et inadéquate – surtout en un temps de lutte pour la démocratie même dans des dictatures en cours d’effondrement. La relecture de Thoreau nous permet alors de comprendre le sens de la désobéissance civile aujourd’hui, et son essence démocratique. Le recours à la désobéissance, qui paraît s’écarter des modes d’action politique reconnus, exprime, comme autrefois chez Thoreau, le sentiment d’une perte de la voix, d’une trahison des idéaux de la démocratie : on ne se reconnaît pas dans l’Etat et sa parole, on ne veut plus parler en son nom (ni qu’il prétende nous exprimer). Pourquoi désobéir en démocratie ? Mais justement : on ne désobéit qu’en démocratie – quand on n’a plus dans la vie publique les conditions de la conversation où l’on pourrait raisonnablement exprimer son différend, quand on est dépossédé de sa voix, et du langage commun. La désobéissance est un rappel du fondement de la démocratie, qui est l’expression de chacun, la recherche d’une parole authentique et juste, contre une parole qui, pour reprendre le mot d’Emerson, « nous chagrine » ou est étouffée. Une manière de reprendre possession est la désobéissance, comme revendication personnalisée et publique, au nom de ce que la collectivité des citoyens réclame.

 

Sandra Laugier – Tokyo, 2011

Laisser un commentaire